“Al houria lil ultras wa lkora liljomhour, unidos para libertad !”. (Liberté pour les ultras, le foot aux supporters, nous sommes unis pour la liberté !). Entre encouragements de leur équipe, fumigènes et chambrages de l’adversaire rajaouis, les supporters wydadis ont entonné ce chant lors du dernier derby casablancais du 14 avril. Ce match marquait officiellement le retour des ultras lors d’une rencontre opposant les deux frères ennemis de la capitale économique.
En avril 2016, le ministère de l’Intérieur avait interdit aux ultras d’organiser toute activité suite à de nombreux actes de violences survenus au cours de matchs, notamment celui du 19 mars au complexe Mohammed V de Casablanca lors de la rencontre opposant le Raja et Al Hoceïma où trois personnes avaient trouvé la mort et 54 autres blessées. Cette interdiction a été levée officiellement le 16 mars 2018, mais le déploiement de tifos reste cependant toujours proscrit à l’intérieur des stades.
Néanmoins, malgré une interdiction de près de deux ans, l’activité de ces groupes n’a jamais vraiment cessé, les ultras continuant de vivre de leur passion clandestinement. Pour le Wydad, il existe un seul et unique groupe d’ultras, les Winners. Né en 2005, le mouvement comptait près de 11 000 adhérents avant le début des interdictions en 2016. Les membres refusant toujours de créer une association, une simple carte de membre symbolisait l’adhésion au groupe.
Du 123ème derby du 10 février, période pendant laquelle les interdictions étaient toujours de mise, au 124ème du 14 avril, symbolisant le retour des ultras lors d’un match opposant les deux frères ennemis, nous avons suivis le groupe de supporters des Winners. Retour sur cette période et sur la levée de l’interdiction.
Des ultras toujours présents
« On est wydadi à vie, dans les bons comme dans les mauvais moments. Les Winners existent toujours malgré l’interdiction. Tu ne peux pas tuer le groupe, c’est une idée, un état d’esprit qui reste ancré en nous, » revendique Nordine*, membre historique des Winners. Ce dernier était actif au sein du mouvement jusqu’en 2016, l’interdiction visant les ultras le contraignant à se retirer peu à peu du groupe. Travaillant dans le monde de la finance, il ne voulait pas que son implication en tant qu’ultra lui porte préjudice vis à vis de sa profession. Il se rend toutefois fréquemment au stade tout en prenant plus de recul sur les activités du groupe.
Nous le rencontrons pour la première fois dans le cadre du derby contre le Raja du 10 février 2018. Il est accompagné d’autres membres des Winners et des ultras affiliés au club allemand du Werder de Brême. Tous sont venus spécialement pour voir le derby de Casablanca, dont la réputation dépasse les frontières du Maroc. Ils ne cachent pas leur impatience avant d’aller assister au match dans le Curva Nord, la tribune réservé aux ultras wydadis.
Malgré les interdictions, on nous jure que l’ambiance sera toujours de la partie et que « les Winners ne sont pas morts« . Nous en serons témoins. Le virage nord est plein à craquer et les ultras bien au rendez-vous. Plusieurs banderoles, produits ultras, fumigènes et autres objets ont pu être introduits au complexe Mohamed V malgré l’interdiction. « On pourra toujours nous fouiller, découvrir nos façons de faire rentrer ces produits de manière illicite au stade, on trouvera un moyen de contourner les fouilles et de faire rentrer notre matériel, » confie un membre du groupe. Ainsi la bâche, l’étendard des Winners, est bel et bien déployée lors de match contre le Raja.
À l’issue de la rencontre, les mines sont néanmoins moins réjouies. La défaite 2-1 contre l’éternel rival est venue ternir la bonne humeur d’avant match. Les invités allemands du jour se disent tout de même impressionnés par l’ambiance. De nombreux Winners restent néanmoins nostalgiques de la « grande époque », celle d’avant les interdictions. D’autres, au contraire, préféraient cette période de disette comme nous le confirme Karim, membre actif du groupe : « Le groupe est plus soudé, on voit qui sont les vrais membres ».
