De notre envoyé spécial à Addis-Abeba
Le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita a eu des entretiens bilatéraux avec son homologue du Nigéria Geoffrey Onyeama, puis des Comores Mohamed Bacar Dossar, le 30 juin au siège de l’Union Africaine (UA) à Addis Abeba, à l’issue de la première journée du 31e Conseil exécutif de l’UA qui réunit les 55 ministres des Affaires étrangères des membres de l’organisation. Telquel.ma a suivi les télévisions marocaines lorsqu’un membre de la délégation marocaine est venu les chercher pour filmer les premières secondes de ces deux rencontres. Après le départ des caméras, notre présence discrète a été tolérée tout au long du premier entretien, puis expressément acceptée lors du second, nous permettant ainsi d’être les témoins privilégiés d’un exercice de la diplomatie marocaine en action, sans le fard de la communication.
Avec le Nigéria, le gazoduc comme colonne vertébrale
Lorsque nous pénétrons dans la salle, le ministre nigérian attend Nasser Bourita avec son conseiller. Nous l’interrogeons sur l’ordre du jour de cette rencontre, vont-ils évoquer le sujet du gazoduc atlantique reliant le Nigéria au Maroc ? « Je ne sais pas, c’est le ministre marocain qui est à l’origine de cette rencontre, » répond-il. « Pour le gazoduc, ce sont les études de faisabilité qui vont déterminer beaucoup de choses pour la suite. Il y a encore beaucoup de travail, » précise-t-il. Il sera bien question de ce projet pharaonique, lors de l’entretien. Les deux ministres échangent en français, sans note, entourés d’une poignée de conseillers, avec quelques passages en anglais pour traduire aux collaborateurs nigérians. Devant les caméras, les premiers mots sont à voix basse, mais nous parvenons à comprendre que Nasser Bourita fait part à Geoffrey Onyeama que « Sa Majesté est très satisfait » des engagements pris le 15 mai à Rabat, et qui instituent une commission mixte entre la Compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC), et l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) pour la réalisation d’études de faisabilité. « C’est bon, nous avons constitué notre task force qui va rapidement se rendre à Abuja, » précise Nasser Bourita.
L’allier à la CEDEAO
Le ministre marocain exprime aussi ses remerciements au ministre nigérian pour son soutien à la CEDEAO et son intervention « décisive« . « Je suis désolé, je vous ai appelé très tard ce jour-là. Je ne sais même plus à quelle heure c’était, » sourit Nasser Bourita. Puis reprend son sérieux : « Les instructions de Sa Majesté sont très claires. Nous sommes prêts à explorer toutes les stratégies de la coopération. Nos instructions sont de partager avec vous toutes les informations que nous avons, et de recevoir toutes vos requêtes. » « Nous apprécions également cette coopération, et notre président a lui aussi exprimé sa satisfaction de la coopération, » abonde Geoffrey Onyeama.
Aller plus loin
« Il y a deux choses maintenant pour aller plus loin. La première c’est votre visite à Rabat. Ce serait la première visite bilatérale d’un ministre des Affaires étrangères nigérian au Maroc, c’est pourquoi il faut le faire vite, pour marquer l’histoire. La seconde, c’est qu’il faut que l’esprit d’entente entre Sa majesté et Son excellence [Muhammadu Buhari, président du Nigéria, NDLR] se voit à notre niveau de ministres, mais également à celui des ambassadeurs, » explique Nasser Bourita dans ce qui semble être la partie moins agréable de la rencontre. Il enchaine sur une note plus joyeuse : « Il y a eu pendant ramadan beaucoup d’oulémas nigérians qui ont assisté aux causeries religieuses au Maroc. Lors de la troisième, le gendre de Cheikh Hussein a parlé de la ‘dimension religieuse dans la relation entre le Maroc et le Nigéria’. Votre ministre des Infrastructures y a assisté d’ailleurs. Il était au Maroc pour visiter Tanger Med, il en a profité pour assister à la causerie et a passé le vendredi avec Sa majesté. » Avant de se quitter, Nasser Bourita exprime le souhait du Maroc que la coopération continue sur les gros projets – gazoduc, OCP – mais se décline aussi à des niveaux inférieurs. « Et n’hésitez pas à m’appeler à n’importe quelle heure s’il y a quoi que ce soit. Moi je n’hésiterais pas, comme la dernière fois, » conclut-il.
