Grossesses non désirées et mortalité en couche: la planification familiale a-t-elle un train de retard?

Alors qu'une femme mariée sur quatre au Maroc n'a pas désiré sa grossesse ou aurait souhaité la retarder, et que 73% des décès maternels sont évitables, le ministère de la Santé tarde à réagir.

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Crédit : Unsplash/Pixabay.

À l’occasion de la journée mondiale de la population le 12 juillet, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) et le ministère de la Santé ont présenté un bilan de la planification familiale au Maroc. Au-delà de la baisse spectaculaire de la fécondité qui a été divisée par 3 depuis les années 1960 à 2,21 enfants par femme, d’autres chiffres alertent sur la condition des femmes marocaines. Ainsi, une femme mariée sur quatre n’a pas désiré sa grossesse ou aurait souhaité la retarder, et 73% des décès en couche sont évitables.

Un plan d’action qui se fait attendre 

La baisse spectaculaire de la fécondité corrélée à la forte hausse du taux de prévalence contraceptive qui atteint 67,4% chez les femmes mariées (19% dans les années 1980) indique que les femmes maîtrisent globalement mieux leur fécondité.

Pourtant, 25,5% des femmes mariées qui tombent enceintes n’ont pas désiré leur grossesse ou l’auraient souhaitée plus tardive, a rappelé Bérangère Boell-Yousfi, responsable du FNUAP, lors de la conférence du 12 juillet.

Ce chiffre n’est en réalité pas récent, puisqu’il est issu de l’enquête nationale sur la population et la santé familiale menée par le ministère de la Santé en 2011. Le docteur Hafida Yartaoui, responsable du programme national de planification familiale au sein du ministère, nous précise que ces chiffres n’ont à l’époque pas fait l’objet d’une analyse approfondie pour comprendre les raisons de ces échecs.

« Nous avons pris du retard, c’est pour cela que nous allons mener une autre enquête afin d’actualiser les chiffres et d’analyser les raisons de ces grossesses non désirées. Est-ce culturel? Est-ce une mauvaise prise des contraceptifs oraux? Les échecs des préservatifs? Un problème d’accès à l’information contraceptive? Ou alors les maris refusent-ils la contraception? Il est essentiel de comprendre cela pour que le ministère puisse agir« , concède le docteur Yartaoui. 

Le démarrage de la nouvelle enquête est prévu pour septembre 2017, avec des résultats attendus au cours de l’année 2018. « Une fois que nous aurons les résultats, nous mettrons en oeuvre un plan d’action pour agir« , promet la responsable de la planification familiale.

En attendant, le docteur Yartaoui rappelle que des actions de sensibilisation à la contraception sont menées sur la durée par le ministère de la Santé, en collaboration avec l’Association marocaine de planification familiale qui dispose de centres de santé à l’échelle de tout le Maroc et de caravanes pour atteindre les endroits les plus reculés.

Des actions de sensibilisation sur les méthodes contraceptives de longue durée sont menées, notamment concernant le stérilet qui n’est utilisé que par 4,2% des femmes. Un projet pilote d’introduction de l’implant contraceptif est également en cours.

Cependant, il faut être une femme mariée pour avoir accès à ces centres de santé. « On ne demande pas de justificatif, mais on demande le nom du mari« , nous précise le Hafida Yartaoui. L’accès à la contraception pour les femmes célibataires reste donc compliqué dans le cadre public et associatif. Pourtant, la proportion de femmes en situation de célibat définitif (c’est-à-dire ayant toujours été célibataires) a connu une forte augmentation, passant de 0,8% en 1994 à 6,7% en 20 14.

Un tabou nommé avortement

Selon le chef de la direction de la population au ministère de la Santé, Khalid Lahlou, le ratio de mortalité maternelle est passé de 332 décès maternels pour 100.000 naissances vivantes en 1992 à 72,6 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2017, soit une baisse de près de 78% en 25 ans.

Si ce chiffre reflète une avancée considérable dans la prévention de la mortalité en couche, Bérangère Boell-Yousfi a apporté une nuance en rappelant 73% des décès actuels sont évitables. Le chiffre est issu d’une enquête menée en 2010 par le ministère de la Santé.

Le docteur Yartaoui nous explique: « à la suite d’un décès maternel, une commission se déplace pour déceler les raisons du décès. Il est considéré comme évitable s’il avait pu être évité en appliquant les recommandations des bonnes pratiques« .

Par ailleurs, « une grossesse désirée réduit la mortalité maternelle« , estime la responsable de la planification familiale. D’une part, car « une femme qui n’a pas les moyens ou le temps de s’occuper de son enfant, du fait par exemple de grossesses trop rapprochées, peut être fragilisée« .

D’autre part, « qui dit grossesse non désirée dit avortements clandestins ne répondant pas aux normes sanitaires, et donc dangereux pour la santé. La question de l’avortement a été intégrée au niveau des enquêtes nationales, mais c’est un sujet tabou et la majorité des femmes refusent de répondre« .

Un tabou que la responsable du Ministère de la Santé n’entend visiblement pas lever, qui considère que « la solution n’est pas la légalisation de n’importe quel avortement. Il ne faut pas que les femmes arrivent à cette étape, nous devons surtout agir sur le volet préventif« .

Interrogée par nos soins sur le projet de loi 10.06 visant à légaliser l’avortement en cas de viol, inceste, mère atteinte de troubles mentaux ou malformation fœtale, qui avait été adopté en juin 2016 par le conseil de gouvernement, mais n’est pas encore arrivé au Parlement, la responsable n’a pu nous donner de précisions concernant son calendrier.

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