Une activité qui n’a jamais cessé, ou presque…
Quelques jours après le match, nous rencontrons Mohamed, membre historique et actif des Winners. Il nous explique comment le groupe vit depuis les interdictions de 2016 : « La répression ne nous empêche pas de vivre. On continue à supporter notre club, à aller au stade, faire les déplacements. Seulement, on n’a pas le droit de faire entrer des produits ultras et faire des tifos ».
En outre, les interdictions ont empêché aux ultras de vendre la carte d’adhésion et de confectionner leurs produits dérivés, ce qui représentaient une source de revenus pour la cagnotte des Winners, qui sert entre autres à financer les tifos ou autres animations durant un match. En pleine interdiction, les finances des Winners étaient dans le rouge, nous confie un membre.
Néanmoins, à force d’organisation, ils sont tout de même parvenus à financer leurs déplacements. Les Winners s’organisent en cellules qui se rattachent chacune à un quartier de Casablanca. On retrouve également des antennes du groupe dans le reste du Maroc et à l’international comme en Belgique, en France ou au Canada par exemple. Les différentes cellules se concertent régulièrement pour se mettre d’accord sur les positions que le groupe doit suivre, les animations prévues lors des matchs ou toutes autres actions menées par les Winners. Ainsi chaque cellule se déplace de façon groupée vers le stade afin que les supporters restent unis. Cette organisation n’a pas été perturbée par les interdictions.
Dans les tribunes, le noyau dur du groupe se rassemble dans la « zone », une partie réservée aux membres actifs des Winners et dans laquelle on supporte sans relâche le Wydad durant la totalité de la partie. Cet espace se remarque assez facilement lors des petits matchs ou le stade est loin d’être rempli, la zone étant au milieu du virage, à l’endroit où l’on retrouve les tambours et le Capo, le leader de la tribune qui fait office de chef d’orchestre pour les supporters. Parmi ceux qui composent ce noyau dur, on retrouve tous types de profils : de jeunes adultes, des trentenaires, des enfants, des plus âgés, des chômeurs, des concessionnaires automobile, des banquiers, etc.
C’est dans cette « zone » que les ultras jouent leur rôle de médiateur et canalisent les violences et débordements qu’il peut y avoir dans le stade, selon le sociologue Sébastien Louis, spécialiste des mouvements ultras, auteur du livre Ultras, les autres protagonistes du football. « Les groupes dominent véritablement les tribunes au Maroc et ils les contrôlent, ce qui n’est pas toujours le cas dans les autres pays. Pour les petits matchs, c’est plus facile de gérer la tribune, car il y a moins de membres extérieurs. Pour les gros matchs, c’est plus difficile à contrôler car des éléments extérieurs se greffent au groupe, » commente-t-il. Sur la violence, principale cause de l’interdiction visant les ultras, il ajoute : « Le niveau de violence dans les tribunes est plutôt bas, mais elle est le reflet d’une violence que l’on connaît de la société marocaine et qui est due à plusieurs causes. On peut dire que les tribunes reflètent la société, et ce le cas dans le monde de façon générale. »
Sur ce point les ultras rejoignent le sociologue, comme nous le confie Ali, membre des ultras Winners : « Ce qui se passe au stade c’est le reflet de la vie à Casablanca. La violence ce n’est pas nous qui la créons, elle existe déjà dans les rues. »
Les Winners accusent les médias et la police de leur coller une image de groupes violents. Les médias et la police, deux ennemis déclarés des Winners et des ultras de façon générale. « Quand on va faire des œuvres caritatives l’hiver dans l’Atlas et que l’on donne des vêtements au plus démunis ça on n’en parle pas. Par contre quand il s’agit de violence… » commente Mohamed.
