Hôpitaux, audiovisuel, culture: la Cour des comptes pointe les déficiences du secteur public

Driss Jettou, premier président de la Cour des comptes, a publié ce lundi 24 avril son rapport relatif à l'année 2015. En voici les principales conclusions.

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Driss Jettou
Driss Jettou, premier président de la Cour des comptes. Crédit : DR.

Driss Jettou, le premier président de la Cour des comptes a présenté le rapport annuel de 2015, ce lundi 24 avril. Il y relève que « les indicateurs des finances publiques ont poursuivi leur tendance positive débutée en 2013 et ce, parallèlement à l’amélioration des équilibres macroéconomiques de notre pays ». Jettou n’en oublie pas pour autant les nombreuses difficultés auxquelles les caisses de l’Etat ont été confrontées. Il s’agit en particulier du « niveau élevé de la dette du Trésor (629,2 milliards de dirhams), sachant que la dette publique globale, y compris la dette garantie par l’Etat, a augmenté pour s’établir à près de 81% du PIB ».

Par ailleurs, au cours de l’année 2015, la Cour des comptes a rendu 399 arrêts en matière de vérification et de jugement des comptes et 25 arrêts en matière de discipline budgétaire et financière. D’après le rapport, l’instance a saisi le ministre de la Justice pour huit affaires justifiant des sanctions pénales.

Aussi, les magistrats de la Cour des comptes ont réalisé 28 missions dans le cadre du contrôle de la gestion et de l’évaluation des projets publics. Plusieurs institutions ont été passées au crible.

Problème de maintenance chez l’ONCF

Une partie du rapport est consacrée à l’Office national des chemins de fer (ONCF) et plusieurs dysfonctionnements y sont constatés. La Cour des comptes note ainsi que la gestion informatisée n’est pas généralisée. En se penchant sur le programme de maintenance, l’instance dirigée par Driss Jettou note qu’une « part significative du programme annuel n’est pas exécutée » et que de « nombreux matériels roulants circulent avec des restrictions temporaires ». Les magistrats de la Cour relèvent également qu’un « nombre important de demandes de matières nécessaires aux opérations de maintenance du matériel roulant » ne sont pas satisfaites, ce qui affecte « négativement l’exécution du programme de maintenance« .

ADEREE sans identité

L’Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (ADEREE) n’échappe pas aux critiques des experts de la Cour des comptes. Le premier dysfonctionnement relevé par les magistrats de l’institution concerne l’incapacité de l’Agence à définir depuis sa création en 2010 « sa contribution » à la mise en œuvre de la stratégie énergétique nationale. Une insuffisance qui selon les experts de la Cour rend l’ADEREE incapable de « développer des plans d’action s’inscrivant dans l’exécution des objectifs globaux » définis dans le cadre de cette stratégie. Le rapport signale également les projets qui ont pu être initiés par l’ADEREE « n’ont pas eu d’impact direct sur l’atteinte des objectifs » définis dans le cadre de la stratégie énergétique nationale.

Pour la Cour des comptes, l’Agence est restée cantonnée à une « logique d’action » datant du temps où elle était un centre de développement des énergies renouvelables (CDER). À ce titre, elle a mené des projets concernant « l’identification et l’évaluation du potentiel énergétique et non sa mobilisation ».

Le pôle audiovisuel public désynchronisé

Pour les magistrats de la Cour des comptes, le pôle audiovisuel public est en gestation depuis 2006 et souffre du manque de synergie entre ses deux principales composantes: la Société nationale de Radiodiffusion et de Télévision (SNRT) et Soread-2M. Outre l’absence de complémentarité dans l’action des deux sociétés publiques, les magistrats pointent aussi du doigt la gestion des finances de ces dernières.

Ainsi, la SNRT souffre d’une « dépendance accrue aux subventions de l’État », son chiffre d’affaires ne couvrant pas ses charges d’exploitation. Entre 2009 et 2015, ces charges ont représenté deux fois le chiffre d’affaires de la société qui n’arrive par ailleurs pas à faire décoller le niveau des recettes publicitaires, qui se sont établies à 169 millions de dirhams en 2015. De même, alors qu’un projet de contrat-programme devait être présenté par la SNRT à l’État en 2011, la Cour indique que rien n’a été signé depuis 2012. Quant à 2M, sa situation financière est « alarmante« . La société est en situation de déficit structurel et réalise des résultats négatifs depuis 2008.

Formation professionnelle: quid de la planification?

La Cour des comptes regrette le manque de maîtrise du processus de planification d’offre de formation professionnelle. Les magistrats relèvent ainsi « l’absence de carte prévisionnelle de la formation professionnelle« , un « retard dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie intégrée de la formation professionnelle« , ainsi que des « difficultés de maîtrise des besoins du marché de l’emploi« .

Outre ce qui s’apparente à une absence de stratégie, les experts de la Cour des comptes relèvent que l’action du secrétariat d’État à la formation professionnelle visant à améliorer l’attractivité de cette filière auprès des jeunes reste « limitée« . Sur le plan opérationnel, la Cour des comptes mentionne « l’absence d’un système informatique intégré » ainsi que l’insuffisance des indicateurs permettant d’effectuer le suivi et l’évaluation de la formation.

