Pendant l’incendie je dormais, mais j’entendais les explosions, je rêvais comme plongé dans un film de guerre. Boum ! Boum ! Boum ! Quand je me suis réveillé, je me suis rendu compte que c’était la réalité : des bonbonnes de gaz explosaient ici et là bas. Tout le monde était pris de panique, déjà à l’extérieur du camp. Je suis sorti de la tente, étouffé, et j’ai trouvé le feu juste devant moi. J’ai couru et les flammes ont pris ma veste. Les gens m’ont accueilli en criant : ‘Mais tu étais encore là dedans ?!' », raconte Serge, un Camerounais installé dans le camp depuis neuf mois.
Si l’incendie n’a fait ni morts ni blessés, la plupart les migrants présents sur le site ont, en revanche, tout perdu. « J’ai perdu mes deux téléphones, 320 dirhams, mes deux paires de chaussures, tout ce que j’avais », nous confie Serge. Ce dernier nous montre son abri en bois de nouveau sur pied : tant bien que mal, une semaine après les faits, la reconstruction du camp se fait petit à petit.
« Deux Marocains sont venus avec une moto, de l’autre côté de la clôture, en dehors du camp. Un camarade a vu l’un d’entre eux grimper sur la clôture et mettre le feu à la toile d’une tente. Avec un briquet, sur le plastique qui prend vite. Le gars est remonté sur la moto. Ils sont partis. » Ce témoignage de Serge est l’une des versions qui circulent pour expliquer l’origine du feu. Une autre encore évoque un incendie accidentel de cuisine, qui aurait été provoqué par des SDF vivant en compagnie des migrants subsahariens.
Pour l’heure, aucune de ces versions n’est confirmée ou infirmée, car aucune enquête n’a été ouverte à ce jour. Ce sinistre n’est pas un cas isolé. Dans la même journée, un feu prenait également dans le camp de migrants de Fès, suite à une tentative d’évacuation de migrants par les autorités.
Cet incendie n’est qu’un malheur parmi d’autres pour ces quelque 200 personnes, majoritairement des hommes jeunes, parfois mineurs, venus de pays subsahariens (Guinée-Conakry, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger) vivant sur une étendue de macadam et dans de fragiles constructions en bois clôturées et meublées de tentes fabriquées en plastique et en tissu. Certains disposent de cartes de séjour, d’autres d’attestations du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) – qui leur procure le statut de demandeur d’asile au Maroc. Ils dépeignent un sombre quotidien, fait d’humiliation et d’errance. Pour eux, Ouled Ziane est le point de ralliement, le seul endroit où ils se sentent en sécurité – « une prison à ciel ouvert», nuance Saïd, jeune guinéen.
Le refoulement, cauchemar des migrants
Beaucoup de personnes rencontrées à Ouled Zianen témoignent de l’impossibilité d’évoluer hors du camp dans lequel elles vivent. Ces jeunes hommes racontent que dès qu’ils sortent de l’enceinte, ils sont arrêtés, placés dans des bus et déplacés vers le sud. Lâchés dans la nature à Agadir ou Tiznit, ils mendient quelques jours pour rassembler les quelques dirhams qui leur permettront de revenir à Casablanca.
Parmi d’autres, Saïd témoigne : « Ça se passe quotidiennement. Ça m’est arrivé quatre fois. La dernière fois, dans la rue, deux policiers en civil m’ont ceinturé. J’ai sorti mon papier de demandeur d’asile du HCR, sans succès. On m’a mis dans le car avec sept Sénégalais, tous avec leurs passeports, en situation régulière. On nous a tiré du bus à Agadir. Aujourd’hui, j’essaie de sortir le moins possible du camp. »
En septembre dernier, un rapport de l’ONG Human Rights Watch pointait déjà du doigt ces expulsions de migrants vers les grandes villes du sud du pays, cela sans aucun accompagnement. Contactée par nos soins, la cellule de communication du ministère de l’Intérieur nous répondait alors que « ces migrants étrangers sont extirpés des réseaux de trafic d’êtres humains qui les exploitent. Ensuite, dans le cadre d’une approche humaniste, ils bénéficient de l’assistance des autorités marocaines en termes de soins de santé et d’hébergement ».
Maintenant, lorsqu’ils quittent le camp d’Ouled Ziane, c’est pour tenter leur chance vers le nord. Ces jeunes hommes racontent que les courses-poursuites avec les forces auxiliaires y sont fréquentes, notamment dans la forêt surplombant Sebta. L’un d’eux, la main plâtrée, explique avoir été violenté par la police, deux jours avant de revenir se faire soigner à Casablanca. D’autres se blessent sur les barbelés des clôtures de Sebta et Melilla.
« Les camps urbains, comme ceux de Casablanca et de Fès, sont apparus et ont gagné en importance après février 2015, ainsi que le renforcement de la politique sécuritaire aux frontières. Ces personnes ne peuvent plus rester trop longtemps dans le nord sans risque d’être refoulées vers le sud », explique Bilal Jouhari, chargé de communication du Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (GADEM).
Le Maroc : une impasse
Au-delà de leurs démêlés avec la police, les migrants évoquent le racisme qu’ils subissent et qui pèse sur leur moral. « Je ne peux pas vous raconter toutes les histoires de racisme. Je ne peux pas vous dire combien de fois, quand je suis passé dans la rue, une femme a tiré son enfant rapidement en disant ‘attention au négro’. D’autres ferment leurs narines en passant ou crachent à côté de moi, chuchotent dans ma direction… Je me sens mal à l’aise partout », témoigne Serge.
Mais le Maroc représente aussi pour eux des personnes sur lesquelles ils peuvent compter dans leur détresse. « Les mamans du quartier sont très gentilles avec nous. Elles nous apportent du couscous par exemple, et cela, dans n’importe quel endroit du Maroc ». Par ailleurs, une association casaouie, Jood, vient un ou deux soirs par semaine pour distribuer des repas. « Un peu de riz, des fruits, de l’eau, vers 23h. Mais ils ne peuvent pas nourrir tout le monde », explique Saïd.
Le rêve européen : un absolu
« C’est la mauvaise gouvernance qui nous malmène », nous dit Saïd pour expliquer son départ de Guinée-Conakry. « La route vers l’Europe, c’est l’enfer. Chez nous aussi, c’est l’enfer. Donc on prend des risques pour aller là où il y a la liberté, là où les droits humains sont respectés et où il y a du travail », continue-t-il.
Les jeunes hommes, souvent passés par l’Algérie, le Mali, parfois la Tunisie et la Libye, restent déterminés à rejoindre l’Europe au péril de leur vie : à la rame, par « zodiac », cachés dans un camion, en payant un passeur depuis Tanger ou encore en escaladant les barrières de plus de six mètres de Sebta et Melilla. « Certains meurent, certains reviennent, certains y arrivent. Si Dieu le veut, nous atteindrons tous l’Europe ».
En attendant de pouvoir rejoindre leur « eldorado », chacun trouve de quoi nourrir son quotidien et ses espoirs. Serge et Roméo, par exemple, ont enregistré la musique de leurs errances. Serge cherche maintenant les moyens pour tourner un clip sur le camp, qui dépeindrait en vidéo sa vie si particulière à Ouled Ziane. Bon an, mal an, leur existence poursuit son cours.
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