Quant aux forces de l’ordre, Karim nous explique ce qui selon lui entretient l’animosité : « Depuis 2011 et la participation de certains groupes ultras aux manifestations du printemps arabe, comme en Tunisie ou en Égypte, les autorités ont peur de nous. Ils ont peur qu’on se politise. Mais nous tout ce qu’on veut c’est supporter le Wydad, rien d’autre. ».
Fin février, des incidents au stade de Marrakech opposant des ultras du Raja aux forces de l’ordre s’étaient soldés par la poursuite de 68 personnes dont 9 mineurs. Malgré des dégâts estimés à 720.000 dirhams et des blessés parmi les forces de l’ordre, la frontière Raja-Wydad semble s’estomper quelque peu lorsqu’il s’agit de faire front face à la police. « Même si je n’aime pas les supporters rajaouis, j’ai de la peine pour eux en tant qu’ultra. On sait très bien que c’est la police qui les a provoqué », avance un Winners, sans preuve. Cette haine de la police, les Winners la traduisent aussi par des graffitis anti-force de l’ordre sur les murs de Casablanca.
Le communiqué du procureur, citant les enquêteurs, mentionnait quant à eux pour cet incident que « ces actes de vandalisme (qui ont eu lieu à la mi-temps de la rencontre conclue par un score de 3-0 pour le Raja, NDLR) ont fait 14 blessés parmi les forces publiques et ont causé d’importants dégâts matériels dans les installations du stade« .
Aussi, les interdictions ont engendré des épisodes tendus entre supporters wydadis et policiers. Comme lors du déplacement à El Jadida organisé par les Winners dans le cadre d’un match qui opposait le WAC au DHJ le samedi 3 mars 2018. Pour nous rendre à El Jadida, nous partons de Casablanca, entassés avec plusieurs autres supporters dans une camionnette. Une fois arrivés au stade, nous sommes accueillis par des policiers qui multiplient les fouilles musclées et les rappels à l’ordre tonitruants.
La pluie, abondante, n’éteint pas la ardeurs des Winners qui se sont regroupés avant le match à l’abri, sous les tribunes. « Quand je suis au stade, j’oublie tous mes problèmes », confie un supporter réjoui. Winners et supporters d’El Jadida s’échangent des chants amicaux, les deux groupes faisant partie d’une même fédération d’ultras marocains. Mais le match n’aura pas lieu à cause de l’état du terrain, gorgé d’eau. Aucun stadiers, ou speaker, ne prévient les spectateurs. L’information finit par se répandre dans les tribunes, via des spectateurs qui sont mis au courant de cette annulation par le biais de proches qui regardent le match à la télévision et qui les avertissent par téléphone.
Cet épisode à laissé une rancœur chez les Winners au point de boycotter le match qui est reporté au lendemain. D’autant que les tickets ayant étaient déchirés, ils doivent en racheter de nouveaux pour pouvoir assister à la rencontre. Dans les chants des Winners, la direction du club et la Fédération marocaine de football en prendront aussi pour leur grade.
Le retour de ceux qui ne sont jamais partis
Aussi, l’annonce faite le 16 mars concernant la fin de l’interdiction visant toutes activités liées au mouvement ultras a été accueillie avec mesure par les Winners. Pour eux, il s’agit d’un exercice de communication pour jouer en faveur de la candidature marocaine pour l’organisation de la Coupe du monde 2026. Certains d’entre eux nous font part de leur crainte que cette main tendue ne se retire après la délibération de la FIFA en juin prochain.
En attendant, le deuxième derby de l’année contre le Raja du 13 avril devait donc marquer le retour des ultras dans le stade. Ce dernier était pourtant moins rempli que pour le match aller, alors que les produits ultras pouvaient être introduits dans les stades, exception faite des tifos. Qu’à cela ne tienne. Les Winners ont fait une animation à l’aide de milliers de ballons de baudruches qu’ils ont lâché avant le coup d’envoi. Une façon pour eux de montrer que la résistance ne fait que commencer…
* Les noms des supporters ont été modifiés.
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