Sofia Benbrahim est une véritable prêtresse de la mode au Maroc. Fondatrice de Serafina Concept, un bureau de consulting pour des marques de luxe, elle dirige également le site shoelifer.com dédié à la mode, au luxe et l’art de vivre. Lorsque nous lui proposons de visiter le tout nouveau musée Yves Saint-Laurent, cette « Anna Wintour marocaine » nous répond d’emblée qu’elle connaît le créateur français « par cœur ». Le rendez-vous est donné rue Yves Saint-Laurent le 13 octobre à 15 heures, mais Sofia Benbrahim est sur la brèche. C’est qu’elle a des vidéos à réaliser et n’a pas une minute à perdre.
Premier constat: le musée, dont l’architecture est signée par le studio Ko, est d’une finesse et d’une simplicité déconcertantes tandis que sa façade en brique de terre cuite se marie parfaitement avec le sol et les murs en granito. C’est près de deux heures après le début de cette visite que nous parvenons à mettre la main sur Sofia Benbrahim entre deux prises.
« Art, mode et modernité »
Avant de s’engouffrer dans la salle d’exposition permanente, la businesswoman nous souffle que sa pièce fétiche du créateur français est un chemisier en satin rouge qu’une de ses tantes lui a offert. « Je ne le porte jamais, car c’est une création précieuse à mes yeux« , confie-t-elle.
La pièce qui abrite un aperçu de l’ensemble de l’œuvre de Yves Saint-Laurent est plongée dans l’obscurité. On distingue l’une des oeuvres les plus célèbres du styliste français: la robe Mondrian. Coupée droite et courte, elle est inspirée de tableaux du néerlandais Piet Mondrian. « Mythique » lance Sofia Benbrahim qui nous fait remarquer que le modèle exposé est une reproduction et non une originale (collection Haute Couture 1965). « Cette robe associe l’art, la mode et la modernité. C’est fantastique« , commente-t-elle.
YSL, le subversif
On s’enfonce dans le musée et à notre droite apparaît un long mur de photos, couvertures de magazine de mode et objets illustrant les grands moments de la carrière d’Yves Saint-Laurent. Sur ce mur, trois pièces attirent l’attention de Sofia Benbrahim. La première est une reproduction d’une peinture murale réalisée par Saint-Laurent dans la salle à manger de sa demeure à Dar El Henz achetée en 1966. Un endroit que notre interlocutrice connaît bien puisqu’en 2011, lorsqu’elle dirigeait L’Officiel Maroc, elle y avait réalisé un shooting. « Ce sont des souvenirs indélébiles, on est allé très loin« , se rappelle-t-elle.
Vient ensuite une photo en noir et blanc d’un Yves Saint-Laurent jeune. L’image est signée par le photographe Jeanloup Sieff. Le créateur y pose nu pour la promotion de son premier parfum, « Pour Homme », en 1971. « C’est de la subversion. Saint-Laurent ne cherchait pas le scandale pour le scandale. Ce n’était pas un provocateur. Il avait des idées avant-gardistes qui choquaient à l’époque la société« , explique Sofia Benbrahim.
L’autre objet qui attire son attention est le non moins subversif parfum Opium créé en 1977. Connu pour sa passion pour les drogues, le créateur français a créé cette fragrance aux senteurs orientales et lourdes, comme un pied de nez à la société.
« Les Françaises avaient interprété la sortie du parfum comme une incitation à la consommation de la drogue alors que Saint-Laurent disait l’avoir créé pour l’impératrice de Chine« , explique Sofia Benbrahim, amusée. « Quand vous lancez un parfum avec une bouteille aussi suggestive et sensuelle et un discours puissant, vous choquez forcément« , ajoute-t-elle.
En face du mur où l’on peut admirer la bouteille d’Opium, un dispositif lumineux des planches de collections a été mis en place. Y défilent, les dessins de chaque collection du créateur français. Une sorte de « tableau de bord de chaque collection d’YSL avec dessins et choix de tissus« .
« Ses dessins étaient tellement précis que ses couturiers étaient capables de discerner si c’était du velours ou du satin« , raconte Sofia Benbrahim. C’est dans les ateliers d’un certain Christian Dior que celui qui sera connu sous son acronyme YSL avait effectué ses premiers pas professionnels en tant qu’assistant-modéliste grâce à ses dessins.
