Le 1er décembre 2017, TelQuel révélait que la filiale du groupe français Crédit Agricole ne respectait pas la loi en matière de primes d’ancienneté*. Le 14 décembre, le président du directoire, Baldo Valverde, plaidait l’erreur et annonçait une régularisation pour tous les employés. Le 15 janvier, ceux-ci recevaient des courriers individuels les informant de leur “nouvelle structure de rémunération”, qui ne respectait toujours pas le barème légal des primes d’ancienneté. Seule l’assiette avait été élargie à un niveau similaire à celui des autres banques… mais uniquement pour les cadres.
Alors qu’un jugement d’appel avait déjà confirmé le recalcul de la prime sur le barème de la loi pour un ancien employé licencié, le tribunal de première instance d’Oujda a adopté une décision similaire le 3 mai, mais cette fois-ci en faveur d’un cadre encore en poste au sein de la banque. Il s’agit du premier jugement concernant un employé actif. En plus des centaines de procès de retraités et de licenciés auxquels le CDM fait face, « d’autres dossiers de salariés actifs sont en cours, à Oujda et dans d’autres villes marocaines. Les jugements devraient intervenir après les vacances judiciaires, en août ou septembre« .
Un pas de plus vers une régularisation massive ?
Selon l’avocat du cadre d’Oujda, ce jugement est une bataille importante remportée qui permet d’espérer une régularisation massive des primes d’ancienneté des employés bancaires.Néanmoins, peu de salariés osent attaquer leur employeur en justice : « ils ont peur d’entamer des poursuites par crainte du licenciement », explique-t-il. Pour l’avocat, « un arrêt définitif en Cour d’appel facilitera surtout la tâche aux syndicats pour négocier avec les banques ».
Le Syndicat national des banques, branche bancaire de la CDT – syndicat minoritaire dans le secteur sauf à la Banque centrale populaire – a entamé depuis le début de l’affaire une campagne d’information auprès du personnel de certaines banques ne respectant pas le Code du travail en matière de primes d’ancienneté, notamment CDM, BMCE Bank, Attijariwafa bank, BMCI et BCP, dont certaines sont également visées par des actions judiciaires.
L’affaire est également montée au Parlement depuis début décembre via le député-maire d’Oujda, Omar Hejira, qui a adressé une question écrite au ministre de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle, Mohamed Yatim, au sujet du non-respect par les banques du Code du travail. Malgré deux relances, la question est à ce jour restée sans réponse de la part du ministre. Deux questions similaires ont été posées par le député FGD, Mustapha Channaoui, et le membre du groupe de la CDT à la Chambre des conseillers, Abdelhak Hissan.
En appel, la bataille de la prescription
Si l’avocat de l’employé s’estime satisfait de la confirmation par le tribunal d’Oujda du « principe du calcul de la prime d’ancienneté sur la base de l’article 350 du Code du travail », celui-ci a selon lui commis certaines « erreurs » dans sa décision, dont nous nous sommes procuré une copie. Tout d’abord, le montant de l’indemnité rectificative, de 41.839 dirhams, est calculé sur la base du salaire net et non pas brut. Ensuite, le calcul est effectué sur deux ans, correspondant au délai de prescription de 2 ans.
L’avocat a interjeté appel pour demander le recalcul de la prime sur la base du nombre total d’années d’ancienneté du salarié dans le secteur bancaire, soit 15 ans. Il se fonde pour cela sur l’article 382 du Dahir Formant Obligations et Contrats (DOC) qui interrompt la prescription légale de 2 ans lorsque « le débiteur (ndlr : en l’occurrence la banque) reconnaît le droit de celui contre lequel il avait commencé à prescrire« . Or, le taux de la prime augmente en fonction du nombre d’années d’ancienneté.
Le feuilleton judiciaire est donc loin d’être terminé, d’autant plus que les procès des retraités se multiplient, que la CDT a commencé à coordonner, en parallèle des négociations menées par le syndicat auprès des directions des banques concernées.
*Pour rappel : cette prime obligatoire est déterminée par un barème fixé à l’article 350 du Code du travail, établissant les primes en fonction d’un pourcentage du salaire de base qui varie selon le nombre d’années d’activité. Nous avions constaté deux irrégularités sur les feuilles de paie du CDM : non seulement l’assiette prise en compte pour le calcul de la prime d’ancienneté était largement inférieure au salaire de base, mais également – et ce problème concerne tout le secteur bancaire -, le barème appliqué n’était pas celui du Code du travail, mais celui de la convention collective du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM). Un barème qui n’a pas été mis à jour depuis 1956 et qui est largement moins avantageux pour les salariés – les écarts allant jusqu’à 18,5% en fonction de l’ancienneté. Pourtant, “l’article 11 du Code du travail empêche de donner la priorité à une disposition conventionnelle moins avantageuse que la loi”, comme l’explique Me Bouchra Alaoui.
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