Comores, les anciens étudiants du Maroc
La réunion avec la délégation des Comores, avec à sa tête le ministre des Affaires étrangères des Comores Mohamed Bacar Dossar, est d’emblée marquée par des relations très personnelles. « Que celui qui a étudié au Maroc lève la main, » plaisante Bourita en les accueillant. Devant une forêt de mains levées, il se reprend : » Bon, que celui qui n’a pas étudié au Maroc lève la main, ce sera plus simple ». Rire général. Le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, a lui-même étudié à l’Académie royale de Meknès. De cette période et/ou des relations antérieures avec le Maroc, il garde un fort attachement au royaume, au point d’avoir déclaré en avril 2017 qu’il était prêt à soutenir l’équipe des Lions de l’Atlas face à celle des Comores pour les éliminatoires de la CAN2019. La rencontre du 30 juin est d’ailleurs marquée par ces témoignages. « J’ai fait l’Université Hassan II. Je suis conseiller économique ici à l’ambassade en Éthiopie, » explique un membre de la délégation comorienne. « J’étais invité à un ftour aux Comores pendant ramadan, mais ce n’était pas un vrai ftour parce qu’il n’y a avait pas de chebakia, » plaisante une autre. « C’est un élément très spécifique de cette relation, les Comoriens tissent des liens personnels pendant leurs études au Maroc qui perdurent après. C’est un atout, » résume Nasser Bourita. En ce sens, les deux délégations se mettent d’accord pour qu’une commission mixte des Comores se rende à Rabat pour la première dizaine de septembre. L’occasion d’officialiser l’octroi par le Maroc d’une centaine de bourses d’études au profit de jeunes Comoriens. Le Maroc insiste pour que des responsables comoriens en matière d’habitat social fassent partie de la délégation. Des entrepreneurs et des chefs d’agences de promotion des investissements feront aussi le déplacement.
Vers l’ouverture d’une ambassade des Comores à Rabat
Le ministre comorien met sur la table le dossier de l’ouverture d’une ambassade des Comores à Rabat, dont le bâtiment est déjà prêt. « Oui bien sûr, vous pouvez entamer le processus de sélection de votre ambassadeur pour que nous le recevions rapidement, » répond Bourita.
Alliés contre la RASD à l’UA
Puis vient le moment de détailler la stratégie du Maroc à l’Union africaine. Sans détour, Nasser Bourita explique que « l’objectif reste le même« . « La parenthèse de la cohabitation avec la RASD dans cette institution a été ouverte, mais il faut que la vérité éclate. En contactant les délégations, on se rend compte que tout le monde est gêné par cette cohabitation. C’est pour nous une période de vigilance, parce qu’il y a beaucoup de mains invisibles face à nous. Il va falloir gérer cela. On prendra des coups, on verra comment ça va évoluer, mais le Maroc ne sera pas celui qui créera les problèmes. Nous restons vigilants et nous préparons pour que l’organisation reflète les positions de ses États membres. Deux tiers d’entre eux ne reconnaissent pas la RASD, pourtant elle est là. Il faut que l’Afrique n’ait pas honte d’aller parler avec tous ses membres avec ses interlocuteurs. On aura la rencontre Japon-Afrique prochainement, et la RASD ne sera pas présente. Soit on continue avec cette schizophrénie, soit on clarifie, » expose le ministre marocain. « Nous comprenons parfaitement et nous sentons que c’est la meilleure stratégie. Nous espérons qu’une solution sera trouvée à terme, » acquiesce son homologue comorien. « Inchallah, » lui répond Bourita.
Le représentant permanent des Comores à l’Union africaine prend alors la parole : « Le problème, c’est que leurs soutiens tiennent le Conseil Paix et de sécurité. On découvre les débats aux derniers moments, car les documents ne sont pas transmis en temps et en heure« . Bourita ne semble pas surpris : « C’est pour ça qu’il va falloir qu’on travaille ensemble sur les candidatures. Il faut que nous nous coordonnions pour travailler de l’intérieur, dans les structures de la Commission et ne pas laisser une minorité faire en sorte que la majorité soit spectatrice ». Il conclut l’entretien en appelant à préserver la relation Maroc-Comores, en veillant à ne pas la « laisser en pilotage automatique« .
Le 1er juillet Nasser Bourita a eu des entretiens de même nature avec ses homologues de Zambie, de la République du Congo (Brazzavile) et de la République démocratique du Congo. Il devait rencontrer la délégation chinoise dans la soirée.
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