« La voix du Hirak« , et « l’artiste« . C’est ainsi qu’est perçue Salima Ziyani, alias Silya (son nom en amazigh), par les jeunes du Hirak d’Al Hoceima. Son arrestation le 5 juin et son placement en détention provisoire à Oukacha le 10 juin ont ému. Depuis, ses avocats et sa famille ont déclaré que la chanteuse et comédienne de 23 ans « souffrait de dépression« .
Des assertions contredites plus tard par d’autres sources proches, qui affirment au contraire que la jeune femme tient le coup. Des voix d’acteurs de la société civile et d’autres personnalités, comme Marcel Khalifé, se sont alors levées pour demander la libération de la jeune fille.
Le ministre des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid, a émis le souhait que Silya Ziani soit poursuivie en état de liberté lors d’une conférence sur le Hirak tenue le 7 juillet. Et bien qu’une demande de liberté provisoire ait été déposée le 13 juillet auprès du juge d’instruction, Silya Ziani est toujours en prison.
Outre son jeune âge, c’est tout le parcours de la jeune femme qui lui vaut cette sympathie. Avant de rejoindre les rangs du Hirak, d’abord comme simple manifestante puis en devenant une figure notable du mouvement, la jeune femme « se donnait corps et âme à l’art« , nous souffle Ali El Abouti, ami de Silya Ziani et acteur culturel. « On se voyait tout le temps à la maison de jeunes d’Al Hoceima où elle répétait avec sa troupe. C’est une artiste passionnée et talentueuse. Elle aimait ce qu’elle faisait et a réussi malgré son jeune âge à imposer sa passion pour le théâtre et la musique« , poursuit El Abouti.
Benjamine d’une famille modeste de six enfants, Silya Ziani est en effet membre de la troupe de théâtre amazigh Tifessouine, « une compagnie locale qui a joué entre Nador, Tanger, Tétouan et même Oujda« , raconte encore Ali El Abouti. Une des pièces de la troupe intitulée « Tringa » a d’ailleurs été diffusée le 12 mars sur Tamazight TV, la huitième chaîne du pôle public.
Si la comédienne fait ses premiers pas sur les planches, sa véritable passion est le chant. La native du village rifain d’Izzemouren a commencé à chanter dès sa tendre enfance, nous confie son ami. Elle reprend des morceaux de l’Izran, un art ancestral rifain, et se produit sur de petites scènes dans la région. Elle chante l’amour, la terre et la nation.
« Je l’ai connue il y a trois ans à travers sa musique. Elle a le mérite de faire revivre notre patrimoine musical et elle le fait avec talent« , nous indique El Mortada Iamrachen, autre figure de proue du Hirak, poursuivi en état de liberté provisoire.
« Nous vivons dans une région conservatrice, mais Silya est une femme libre qui résiste et insiste pour vivre ses passions. Dans ce contexte, elle donne l’exemple à toutes les jeunes filles de la région« , ajoute-t-il.
Cependant, nuance Ali El Abouti, « l’image d’un Rif conservateur et renfermé est un cliché. La famille de Silya et à commencer par son père la soutient et n’a aucun problème à vivre son art pleinement« . En parallèle de ses performances scéniques, Silya Ziani poursuit des études de littérature anglaise à la faculté des lettres et des sciences humaines à Oujda.
Il y a plus huit mois, la mort tragique de Mohcine Fikri, grossiste de poisson broyé par une benne à ordures, la pousse à tout laisser pour investir les rues d’Al Hoceima. « Je n’ai plus le choix, il faut que ça marche« , nous confiait-elle à ce sujet quelques jours avant son arrestation.
« Au début, elle sortait manifester comme tout le monde. Elle ne faisait pas partie des leaders du mouvement. Mais au fil du temps, elle a réussi à s’imposer par sa voix« , nous dit son ami Ali El Abouti.
« Dès février, elle a pris le micro au cours des manifestations. Ça me rappelle d’ailleurs un épisode poignant. Quand les forces de l’ordre ont dispersé violemment une manifestation en commémoration à Abdelkrim El Khattabi, nous avons passé la journée ensemble. Malgré sa force et sa résignation, elle pleurait en demandant pourquoi ils faisaient ça. Elle déteste la violence« , raconte El Mortada Iamrachen.
Les choses s’accélèrent après l’incident du 26 mai, lorsque le leader du Hirak Nasser Zafzafi interrompt un prêche à la mosquée. Malgré les premières arrestations visant les meneurs du mouvement de contestation, Silya Ziani ne flanche pas et répond à l’appel des manifestations en soutien aux détenus du Hirak. « Elle a tenu à continuer à se battre. Je me rappelle qu’elle a habilement géré une manifestation à Sidi Abed, et que le lendemain, elle a été arrêtée« , se souvient El Mortada Iamrachen.
Poursuivie pour « participation à une manifestation non autorisée » et « outrage à agents publics lors de son arrestation« , la jeune artiste et activiste est incarcérée à Oukacha depuis plus d’un mois en cellule individuelle.
Le juge d’instruction a confié à son père que la jeune femme serait en « tête de liste » si la libération provisoire était accordée aux détenus du Hirak, révèle le quotidien Akhbar Al Yaoum dans son édition du 14 juillet. C’est le seul espoir auquel se raccroche la famille de la jeune femme, pour l’instant.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer