Les centres régionaux d’investissement (CRI) « ne jouent pas leur rôle de mécanisme incitatif« , a souligné Mohammed VI lors du discours du trône le 29 juillet. Pourtant, ils ont « en principe, vocation à régler les problèmes qui se posent régionalement aux investisseurs, à leur épargner le besoin de se déplacer auprès de l’administration centrale« , a poursuivi le roi. Mohammed VI relevait alors que seuls « un ou deux » CRI faisaient exception, évoquant Casablanca et Rabat.
« Ce dysfonctionnement a des retombées négatives sur les régions qui souffrent d’une insuffisance, voire d’une inexistence de l’investissement privé, autant que de la faible productivité du secteur public. Cette situation ne manque pas d’affecter les conditions de vie des citoyens« , a averti le monarque.
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Créés en 2002 par lettre royale, les CRI (seize dans le royaume), sous la responsabilité des walis, ont pour objectif de gérer l’investissement de manière déconcentrée. Leurs deux missions principales sont le soutien à l’investissement, où ils pêchent, et la création d’entreprises, où ils s’en sortent mieux.
Malgré le fait qu’ils soient sous le feu des critiques, ils ont apporté des compétences au Royaume. Les trois fers de lance de l’administration sur le dossier d’Al Hoceima – le gouverneur Hamid Chourak, le wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima Mohamed Yaakoubi et le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit – sont tous les trois passés en même temps par la case CRI, il y a 15 ans.
Ahmed Rahhou, PDG du Crédit immobilier et hôtelier, et président de la commission climat des affaires de la CGEM, aborde avec nous les difficultés auxquelles sont confrontés les CRI, et les avancées qu’ils ont permis de réaliser.
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Telquel.ma: Critiqués par le roi, les CRI n’ont-ils servi à rien depuis leur création?
Ahmed Rahhou: Les centres régionaux d’investissement ont globalement rempli leur mission de prestataire dans la création d’entreprises où leur aide est non négligeable. Ils aident notamment dans les processus auprès des administrations concernées, comme la CNSS, les impôts ou le registre de commerce.
Cependant, ce mécanisme est beaucoup plus efficace dans les régions où l’administration est présente comme à Rabat ou Casablanca que dans les régions isolées où l’administration est absente. Alors que la dématérialisation de la création d’entreprise est prévue d’ici 2018, le rôle des CRI dans ce domaine est voué à disparaître. Grâce à l’automatisation, les entreprises n’auront plus besoin de passer par ces centres.
Quelle est leur plus grande faiblesse ?
Pour les acteurs économiques déjà installés et qui ont déjà leur entreprise, l’utilité des CRI est faible, parce qu’ils ne s’occupent pas du suivi des investissements, alors que l’acte d’investissement est très important. Face à l’absence des CRI, les investisseurs s’adressent directement aux différentes administrations pour investir dans le branchement de l’électricité, l’installation de leurs infrastructures et leurs connexions. C’est la croix et la bannière.
Dans ces démarches, les CRI n’ont qu’un rôle de boîte aux lettres ou de fiche d’informations alors qu’ils pourraient avoir un apport plus conséquent. Ils n’ont pas suffisamment de pouvoir, de moyens d’action, ni de délégation de personnes avec des compétences.
Que doivent faire les CRI pour être plus efficaces selon vous?
À la CGEM, nous pensons que les CRI doivent devenir un véritable agent de suivi des investissements et des projets avec une véritable expertise. Ils doivent être des facilitateurs pour obtenir les autorisations nécessaires à leur activité et pour remonter les problèmes aux autorités locales ou au ministère concerné et au gouvernement.
Les CRI doivent avoir un rôle d’articulation entre l’investissement privé et le développement d’une région dans le cas où cette dernière met en place un programme de développement. Un acteur privé qui lance une zone industrielle détachée de tout programme routier et logistique cohérent peut se retrouver physiquement isolé. Le CRI peut être le lien entre investissements privés et programme de développement d’une région.
Pour cela, il faut s’appuyer sur une déconcentration des services centraux de toutes les administrations alors que le Maroc passe doucement d’un État centralisé à un État un peu décentralisé. Avant, il était obligatoire de monter à Rabat pour régler tous ses problèmes, ce qui est pourtant encore nécessaire quand on se retrouve face à une commune qui n’a pas les compétences de gérer un gros projet d’investissement.
La Cour des comptes a récemment relevé le manque de stratégie commune des CRI et leur rôle limité dans la déclinaison des politiques nationales au niveau local. Partagez-vous ce constat ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord. Dans le sigle CRI, le « R » de « région » est très important. Chacune a sa spécificité, que ce soit la pêche, le tourisme, l’agriculture… Ce ne sont pas les mêmes interlocuteurs ni les mêmes acteurs. Pour ce qui est de la déclinaison des politiques nationales au niveau local, c’est le fait des régions, pas uniquement des CRI. La difficulté d’investir ne vient pas seulement des CRI, c’est la chaîne entière de l’investissement qui est à revoir. Le roi Mohammed VI a seulement pris les CRI comme exemple.
Des CRI épinglés par la Cour des comptesDans le rapport annuel 2015 de la Cour des comptes publié le 24 avril 2017, des « résultats significatifs » avaient déjà été enregistrés concernant les créations d’entreprises, notamment grâce à la réduction des délais. Ce même rapport avait pointé du doigt « l’absence du suivi des entreprises« . Les CRI avaient d’ailleurs été critiqués sur le manque de « stratégie commune ». La Cour des comptes avait dénoncé « l’absence d’un statut particulier du personnel des CRI, l’existence de moyens financiers tributaires des subventions de l’État, l’absence de suivi des entreprises créées, ainsi qu’un rôle limité des CRI dans la déclinaison des politiques nationales au niveau local », comme l’avaient relevé nos confrères du Desk.ma. L’instance dirigée par Driss Jettou relevait par ailleurs « l’insuffisance de l’interconnexion informatique des CRI avec leurs partenaires, la représentation limitée des administrations au sein du guichet unique et l’absence d’un système unique de paiement des frais de création, ainsi que d’un cadre juridique qui régit la Commission régionale d’investissement« .[/encadre] Lire aussi : Hôpitaux, audiovisuel, culture: la Cour des comptes pointe les déficiences du secteur public |
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