Culture en quête de stratégie

Selon la Cour des comptes, les documents de programmation du ministère de la Culture « ne peuvent être considérés comme des stratégies« . La politique culturelle de proximité du ministère est également remise en question. En effet, seuls 57 des 463 équipements culturels de proximité promis ont été créés par le ministère, soit moins de 13% du total.

Par ailleurs, les subventions accordées aux activités culturelles ont en outre été largement concentrées dans les régions de Rabat et de Casablanca, qui totalisent 59% des 46 millions de dirhams accordés. C’est cependant la politique patrimoniale qui concentre l’essentiel des critiques de la Cour des comptes. Les monuments historiques seraient ainsi insuffisamment identifiés et recensés, mal protégés juridiquement, et peu inscrits et classés. Par ailleurs, le rapport relève une « insuffisance » au niveau des mécanismes de sécurité et de sauvegarde de ces monuments.

CRI: Pas de suivi des entreprises

La Cour des comptes explique que la mise en place des différents Centres régionaux d’investissement (CRI) à travers le royaume a permis d’enregistrer des « résultats significatifs » pour les créations d’entreprises en permettant la réduction des délais. Les magistrats financiers relèvent cependant qu’il n’existe pas de « stratégie commune » à tous ces CRI qui établissent plutôt des stratégies individuelles. Les magistrats déplorent également l’absence de suivi des entreprises créées.

Domaine privé de l’État sous-valorisé

Les magistrats regrettent que le domaine privé de l’état, qui est estimé à 1,7 million d’hectares, ne fasse pas l’objet d’un recensement exhaustif concernant le foncier mobilisable. La Cour révèle par ailleurs que seuls 53% des immeubles de l’État sont immatriculés, tandis que 41% sont en cours d’immatriculation. Le rapport note également qu’aucun code des domaines de l’État n’a été élaboré.

La Cour relève par ailleurs une « faible mobilisation du foncier de l’État au profit de l’investissement« . Elle déplore également l’absence de politique foncière, l’action de l’État dans ce domaine se limitant à la « cession, l’acquisition, l’affectation et la location » en réaction à des besoins immédiats. Cette action devrait, d’après les magistrats, résulter d’une planification stratégique. Les procédures de cession restent par ailleurs marquées par « la complexité et la lourdeur » et ne répondent plus aux exigences des investisseurs.

Justice : l’investissement dans les infrastructures critiqué

Les programmes d’investissement du ministère de la Justice au niveau des infrastructures ont également été l’objet des critiques des magistrats. Ainsi, seuls 28 à 54% des moyens mis à disposition à travers le fonds spécial pour le soutien des juridictions ont été engagés sur la période 2010-2014. Par ailleurs, une forte proportion des crédits a été reportée à l’année suivante, ce qui représente une moyenne annuelle de 511 millions de dirhams pour le budget général, et 292 millions pour le fonds spécial.

Le rapport de la Cour des comptes met également en lumière l’absence de vision des projets à réaliser par le département de la justice. Cette lacune entraîne « des modifications fréquentes des programmes » et qui aboutissent à des « changements des juridictions bénéficiaires ou par la modification des lieux d’implantation des projets ». Les magistrats pointent en particulier trois exemples dont les travaux ont été abandonnés pour mauvaise évaluation des besoins: le tribunal de commerce de Rabat, le projet de tribunal de première instance de Ben Ahmed, et l’extension du Centre d’archives de Salé.

Le fonds de développement rural dans la tourmente

Ce fonds, destiné à financer le développement des régions rurales et montagneuses, se retrouve confronté à une faiblesse de ses ressources et de leur emploi. Le rapport pointe une fois de plus un manque de coordination dans la préparation des programmes. La Cour tire aussi la sonnette d’alarme sur les réalisations. Ainsi, les projets relevant du ministère de l’Urbanisme et qui sont financés par le fonds ont connu un taux d’exécution d’à peine 18%.

Hôpitaux sans factures

Le rapport de la Cour des comptes se penche également sur les dysfonctionnements constatés au sein des Centres hospitaliers régionaux (CHR) ou provinciaux (CHP). Dans le cadre de son enquête, l’instance a effectué des missions de contrôle dans quatre établissements: le CHR de Fès-Boulemane, les CHP de Ben Msik, Khemisset et Hay Hassani. Elle relève notamment l’absence de « budgets programmes » afférents aux centres hospitaliers contrôlés.

La Cour des comptes a également constaté des dysfonctionnements au niveau « de la facturation et du recouvrement des recettes » par les centres hospitaliers. Des dysfonctionnements, qui selon l’institution, ont permis de constater des écarts de 18,5 millions de dirhams « entre les sommes déclarées » et les « recettes correspondant aux prestations des services » au niveau du CHP de Hay Hassani entre 2008 et 2014. La Cour évoque aussi le cas de l’hôpital local de Tiflet où « 99% des prestations du service des urgences » n’ont pas été facturées lors des neuf premiers mois de l’année 2015.

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