Sécurité ultra-renforcée, mise en place d’un bureau de presse et une salle d’audience réaménagée avec des caméras. C’est dans une ambiance électrique que la deuxième audience des procès du journaliste Hamid El Mahdaoui et de 21 militants du Hirak s’est ouverte ce mardi 3 octobre à la première chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca.
Il est 9 heures du matin lorsque nous passons le premier barrage à l’entrée du tribunal avec fouille corporelle, contrôle des sacs et même des calepins. Avant d’avoir accès au tribunal, nous sommes priés de nous enregistrer auprès du bureau de presse, tenu par des fonctionnaires du ministère de la Communication. Au passage, on déposera aussi nos téléphones. Badge autour du cou, on peut enfin passer le deuxième barrage de police avec scan d’effets personnels (comme à l’aéroport). Une première.
Une nouvelle déco et des caméras à l’intérieur de la salle
Avant d’avoir accès à la salle numéro 8, nous passons un troisième barrage avec un autre scanner. Et première remarque: l’espace menant à la salle a été réaménagé. Des palissades en bois arborant l’inscription « La justice au service du citoyen » et une signalétique au sol ont été mises en place pour orienter le public. Des arbustes disposés dans des pots flashy complètent cette nouvelle décoration. Du jamais vu dans un tribunal au Maroc.
À l’intérieur de la salle où les préparatifs vont bon train pour le début de la séance, trois caméras, des micros et un projecteur ont été installés. « C’est nouveau ça« , lance un homme venu assister à l’audience.
En plus des journalistes, acteurs associatifs, policiers, et des familles des détenus, on distingue aussi des enfants en bas âge dans la salle. Ce sont les enfants d’un détenu, Karim Amghar. « Ils sont trois, dont un nourrisson de moins de deux mois que l’accusé n’a jamais vu« , nous explique Wail Asserhi, frère du directeur de publication du site Rif 24, lui aussi sur le banc des accusés. Autre nouveauté, le box des accusés d’habitude transparent a été peint d’une couleur opaque pour empêcher tout contact entre les détenus du Hirak et l’audience.
Une jeune femme assise à côté nous lance alors: « la sécurité a été renforcée, j’ai vraiment eu peur en entrant… Ils m’ont demandé d’enlever mon t-shirt à l’effigie de Hamid« . Elle, c’est la sœur de Hamid El Mahdaoui, bientôt rejointe par son père.
Il reste silencieux durant toute la séance. La mère du journaliste en a gros sur le cœur. Elle se confie: « Mon fils est un brave homme. Que Dieu ait pitié de lui« . Sa sœur ajoute: « mes parents ont eu du mal à entrer au tribunal, c’est un avocat de la défense qui leur a garanti l’accès« .
Imbroglio sur le droit de filmer
10h15. Le procès peut commencer. Le juge appelle Hamid El Mahdaoui qui est poursuivi pour « manquements à son obligation de porter à la connaissance des autorités une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’État« , selon sa défense. Le directeur de publication du site Badil, entre le poing levé devant le juge.
Alors que ce dernier l’interroge sur cette entrée, El Mahdaoui, visiblement en forme, répond: » je lève mon poing, car je suis appelé à ce tribunal injustement« . Et alors qu’il se lance dans une diatribe contre l’injustice, sa mère se met à pleurer.
Pendant ce temps, les détenus du Hirak installés dans le box opaque mettent leur main sur la vitre pour signifier leur présence. Le sujet central de cette deuxième audience sera bel et bien l’installation des caméras. « Si ces caméras ont été mises en place pour des considérations politiques, nous exigeons d’obtenir les enregistrements« , déclare calmement l’avocat Mohammed Ziane. « C’est vraiment étrange d’accepter des caméras de la télévision nationale alors qu’il y a des journalistes qui ont été empêchés d’accès au tribunal« , renchérit un de ses confrères. « Monsieur le juge, aucune décision ne nous est parvenue à ce sujet. Est-ce que vous avez décidé secrètement de les laisser filmer? C’est illégal« , poursuit-il.
Le juriste invoque alors l’article 303 disposant que « l’enregistrement de l’audience doit se faire avec l’autorisation du représentant du ministère public et l’accord des accusés eux-mêmes« . Le juge rétorque: « les autorisations requises sont dans le dossier« , ce que la défense du Hirak nie. « On ne va pas vous laisser manipuler l’opinion publique en disant que les gens du Rif sont séparatistes. On ne va pas vous laisser faire » renchérit Me Ziane. S’en est suivi un brouhaha. La séance est levée alors que l’assistance et les détenus clament en chœur: « la mort plutôt que l’humiliation« .
À la sortie de la salle 8, nous retrouvons Wail Asserhi, le frère du directeur de publication de Rif 24, qui nous assure que ce dernier n’a pas entamé de grève de la faim contrairement à d’autres détenus du Hirak. « Je l’ai vu il y a deux semaines, mais il menace d’entrer en grève de la faim et de l’eau aussi« , nous confie son frère.Au total, 37 détenus du Hirak sont entrés en grève de la faim, d’après l’Observatoire marocain des prisons (OMP). L’administration pénitentiaire (Nabil Ahemjik, Mohamed Jelloul et Rabii Al Ablak) affirme de son côté qu’ils ne sont que trois.
Le procès reprend, et la défense du Hirak n’en démord toujours pas au sujet des caméras dans la salle d’audience. La question s’est d’ailleurs déjà posée lors du procès d’Ansar Al Mahdi en 2007. L’avocat Abdelaziz Nouidi estime que « si la SNRT a une autorisation, on veut que d’autres supports puissent avoir la possibilité de filmer« . » Filmer le procès, empêcher l’accès à la salle et faire peur à l’audience ne sont pas les véritables conditions d’un procès équitable« , ajoute-t-il. « Je ne me sens pas visé« , assure un journaliste de 2M. « Nous n’avons rien filmé, c’est une boite de production qui le fait afin de diffuser l’audience dans une autre salle« , nous confie-t-il.
À ce moment-là, Hamid El Mahdaoui demande l’autorisation de parler à la cour. Après avoir supplié le juge, il se lance. « Je suis accusé, mais aussi un héros, et je ne suis pas honoré d’être filmé par 2M et la SNRT » dit-il, avant de remercier plusieurs sites d’information dont Goud, Lakome et Alyaoum 24 et le quotidien du groupe Akhbar Al Yaoum dirigé par Touafik Bouachrine.
Le juge ajourne alors le procès au 17 octobre et ne se prononce pas au sujet de la liberté provisoire pour le journaliste. Le parquet répond alors aux protestations de la défense. « Les deux chaînes ont demandé l’autorisation et elles l’ont obtenue. Cela fait partie du droit à l’accès à l’information« , explique le procureur général. « J’aimerais juste préciser une chose: nous ne poursuivons pas Hamid Mahdaoui, car il est journaliste ou à cause de ses opinions, mais à cause d’un fait grave et c’est pour cette raison qu’on a requis l’emprisonnement. N’essayez donc pas de détourner le débat. La liberté d’expression, des propos les plus extrêmes sont exprimés quotidiennement au Maroc sans que les concernés soient dérangés« , ajoute-t-il.
S’adressant toujours aux avocats de la défense, le procureur déclare: » Ceux qui disent que des journalistes ou autres ont été interdits d’accès à la salle qu’ils les fassent venir! Et puis si des personnes ont été empêchées d’entrer, c’est pour garantir de bonnes conditions d’audience« . Une déclaration qui a provoqué de vives protestations des avocats alors que le procès se poursuivait toujours. Voilà qui promet de prochaines séances tout aussi houleuses.
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