Mohamed Brini: "Ce n’est pas à cet âge que je vais trahir la presse"

Lors de sa première sortie médiatique, Mohamed Brini, vétéran de la presse marocaine s’explique sur les motivations de son retrait définitif du Conseil national de la presse.

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Mohamed Brini se retire du conseil national de la presse

Coopté par les sept éditeurs élus au Conseil de la presse, le  21 Juillet, le fondateur et ancien directeur de publication du quotidien d’Al Ahdath Al Maghribia, Mohamed Brini a présenté sa démission. Une décision «pleine de leçons et de significations» a commenté la fédération marocaine des éditeurs de journaux.  Entretien.

 TelQuel.ma : Votre lettre de démission comporte des qualificatifs forts. “Lourd”, “pourri” et “dégradé”, notamment. Qu’elle est la portée de ces mots ?

Mohamed Brini : Je ne vais pas aborder les détails ni les exemples. Concernant le Conseil national de la presse, nous avons tous suivi et suivons ce qui s’est passé et ce qui se passe toujours. Ces qualificatifs décrivent le climat qui a assombri le processus de la structuration de cette instance. Dans les faits, des communiqués et des contre communiqués ont été publiés. Des diffamations de part et d’autre, des insultes et des monologues. Si je donne des exemples concrets, je vais, sans le vouloir, choisir un camp plutôt qu’un autre et une personne plutôt qu’une autre etc. Or, à mes yeux, c’est le climat général qui n’est pas de bon augure au sein de ce Conseil national de la presse.

Vous avez participé à une réunion, le 20 juillet, avec les éditeurs élus au CNP . Parmi les sujets évoqués : la prise de position vis-à-vis du syndicat. Quelle est la vôtre sur cette question ?

Non ! Les questions que nous nous sommes posées sont les suivantes : est-ce que ce Conseil a ou va avoir l’autorité morale nécessaire pour assumer ses responsabilités ? Va-t-il mener à bien les missions que la loi lui confère ? Contribuera-t-il réellement à la régulation de la profession ?

Au collège des éditeurs, nous avons découvert qu’il existe un sentiment commun. Il n’y a pas eu lieu d’une discussion autour d’une quelconque prise de position vis-à-vis du syndicat. De même, en tant qu’éditeurs, il n’y a pas eu de prise de position en ce qui concerne telle ou telle partie prenante dans le Conseil national de la presse. Car, nous n’avons pas à nous immiscer dans les affaires des autres confrères, simplement. Je tiens à préciser ceci : nous avons des conclusions qui émanent de nous même. C’est-à-dire du débat de fond sur le conseil.

Vous dites qu’au sein du collège des éditeurs vous partagez le même sentiment entre collègues. Pourtant, le lendemain de cette réunion vous avez envoyé votre lettre de démission. Quelles explications ?

Ça fait longtemps que j’ai des réticences à l’égard de ce Conseil, et ce avant même que ne débute le processus de sa structuration. Tel que défini par la loi, j’avais le sentiment que cette instance ne pourrait guère régler de problèmes. Nous connaissons à quoi ressemble notre paysage médiatique : il souffre de beaucoup de problèmes. Notamment, la presse papier se meurt, la presse digitale débute, mais doit se moderniser. En clair, j’avais des doutes que ce Conseil puisse contribuer au développement de la presse marocaine.

Il y a également le problème de la déontologie. Un conseil qui n’a pas d’autorité morale ne pourra pas imposer le respect de la déontologie. En clair, les professionnels concernés par le travail du conseil ne se soumettront pas à un conseil qui n’a pas d’autorité morale. A mon avis, le problème est loin d’être dans les élections ou dans la structuration du Conseil. Mais, il réside dans la situation dans laquelle il évolue, c’est-à-dire le climat général qui l’entoure ainsi que l’état actuel de la presse marocaine. Le CNP va-t-il sauver la presse papier ? Parce que c’est cette presse qui incarne le débat démocratique. Et, ces questionnements sont le fond de ma réticence et de mes doutes.

En revanche, lorsque mes collègues m’ont désigné, je me suis dis allons voir et essayons, tous, de contribuer. Si ne nous réussissons pas à régler le problème, au moins, on aura essayé de commencer un processus sur des bases solides et des pratiques saines. Sauf que, le climat qui a prévalu par la suite m’a conforté dans ma position. Donc, pour moi, je n’ai aucune chance de contribuer d’une manière positive. Elle sera nulle et vaine.

En outre, je ne veux pas cautionner une institution se trouvant dans une telle situation. D’autant plus que c’est la toute première version. Elle est fondatrice et historique. C’est de la responsabilité de ses membres élus, et c’est toute l’importance de ce conseil. Au final, je n’ai pas trouvé de réponses positives à mes interrogations. J’ai donc pris la responsabilité, en accord avec ma conscience, de démissionner.

Quelle est votre position par rapport au gel de la participation des sept éditeurs élus au conseil ?  

Au collège des éditeurs, nous étions d’accord sur le gel de la participation des éditeurs élus au conseil dans la participation au processus qui doit accoucher des différentes instances au sein du conseil. La décision du gel a été prise en attendant que le climat soit plus sain, le débat plus serein et que tout le monde comprenne que c’est une œuvre importante pour la profession. C’est tout le sens de la décision de me retirer.

Votre démission intervient juste avant une réunion prévue avec le ministre de la Communication. Hasard ou préméditation ?

Ma lettre mentionne clairement que je démissionne avant la structuration du conseil. Je ne souhaite même pas arriver à l’étape des élections ni à la constitution des différentes commissions. Si je participe à une quelconque opération, pour moi, ça serait une caution de ce qui fait que je ne pourrai plus faire marche arrière. J’ai passé 40 ans dans ce métier. C’est une profession que j’aime, qui m’a beaucoup donnée et ce n’est pas à cet âge que je vais trahir la presse.

Concernant la lettre de Khalid Hachimi Idrissi, directeur général de la MAP, envoyée aux représentants des éditeurs, selon des proches du dossier, pour une prise de position vis-à-vis du syndicat. Une réaction ?  

Non, je n’ai pas de position à prendre dans ce sens. Je ne suis pas responsable au sein de la fédération des éditeurs. Je n’ai pas de commentaire à faire là-dessus.

Votre démission a-t-elle un rapport avec des escarmouches portant sur la présidence du conseil ?

Non, pas du tout. La question principale ce n’est pas la présidence. Si les gens ne sont pas d’accord, il y a les urnes. C’est à la démocratie de régler ces problèmes. Pour moi, la question de la présidence ou celle des commissions vient après la réponse sur la question suivante que je pose et répète : est ce que le conseil a l’autorité morale et est-il autonome pour servir la presse marocaine ? Ce qui fait que toute autre chose est subsidiaire pour moi.

Ce conseil va-t-il exister ou pas ?

Cela va dépendre de la volonté de tous les élus. Pour moi, le problème est réglé : je ne fais plus partie de ce conseil.

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