Michèle Zirari-Devif, juriste: "Les agresseurs du bus risquent jusqu'à 15 ans de prison"

Spécialiste du système pénal marocain, la juriste Michèle Zirari-Devif fait le point sur l'aspect juridique de l'affaire de la violente agression sexuelle de la jeune Imane par une horde de jeunes dans un bus à Casablanca. 

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Telquel.ma: six agresseurs présumés de la jeune fille ont été arrêtés hier par la police. Que risquent-ils?

Michèle Zirari-Devif: Il s’agit à l’évidence d’un attentat à la pudeur avec violence, qui est sanctionné par l’article 485 du Code pénal d’une peine criminelle de cinq à dix ans de réclusion. Cet attentat à la pudeur avec violence est, de plus, commis avec l’une des circonstances aggravantes prévues à l’article 487 (« si le coupable a été aidé dans son attentat par une ou plusieurs personnes« , NDLR). Cela porte la peine encourue à la réclusion de 20 à 30 ans.

Les agresseurs présumés étant des mineurs, la peine pourrait-elle d’être allégée ?

La chambre criminelle des mineurs peut prononcer une ou plusieurs mesures de protection et de rééducation et les assortir d’une peine privative de liberté. Si une peine privative de liberté est prononcée à l’encontre d’un mineur, le minimum et le maximum de la peine prévue par la loi pour l’infraction commise doivent être diminués de moitié. On arrive donc à une peine possible de 10 à 15 ans de réclusion. Il faut savoir que la majorité pénale est atteinte à 18 ans. Donc si les jeunes auteurs de l’attentat à la pudeur ont atteint cet âge, ils seront considérés comme majeurs et jugés comme tels.

Que risquent le chauffeur du bus et les éventuels passagers, dans le cas où la « non-assistance à une personne en danger » est avérée ?

Ils peuvent être poursuivis pour omission de porter secours à personne en péril, ou omission d’empêcher une infraction, comme le prévoient les articles 430 et 431 du Code pénal. Il s’agit de délits punissables d’une peine d’emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende.

Une partie de l’opinion publique parle de tentative de viol ou de viol. Juridiquement, où se situe la frontière entre le viol et l’agression sexuelle?

C’est très simple: le viol, selon le Code pénal est « l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci« . Il n’y a viol que s’il y a copulation. Toute autre forme d’agression sexuelle, y compris la sodomie, est qualifiée d’attentat à la pudeur avec violence. Les sanctions sont d’ailleurs identiques.

Comment l’attentat à la pudeur peut-il s’appliquer (ou être projeté) sur une agression sexuelle?

L’attentat à la pudeur est le fait de commettre un acte impudique sur une personne contre sa volonté. Il s’agit donc bien d’une agression sexuelle, mais la notion d’agression sexuelle est plus vaste et englobe les attentats à la pudeur avec ou sans violence, le viol, le harcèlement sexuel, etc.

Le Code pénal n’évoque pas nommément l’agression sexuelle. Peut-on parler de flou juridique autour de la question?

Le Code pénal n’utilise pas le terme « agression sexuelle« , mais il sanctionne sévèrement les différentes agressions sexuelles qui peuvent être commises sous un titre général: celui « des attentats aux mœurs« . Il n’y a aucun flou sur cette question. Il suffit de comprendre le sens des termes utilisés par le législateur.

Avec les agressions sexuelles ou les viols, vous dites que le problème n’est pas la loi, mais son application. Où est-ce que ça bloque ?

Quand le Code pénal prévoit des infractions, encore faut-il qu’il y ait des poursuites. C’est le rôle du ministère public et des victimes. En matière d’agressions sexuelles, trop souvent les victimes n’osent pas porter plainte craignant, fréquemment à juste titre, que les autorités de justice considèrent qu’en réalité elles étaient consentantes.

Voulez-vous dire que la morale et les moeurs priment sur ces crimes ?

En ce qui concerne les infractions de nature sexuelle, c’est un domaine où notre société est tout à fait schizophrène. Le fait divers qui vient de se produire illustre tout à fait cela: on s’indigne, mais nombreux sont ceux qui attribuent les torts à la jeune fille habillée « trop légèrement » plutôt qu’aux sauvages qui l’agressent. En ces temps estivaux, beaucoup de leurs semblables exhibent leurs jambes poilues et leur anatomie trop souvent malgracieuse sur les plages et dans les rues, mais exigent que les femmes qui se hasardent dans l’espace public soient bâchées comme un camion. Cette affaire n’est pas unique en son genre. Rappelez-vous les jeunes filles d’Inezgane il y a deux ans et bien d’autres dont on parle moins. La loi existe. Si on l’applique dans toute sa rigueur, beaucoup vont trouver que c’est excessif. Ce n’est donc pas un problème de loi, mais un problème de formation de notre jeunesse auquel notre système d’enseignement n’a pas su faire face.

Que pensez-vous de la nouvelle mouture du Code pénal présentée par Mustapha Ramid, ancien ministre de la Justice, qui apporte des révisions et précisions sur ces questions ?

Le projet de réforme du Code pénal n’apporte pas, je crois, de nouveautés dans le domaine des agressions sexuelles. Mais à mon sens, ce n’est pas nécessaire. Il faut arrêter de réclamer des modifications législatives pour tout, n’importe quoi, et dans tous les domaines. Notre problème n’est pas nos lois.

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