Un think tank africain sur trois menacé de disparition

Le 2e Sommet des think tanks africains, qui s’est tenu en fin de semaine à Rabat, a été l’occasion d’évoquer les multiples défis qui attendent ces nouveaux cercles de réflexion. Parmi les 759 que compte le continent, plus d’un sur trois est en grande difficulté.

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Organisé par l'OCP Policy center, le Forum visait surtout à mettre en relation les différents think tanks africains. Crédit: Thibault Bluy/TELQUEL

En 2014, Frannie Leautier (ex-secrétaire exécutive de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, ndlr) a montré que 30% des think tanks africains traversaient une crise sérieuse et pourraient mettre la clé sous la porte. Personnellement, je pense que c’est bien plus”, déclare, en guise d’introduction, le professeur James G. McGann – surnommé par ses étudiants « Dr Tragique », en raison de son pessimisme.

L’enseignant à l’Université de Pennsylvanie, qui publie chaque année un classement mondial des « réservoirs d’idées » les plus influents, estime à 759 le nombre de ces structures implantées en Afrique. Concentrés en priorité dans les pays anglophones que sont l’Afrique du sud, le Ghana et l’Éthiopie, elles représentent à peine 8,5% du total mondial – contre plus de 50% pour les seules Amérique du nord et Europe.

Parmi les soucis les plus fréquents, le chercheur américain cite le manque d’appui institutionnel, de financement, de ressources humaines, mais aussi une tendance à la « surspécialisation » exigée par les bailleurs de fonds occidentaux. « Ces organismes ne sont pas pérennes, car les financements sont alloués seulement pour des programmes bien spécifiques », explique-t-il.

Détournements de fonds et opportunisme

Selon l’invité Abdou Diop, président de la commission Afrique et relations sud-sud à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), les think tanks (TT) africains souffrent d’un déficit de crédibilité important. « Certains détournent des fonds, d’autres se créent de façon opportuniste dès qu’une grande fondation lance un appel d’offres. (…) C’est triste, mais c’est à cause de cela que nous préférons nous tourner vers des cabinets européens », se désole-t-il. Pour le Sénégalais, c’est d’autant plus regrettable qu’il considère le secteur privé comme un potentiel financeur de ces instituts qui, « s’ils produisent des données fiables », peuvent être « clés » pour prendre les bonnes décisions politiques et économiques.

Les praticiens investissent alors la tribune pour partager leurs expériences. Patrick Malope, professeur à l’Institut botswanais pour l’analyse des politiques de développement, détaille ainsi ses missions d’évaluation économique après du gouvernement de son pays. « Le problème, c’est que c’est le gouvernement lui-même qui nous finance à 80%. Cela limite l’indépendance de nos analyses, et surtout tout peut s’arrêter du jour au lendemain, car notre budget est quasiment mono source », s’inquiète l’universitaire.

Afin de relâcher cette emprise, les Sénégalais de Wathi ont choisi de faire appel à la générosité du public. Pour rémunérer la demi-douzaine d’analystes qui synthétise les contributions des citoyens, la plateforme souhaite s’appuyer sur le crowdfunding. « Pour le moment, nous sommes encore obligés de compter sur les subventions de l’Open society initiative for West Africa et les cotisations annuelles de nos membres, mais nous espérons que ça va changer dans les années à venir », positive Babacar Ndiaye, coordinateur chez Wathi, basé à Dakar et créé il y a deux ans et demi par un ancien de l’International crisis group.

« Chez nous, difficile d’imaginer des TT indépendants des pouvoirs publics »

Au Maroc, « la culture des think tanks est encore nouvelle », apprécie au cours de l’une des tables rondes Mounsif Abderkaoui, directeur des études et des prévisions financières pour un TT émanant du ministère de l’Économie et des finances. L’économiste évalue à une petite dizaine le nombre de ces « laboratoires » actifs aujourd’hui dans le Royaume.

« Dans nos contrées, il est difficile d’imaginer des think tanks complètement indépendants des pouvoirs publics », commente Abdelhak Bassou, « senior fellow » à l’OCP Policy center (OCPPC), organisateur de l’événement. Financé à 100% par la fondation du géant des phosphates, son représentant assure qu’il est totalement libre des sujets qu’il traite et peut produire des rapports critiques. « C’est comme si nous leur tendions un miroir pour qu’ils voient une autre face. Pour moi, nous ne devons pas élaborer des thèses universitaires, mais plutôt aider les décideurs à faire face à certaines situations », résume l’ancien directeur des Renseignements généraux.

D’après Jawad Kerdoudi, président fondateur (en 2003) de l’Institut marocain des relations internationales (IMRI), il existe toutefois un fossé entre les organisations publiques (OCPPC, IRES…) et les entités indépendantes comme la sienne. Ne recevant aucun appui du ministère des Affaires étrangères ou d’entreprises partenaires, il fonctionne uniquement grâce aux cotisations de sa centaine d’adhérents – de 1.000 dirhams par an pour une personne physique, jusqu’à 20.000 pour une personne morale.

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