En cette matinée du 15 mai, le personnel du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) de Rabat et quelques agents de sécurité (chargés de baliser le musée pour l’arrivée de la princesse Lalla Salma) sont sur le pied de guerre. Aujourd’hui s’ouvre, en grande pompe, l’exposition « Face à Picasso » consacrée au célèbre peintre espagnol.
Mehdi Qotbi, président de la fondation nationale des musées, a toujours la phrase qu’il faut pour s’exprimer. « J’ai parcouru l’exposition et je peux vous dire que j’en ai eu les larmes aux yeux« , s’enthousiasme-t-il. Sa joie est immense à l’idée de donner à voir, du 17 au 31 juillet, cette exposition rétrospective inédite de Picasso. « C’est un panorama de l’immense richesse du travail et la vie du peintre« , explique Coline Zellal, conservatrice au Musée national Picasso. L’exposition s’articule autour de onze moments de la vie de Picasso, avec comme trame narrative la question du modèle.
L’enfant prodige
Le parcours commence avec « les premiers modèles » du peintre avec sa période dite naturaliste. Enfant précoce et surdoué, il réalise ses premiers tableaux à l’âge de dix ans. De cette période juvénile et académique, le MMVI expose quelques dessins à la plume ou sont représentés les membres de la famille du peintre, ainsi des scènes de rue ou de cafés. Parmi les pièces présentées, un tableau notable: « La fillette aux pieds nus« . L’œuvre a été réalisée par Picasso à treize ans. Le peintre reprend, avec un sans faute, les règles de représentation de l’époque. Le suicide du peintre Carlos Casagemas, ami cher à Picasso, le plonge dans une mélancolie totale. Inconsolable, Picasso entame ainsi dès 1901 sa période bleue. Cette période est symbolisée par « Portrait d’homme » qui représente un homme barbu, assis les bras croisés, teint et regard vitreux.
Femmes, femmes, femmes
Après la période bleue, l’exposition revisite les premières expérimentations cubistes de l’artiste. Les prémisses du mythique tableau « Les demoiselles d’Avignon« , peint en 1907, s’offrent à nous. Ils ressortent notamment à travers la « Femme aux mains jointes« , mais aussi dans les dessins d’études qui ont permis à Picasso de se forger une nouvelle approche esthétique (géométrique, déconstructiviste et brut) où le modèle et l’espace prennent des dimensions fortement inspirées de l’art africain.
Cubiste, il l’est
Dans la continuité de ses premières recherches cubistes et sous l’influence du peintre français Paul Cézanne, Picasso explore cette nouvelle manière de représentation difforme et illisible. Des œuvres comme « Le guitariste au chapeau » ou encore « L’Homme à la guitare » témoignent du refus de l’artiste de se prêter au jeu de la perspective. Picasso et le peintre français Georges Braque se distinguent comme les chefs de file du cubisme, un mouvement avant-gardiste qui marquera au fer rouge l’histoire de l’art moderne.
Aller simple du classique au surréalisme
Dans les années 1920, Picasso est à nouveau dans la tourmente de la création. Le peintre espagnol décide de prendre un nouveau virage esthétique en revenant à un style néo-classique. Un retour à l’ordre qui se manifeste dans des thèmes comme les baigneuses (Deux baigneuses) où Picasso explore le corps féminin (Femme assise). Dans la même période, les élans survoltés et anticonformistes du mouvement surréaliste influencent le peintre (sans qu’il adhère à la mouvance). C’est ce qui ressort de son tableau « Grande baigneuse ».
Marie-Thérèse, la muse modèle
« Face à Picasso » explore le rapport du peintre avec sa muse et compagne, Marie-Thérèse Walter. Picasso fait sa connaissance en 1927 alors qu’elle était encore mineure et cette dernière va donner un nouvel élan à la créativité du peintre espagnol. La jeune blonde au nez proéminent est obsessionnellement peinte, dessinée et gravée. Dans le parcours scénographique de l’exposition, cette partie consacrée à sa muse française occupe une place centrale.
Dora Maar, la muse artiste
Dans un espace mitoyen à celui consacré à Marie-Thérèse Walter, c’est une muse farouchement libre et sulfureuse de Picasso qui prend place. Il s’agit de l’artiste et photographe Dora Maar. La relation tumultueuse des deux amants, qui se sont rencontrés en 1936, va faire pivoter (encore une fois !) la créativité du peintre. Elle avec son appareil photo et son engagement politique, lui avec son pinceau, se donnent échos dans des œuvres frénétiques. Cet écho donnera naissance au tableau le plus célèbre du peintre « Guernica » que vous n’allez pas pouvoir admirer au MMVI. Vous pourrez par contre découvrir de beaux dessins sur photographie de Dora Maar.
Picasso c’est aussi de la céramique
Durant sa période champêtre, on découvre la facette parfois occulte du peintre: sa passion pour la céramique. Selon les estimations, entre 1947 et 1971, le peintre aurait réalisé plus de 3.500 pièces en terre. Ce savoir-faire ancestral confère à l’œuvre de l’artiste une dimension et une infinité de possibilités créatives. Dans cette période méditerranéenne, Picasso s’installe à Cannes dans son atelier « La Californie », qu’il peint inlassablement…
Le déjeuner sur l’herbe passé au scalpel
Picasso, qui a revisité des œuvres de grands peintres (Rembrandt, Vélasquez ou Courbet), a été littéralement obsédé par « Le déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet. L’œuvre controversée et scandaleuse du peintre français est disséquée dans les années 60 par Picasso sous toutes ses coutures. Il s’approprie avec brio les personnages de ce chef d’oeuvre, pour ce qui est sans doute la partie la plus intéressante du parcours de l’exposition.
Picasso, l’érotique
Quelques années seulement avant de tirer sa révérence (en 1973), Picasso retrouve sa passion pour la peinture érotique. Il peint frénétiquement (une période très prolifique pour l’artiste) son obsession et ses fantasmes pour le nu. De l’éros explicite et solaire pour le plus grand bonheur des puritains. Et l’exposition se termine sur un tableau isolé. Un autoportrait en petit format parmi les dernières œuvres peintes par l’artiste, d’une simplicité déconcertante.
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