Pacte de l’ONU sur les migrations: les associations dénoncent une régression

Le projet de «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », qui devrait être adopté les 10 et 11 décembre prochains à Marrakech, a été finalisé vendredi dernier par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les associations marocaines ne cachent pas leur scepticisme vis-à-vis d’un texte qu’elles jugent inutile au mieux, contreproductif au pire.

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"Le Pacte n’aura pas rapidement d’effet, car son implémentation exige une collaboration Crédit: Aris Messinis/AFP

Défense des droits de l’Homme, des droits des enfants, reconnaissance de la souveraineté nationale… L’accord de 25 pages énumère un certain nombre de principes.

Mais si les acteurs de terrain concèdent que c’est effectivement «la première fois que les États membres des Nations Unies négocient un accord couvrant toutes les dimensions des migrations internationales d’une manière globale», comme le met en avant le communiqué de l’ONU, ils sont dubitatifs quant à la portée d’un tel document.

«Au lieu de renforcer des droits, il ne fait que rappeler des grandes valeurs. (…) La plupart des pays ont déjà ratifié un ensemble de textes internationaux affirmant les mêmes choses. Il n’y a qu’à les appliquer», considère Mehdi Alioua.

Le cofondateur et ex-président du Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants (GADEM) cite notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, ainsi que l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, censé garantir la liberté de circulation.

Pour le sociologue, les problèmes des «camps» européens de détention de migrants – pudiquement appelés «centres de rétention administrative» – ainsi que les arrestations de mineurs sont condamnables en vertu de ces traités, sans besoin d’une norme additionnelle.

«Un projet qui va à l’encontre de la protection des migrants»

Pour Younous Arbaoui, coordinateur de la Plateforme nationale protection migrants (PNPM), l’initiative, sur certains points, constitue même une régression. «On attendait que le Pacte remette en cause la criminalisation des migrants. Au contraire, le texte final la réaffirme indirectement en légitimant leur détention. L’objectif n°13 prévoit effectivement la détention comme mesure de dernier recours, sans même l’interdire pour les mineurs», développe-t-il.

De même, la distinction opérée entre migrants réguliers et irréguliers représenterait une menace pour ces derniers. «L’accent mis sur cette différence mène au refus de leurs droits. Le Pacte justifie leur exclusion, alors même qu’ils continuent souvent de faire face aux violations des droits humains», poursuit le coordinateur de la PNPM.

Les États-Unis se sont retirés des négociations dès fin 2017. Ils ont été imités mercredi par la Hongrie, inquiète que le processus incite «des millions de personnes à prendre la route». «Les migrations restent une réalité. Le document n’est pas légalement contraignant et représente une aide, car il fournit des outils aux États membres de l’ONU, qui peuvent les utiliser pour définir leur politique nationale en matière d’immigration», lui a répondu Brenden Varma, porte-parole du président de l’AG onusienne.

La vice-présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Khadija Ainani, elle, est particulièrement remontée contre la disposition visant à « standardiser l’information sur les données biométriques ». Si ses confrères admettent que le Pacte insiste sur le respect de la vie privée, ils expriment néanmoins leurs craintes concernant « le partage des données sur les personnes migrantes» prôné par le texte.

Boycott et contre-sommet

«L’accent est moins mis sur la protection des migrants que sur la souveraineté des États», renchérit Younous Arbaoui. «Le texte sera surtout un outil pour leur permettre de contrôler la migration. S’il semble limiter leur marge de manœuvre par le droit international, la migration est abordée dans la perspective des intérêts étatiques et le pacte réaffirme l’encadrement par des lois nationales».

Même si le responsable confirme que des membres de la PNPM ont bien pris part à une réunion organisée, fin septembre 2017, par le ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration et l’Organisation internationale des migrations (OIM), il estime que la «discussion était tellement encadrée qu’on ne peut pas parler de vraie consultation».

En désaccord avec les conclusions des travaux, qui prévoient une vingtaine de mesures comme la facilitation de l’accès aux services sociaux, la lutte contre les discriminations ou encore l’amélioration de la collecte de données, il déclare que son ONG «ne souhaitera pas contribuer à la collecte de données pour le Pacte».

Quant au GADEM, qui dit ne pas avoir été associé aux négociations, il prépare déjà un « contre-rapport » et menace d’un « contre-sommet » à Marrakech en décembre, à l’image de celui auquel avaient participé 255 collectifs lors du lancement, en 2006 à Rabat, du Dialogue euro-africain sur la migration.

L’AMDH, qui prépare également un mémorandum, assure qu’elle sera elle aussi active dans la Ville ocre, « que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du sommet ». Mehdi Alioua tire la sonnette d’alarme : « C’est pire que les COP, car il n’y a même pas d’engagements chiffrés! Nous réactiverons notre manifeste, car la plupart des revendications que nous avions formulées n’ont toujours pas été entendues, et le nombre de morts a triplé en douze ans ».

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