Dans son discours du 13 octobre, Mohammed VI a annoncé « la création d’un ministère délégué auprès de celui des Affaires étrangères, chargé des Affaires africaines, et plus particulièrement de l’investissement« .
56 ans plus tôt, alors que les pays africains se libèrent les uns après les autres du colonialisme, un département équivalent avait déjà été créé. À sa tête : Abdelkrim Khatib, chirurgien et figure de la résistance.
« Le Maroc avait continué jusqu’à la libération de toutes les zones spoliées à aider les mouvements de libération africains en matière d’armements, d’assistances financières et alimentaires en mettant à la disposition des combattants des centres d’instructions militaires », raconte l’homme d’État né en 1921 dans ses mémoires.
« Il bougeait beaucoup sur le continent, nous recevions beaucoup de monde des pays africains à la maison pour des réunions politiques ou des visites d’amitié après leur libération« , se souvient sa fille, Hind Khatib, qui nous raconte avoir vécu avec la famille d’Ahmed Ben Bella, combattant de l’indépendance algérienne d’origine marocaine. « Le Dr Khatib était convaincu que le Maroc devait se tourner vers les pays africains et être à la tête du développement du continent, et non pas suivre l’Europe« , poursuit-elle.
Militant panarabe et panafricain, il n’est pourtant pas l’initiateur de cette politique. « En 1961, Sa Majesté Mohammed V avait déjà invité les leaders comme Sékou Touré ou Modibo Keïta. Le terrain était balisé« , témoigne Ismaïl Alaoui, neveu du chirurgien et ancien secrétaire général du PPS.
Il salue tout de même sur la politique de son oncle, l’un des seuls sujets sur lesquels ils étaient d’accord. « Le Dr Khatib n’a pas été dogmatique comme on aurait pu s’y attendre et ne tenait pas compte des idéologies de tous ces leaders. Son fil directeur était de faire en sorte que le continent se libère de toute colonie directe« , souligne son neveu. Le Maroc devient alors une terre de refuge et de formation politique et militaire pour les leaders des pays africains colonisés.
Le Docteur Abdelkrim Khatib, ministre des Affaires africaines avec Abdou Diouf, qui sera président du Sénégal de 1981 à 2000. Archives du Dr Khatib.
Un conseiller nommé Vergès
Cette politique africaine s’est notamment construite grâce à l’aide de Jacques Vergès, célèbre et sulfureux avocat français proche du FLN qui devient le conseiller d’Abdelkrim Khatib. « Il était expulsé de France parce qu’il défendait les Algériens, notamment la militante Jamila Bouhird, qui allait plus tard devenir sa femme« , écrit dans ses mémoires Abdelkrim Khatib au sujet de Jacques Vergès.
« On aidait ces personnes à voyager en leur fournissant des documents de voyage et un peu d’argent par exemple« , explique dans une interview à Telquel celui qui a aussi grandi avec la famille Al Khattabi en exil à l’île de la Réunion. Les mouvements de libération africains occupaient un bureau derrière l’hôtel Balima à Rabat, où Khatib leur apportait des valises pleines de billets de banque et de passeports diplomatiques marocains avec des noms marocains mais les photos véritables des porteurs africains.
Durant mon travail aux côtés du Docteur Khatib, j’ai accompagné plusieurs leaders africains durant leur séjour au Maroc, je les mettais même en contact avec les résistants algériens. Je me souviens par exemple avoir accompagné Nelson Mandela de Rabat à Oujda. De l’autre côté de la frontière, mon correspondant s’appelait Abdelaziz Bouteflika, qui utilisait un pseudo pour des raisons évidentes de sécurité.
Jacques Vergès
Un ami nommé Mandela
Lors de son passage au Maroc, en 1962, Nelson Mandela rencontre le docteur Khatib à de nombreuses reprises. « Le résistant sud-africain a même participé à des réunions de famille« , témoigne Ismaïl Aloui, qui n’a pas eu le privilège d’y assister. Il reviendra « trois fois après sa libération« , confie Hind Khatib, la fille du chirurgien, qui a eu la chance de le croiser et d’être témoin de l’amitié entre les deux hommes.
Un soutien qui a valu de grands honneurs à Khatib lors d’un discours en Afrique du Sud en 1995. « Quand je lui avais rendu visite à Prétoria, le jour de la célébration du premier anniversaire de sa présidence de la République sud-africaine, il avait parlé dans son discours de l’aide marocaine et il avait honoré le Maroc en ma personne« , témoigne dans ses mémoires Khatib.
Dans ce discours, Nelson Mandela aux cheveux grisonnants remercie « celui qui a été un des architectes de notre lutte armée« . Dans une narration rythmée, il revient sur la genèse de cette solidarité. « Je lui ai dit: je veux voir Sa Majesté votre roi. Nous avons créé une armée. Nos soldats sont entraînés. Nous voulons des armes. Nous voulons de l’argent« , raconte « Madiba ».
Dans une diatribe de 5 minutes, le président sud-africain assure que Khatib lui aurait répondu: « Amenez vos hommes à Dar es-Salam. J’enverrai un avion pour les emmener dans mon pays. Et je ferai entraîner vos soldats (…) Voici les 5.000 livres que vous avez demandé« . Puis le médecin lui a demandé s’il voulait toujours voir le roi. « J’ai dit non« , conclut Mandela.
À la même période, une délégation marocaine parlementaire accompagnée par Abdelkrim Khatib se rend en Afrique du Sud pour convaincre Mandela de la marocanité du Sahara. Pourtant, les deux pays solidaires dans leur indépendance vont se déchirer sur cette question. La rupture se fait en 2004 quand l’Afrique du Sud, alors dirigée par Thabo Mbeki, reconnaît la RASD.
Libération des colonies portugaisesDans ses écrits, Abdelkirm Khatib confie d’ailleurs d’avoir participé à la libération du comptoir portugais de Goa, en Inde. « Je leur avais dit : ‘Si vous libérez Goa, vous briserez le mythe qui prétend que les colonies portugaises font partie intégrante du Portugal’« , raconte-t-il dans ses mémoires. Une porte ouverte à d’autres indépendances. C’est en partie grâce aux activités de Jacques Vergès que les mouvements de libération des colonies portugaises ont déménagé à Rabat, comme le Front de libération du Mozambique, le Mouvement populaire angolais pour la libération de l’Angola, ainsi que le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert. « Nous avons reçu à la maison les cinq leaders des colonies portugaises« , se souvient Hind Khatib. [/encadre] |
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