On a d’abord cru à une fake news. « L’information est tout à fait réelle« , rassure d’emblée Mohammed Talbi, le doyen de la faculté des sciences de l’université Hassan II de Casablanca-Ben M’Sik. Son étudiant, Mouad Mkamel, a bien inventé une machine pour extraire le venin des scorpions. Une avancée scientifique de taille pour cet étudiant en doctorat au laboratoire de biologie de santé, sous la direction du docteur Rachid Sail.
En automatisant l’extraction du venin, Mouad Mkamel pourrait mettre un terme à des pratiques dangereuses, mais nécessaires pour la science, le venin du scorpion étant utilisé en médecine dans la recherche d’antidotes notamment. L’invention pourrait aussi révolutionner d’autres secteurs, puisque le fameux venin entre aussi dans la composition de certains produits cosmétiques.
Le professeur de biologie Anass Kettani, qui a encadré ce travail, explique le projet :
« Notre objectif est de récolter le venin sans le détériorer, ni blesser l’animal. La machine est programmée par ordinateur pour envoyer une légère décharge électrique en fonction de chaque espèce. Il suffit d’appuyer sur un bouton depuis une télécommande. Il en résulte une goutte, extraite dans un mécanisme de récupération étanche. »
Cette invention est le fruit d’un travail de 4 ans. La machine, baptisée VES-4, et son fonctionnement sont aujourd’hui brevetés. L’équipe de chercheurs a sans doute réalisé une avancée scientifique qui pourrait attirer de nombreux investisseurs, notamment en raison du prix exorbitant du venin une fois extrait. Ce dernier avoisine les 8.000 dirhams le gramme.
Sécurisation et automatisation
Facilement transportable, le VES-4 s’adapte à la recherche en laboratoire comme sur le terrain. Les décharges sont envoyées en serrant la queue du scorpion, sans risque de piqûre pour le chercheur. Une avancée notable en termes de sécurité, comme l’a expliqué son inventeur au média Inverse :
« L’extraction du venin est une tâche difficile. Il faut au moins deux personnes pour procéder à cette opération qui présente plusieurs risques, comme le dard mortel du scorpion et les chocs causés par les stimulateurs électriques ».
« Avec cette invention, nous passons d’un procédé mécanique à une véritable automatisation« , se réjouit Anass Kettani. Cette avancée 100% marocaine pourrait donc réduire sensiblement le fléau des piqûres de scorpion, dont 30.000 cas sont recensés chaque année au Maroc.
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D’après une étude réalisée par le ministère de la Santé en 2013, près du tiers ont lieu dans la région de Marrakech, qui est suivie de Souss-Massa. Si les décès liés à ces piqûres ont rapidement chuté ces dernières années (400 en 1989 contre 56 en 2015), le phénomène persiste. L’un des cas les plus emblématiques est celui d’un jeune garçon du village de Tamri, décédé à la suite d’une piqûre de scorpion en août 2016.
Le venin: médicament et accessoire de beauté
Également chargé de l’encadrement du projet, le professeur de chimie Omar Tanane applaudit le travail son étudiant. « Grâce à cette invention, des progrès peuvent être réalisés dans la recherche contre le cancer comme dans le domaine des antidotes« , sourit-il. Aux États-Unis, des chercheurs ont en effet mis au point une « peinture de tumeur cancérigène » à base de venin de scorpion. En circulant, ce produit illumine les cellules cancéreuses, notamment dans le cerveau. Facilitant ainsi le travail du médecin pour les combattre.
Dans une plus large mesure, les venins des abeilles et des serpents peuvent aussi être utilisés pour combattre les tumeurs cancérigènes. Leur point commun avec celui du scorpion: chacun contient des protéines et des peptides qui, lorsqu’ils sont isolés, peuvent se fixer aux cellules cancéreuses. Une source d’espoir pour les malades du cancer dont le nombre pourrait atteindre 26,4 millions à l’horizon 2030 selon l’International Agency for Research on Cancer (IARC). À l’université Hassan II comme dans celle de l’Illinois Urbana-Champaign qui travaille dans ce domaine aux États-Unis, la recherche progresse et offre de belles perspectives.
Dans le domaine des cosmétiques, le venin du scorpion est également utilisé pour ses fonctions paralysantes. Certaines marques l’utilisent ainsi comme du botox pour immobiliser les muscles et lisser le visage. Le venin peut ainsi permettre de lutter des syndromes de contractions involontaires des paupières ou du cou ou encore un strabisme. Cependant, ses effets à long terme n’ont pas encore été étudiés quant aux risques éventuels pour l’organisme. Ce qui n’empêche pas des « crèmes de venin de serpent » d’être commercialisées.
Fierté nationale
Fier de cette invention 100% marocaine, le professeur de biologie Anass Kettani ne tarit pas d’éloge sur son étudiant :
« Je suis fier de Mouad Mkamel. C’est un plaisir de voir des étudiants réaliser de belles choses avec les moyens du bord. J’ai personnellement fait mes études en France, et je suis comblé lorsque des étudiants marocains produisent des innovations dans leur propre pays. »
Passionné par les scorpions et les serpents, Mouad Mkamel s’était déjà distingué lors d’une compétition entrepreneuriale organisée par l’université sur des projets innovants. Parmi ses hauts faits: la classification précise des scorpions sur le territoire marocain selon les espèces. « Un travail inédit et particulièrement enrichissant« , précise Anass Kettani. Pour autant, beaucoup de choses sont encore à découvrir autour de ce mystérieux arachnide. Si son venin peut tuer, il ne fait plus de doute qu’il sauve aussi de nombreuses vies à l’avenir.
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