Smoking, robes du soir et de l’art
On replonge dans les habits Saint-Laurent avec les smokings, pièce maitresse de l’œuvre du créateur. « Il a permis aux femmes de s’approprier un habit d’homme, symbole de la puissance et du pouvoir. C’est très féministe« , fait remarquer la patronne de shoelifer.com.
Nous nous arrêtons sur les pièces de nuit, sur fond d’un sonore de Catherine Deneuve évoquant le créateur. Des robes chics, sobres et parfois spectaculaires nous résument notre accompagnatrice. Elle repère alors une pièce que portait Catherine Deneuve dans Belle de jour de Louis Buñuel sorti en 1968.
En face c’est la partie ethnique. Il y a la belle cape de faille de soie brodée de fleurs bougainvillées (collection 1989), la Saharienne et bermuda de gabardine (collection Haute Couture 1968) ou encore le burnous. Les pièces exposées sont des reproductions de 2017.
Vient ensuite la collection russe, « la plus emblématique » du créateur d’après Sofia Benbrahim. « Il disait lui-même que c’était certainement sa plus belle collection. Elle retranscrit littéralement le costume russe. C’est plein de couleurs et de volume. Il y a quelque chose de puissant dans cette collection. Magique« . Elle se compose de gilets en velours de soie, mais aussi de blouses de mousseline de la collection Haute Couture 1976, dite « Opéra-Ballet russe ».
La Chine est ensuite représentée avec des Paletot-Boule de matelassé de soie et des robes de velours (Haute Couture 1994). On passe la partie consacrée aux carnavals et jardins fleuris (années 80) pour s’intéresser aux pièces inspirées de grands artistes comme Vincent Van Gogh, ou encore le chef de file du fauvisme Henri Matisse, mais aussi les maîtres du cubisme que furent l’Espagnol Pablo Picasso et le Français Georges Braque.
Il y a là une cape de drap de laine en hommage à Braque (Haute Couture 1988), une veste brodée de paillettes reprenant un tableau du peintre néerlandais Van Gogh (Haute Couture 1988) ou encore une robe de soirée en hommage à Matisse (Haute Couture, 1980). Exposée en hauteur, la robe « bambara » brodée de rhodoïd, de perle de bois et de perles de rocailles avec des seins pointus est à couper le souffle (Haute Couture, 1967).
Des dessins et une polémique
Nous découvrons ensuite la bijouterie YSL. Parmi les pièces exposées, on retrouve un cœur en trois parties, orné de strass gris fumé, cabochons de cristal rouge et perles blanches (Haute Couture 1962). « La broche Cœur est une pièce très importante. Yves Saint-Laurent l’a créée pour la présentation de sa première collection de Haute Couture en 1962. Cette broche a été portée à tous ses défilés Haute Couture. La grande question récurrente était: quel mannequin l’aurait cette fois-ci ? C’est comme si ces filles portaient le cœur d’Yves sur elles!« , explique Sofia Benbrahim émue.
Après l’espace d’exposition permanente, direction le Foyer, espace dédié aux dessins d’Yves Saint-Laurent. Le créateur de mode aimait en effet dessiner et créer des costumes pour des pièces de théâtre (La reine Margot, 1953 ), des ballets (Notre Dame de Paris, 1965). Des costumes extravagants qui ne sont pas du goût de Benbrahim. « J’aime les choses épurées« , tranche-t-elle.
Saint-Laurent est également connu pour ses dessins érotiques de jeunes éphèbes et surtout sa BD sulfureuse « La Vilaine petite Lulu« . Une bande dessinée éditée en 1967 qui lui a valu de vives critiques notamment pour « son caractère pédophile« . À ce sujet, notre experte explique que « personne n’a de preuve concrète de cette supposée pédophilie« .
Le créateur a aussi marqué le cinéma de son empreinte. En plus de Catherine Deneuve dans Belle de jour de Buñuel, il a également habillé Sophia Loren dans Arabesque de Stanley Donen, mais aussi Anny Duperey dans Stavisky d’Alain Resnais. « Cinéma, théâtre, ballet, art et mode…Monsieur Saint-Laurent a initié le fashion-marketing« , résume Sofia Benbrahim.
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