L’avenir du Maroc sera maritime ou ne sera pas », lance sentencieusement le professeur Miloud Loukili, devant la petite centaine d’auditeurs rassemblés dans le théâtre de la Cité Portugaise d’El Jadida, où se sont tenues du 2 au 5 mai les conférences du 6e Forum de la mer. Rappelant le glorieux passé de la flotte royale, l’ex-directeur général de la Marine marchande (2002-2004) plaide ici pour une vision maritime « intégrée, claire et globale ».
Telquel.ma: Vous avez parlé d’un « pacte éco-citoyen » pour le Maroc. Que cela signifie-t-il?
Miloud Loukili: Il s’agit de tout un programme consistant à sensibiliser le citoyen, à éduquer les enfants, à vulgariser tout ce qui est fait dans le domaine maritime auprès du citoyen lambda. Il ne faut plus que les choses de la mer soient banalisées. La Marocaine et le Marocain doivent avoir conscience des enjeux vitaux que représentent la mer, ses ressources et ses multiples utilisations, pour les générations actuelles et futures. Nous devons imaginer un nouveau contrat social entre le citoyen et son environnement naturel maritime.
Concrètement, quelles actions peuvent-elles être mises en œuvre?
En tant que professeur, je crois beaucoup à la pédagogie. Ce que nous faisons au niveau du Forum de la mer participe de cet effort, mais ça ne suffit pas. Pour que cette sensibilité écologique ne soit pas une sensiblerie, il faut que tout le monde mette la main à la patte. C’est aussi bien le rôle de la famille que des associations, des réseaux sociaux, des médias, des professionnels de la marine, des décideurs politiques, de l’école… Par exemple, je ne comprends pas pourquoi dans un pays aussi ouvert sur la mer que le Maroc, on n’ait pas dès l’école primaire des cours d’histoire maritime.
Une autre proposition pour s’approprier cet environnement, ce serait d’augmenter notre consommation de poisson. De 10 à 12 kilos par personne et par an aujourd’hui, il faudrait passer à 25 ou 30 d’ici 2030. C’est un aliment extrêmement nutritif, qui développe l’intelligence des enfants et permet de diminuer le risque de maladies cardio-vasculaires. Il faut tordre le cou aux stéréotypes, pour redonner au poisson la place qu’il mérite dans notre tradition culinaire.
Dans cette stratégie, quel rôle les pouvoirs publics peuvent-ils jouer?
Le message que j’aimerais faire passer, c’est qu’il faut absolument mutualiser les efforts. Aujourd’hui il y a des institutions, des ministères, des établissements, des laboratoires, des instituts, etc, mais chacun travaille dans son coin, jaloux de ses prérogatives. Rien n’est coordonné. C’est pourquoi il faudrait un ministère de la Mer, ou au moins un secrétariat d’État ou une délégation interministérielle chargée des affaires de la mer. Pourquoi ne pas songer aussi à une université de la mer? Ou bien, comme nous l’avons proposé dans le cadre du Forum, à un Observatoire national de la mer et du littoral?
Vous évoquez cette dernière idée depuis plusieurs années. Pourquoi n’a-t-elle jamais été concrétisée?
Comme le dit le proverbe portugais: il faut donner le temps au temps de se décanter. N’insultons pas l’avenir. La mer a pris des milliers d’années pour produire un galet. Alors pour nous, trois, quatre ou dix ans pour édifier un Observatoire, c’est très peu. Personnellement, cela fait quarante ans que j’essaie de faire bouger le monde maritime. Je suis comme le capitaine d’un navire. Par gros temps, quand il sait qu’il y a de la houle et que les dangers le guettent de toutes parts, il rédige un message qu’il met dans une bouteille et la jette à la mer. La plus vieille qu’on a retrouvé avait navigué 132 ans avant d’être découverte. J’espère que la mienne mettra moins de temps. Si elle arrive dans trois ou quatre ans, c’est déjà très bien.
Dans ce SOS, qu’auriez-vous envie de consigner?
Je plaiderais pour une vraie culture de la mer. Comme je l’ai dit, cela passe par l’éducation. La matière mer doit être enseignée partout, de l’école jusqu’à l’université. Il faut également une stratégie de la mer intégrée, globale, qui s’intéresse à la fois au littoral, aux ressources halieutiques, énergétiques, minéralogiques, aux transports… Le mer est un trésor incommensurable, mais elle est fragile. Nous devons la préserver du pillage, de la pollution et de la dégradation du littoral. Les plages sont sales. Dans certaines régions, on construit de façon anarchique. La loi littoral existe, mais encore faudrait-il l’appliquer. Quand je parle d’éducation, cela passe aussi par une sensibilisation des juges. L’opération de vulgarisation devra se faire tous azimut.
À titre personnel, vous militez pour l’extension du plateau continental marocain. En quoi cela consiste-t-il?
Je pense que le Maroc, en tant que membre du Conseil de l’Organisation maritime internationale, est légitimement en droit de demander à l’Organisation des Nations-Unies de projeter son plateau continental jusqu’à 350 milles [1 mille nautique = 1,8 km, NDLR]. La Convention internationale de Montego Bay sur le droit de la mer, que nous avons ratifiée en 2007, définit où s’arrêtent les eaux territoriales et où commencent les eaux internationales. Aujourd’hui, le plateau continental marocain s’étend officiellement jusqu’à 200 milles des côtes, mais se prolonge au-delà, lentement et sûrement. Le Maroc est en train de finaliser son rapport technique sur une possible extension. Il l’enverra à la commission des limites de l’ONU, qui l’analysera et donnera son avis. Si sa requête est acceptée, le Royaume gagnera sur le plan purement territorial, mais surtout au niveau des richesses halieutiques et minéralogiques. En effet, dans cette couche, il y a peut-être du pétrole, du gaz ou autre chose.
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