Nawal Ben Aissa est-elle vraiment la relève de Nasser Zafzafi?

La presse, dont TelQuel, est sans doute allée trop vite en besogne en voyant en Nawal Ben Aissa une relève à Nasser Zafzafi. Précisions, et mea culpa.

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Crédit: Yassine Toumi/Telquel

Depuis l’arrestation du leader du mouvement populaire dans le Rif Nasser Zafzafi le 29 mai, les habitants d’Al Hoceima se sont réunis quotidiennement en soirée dans le quartier de Sidi Abid pour réclamer sa libération ainsi que celle de ses proches détenus avec lui au siège de la BNPJ à Casablanca. Dans les communes alentour également, la mobilisation est marquée, notamment à Imzouren où les habitants manifestent jusqu’à deux fois par jour.

Le mardi 30 mai, la mobilisation était particulièrement forte à Al Hoceima. Il serait hasardeux d’avancer un chiffre, mais la présence des manifestants se mesure assurément en milliers de personnes. Devant eux, une femme a notamment pris la parole. Nawal Ben Aissa. Au micro, elle est écoutée. Les manifestants reprennent sans hésiter ses slogans. C’est que Nawal Ben Aissa est déjà connue. S’il elle n’est apparue que rarement aux côtés de Nasser Zafzafi et qu’elle n’a pris la parole en public qu’une seule fois auparavant, cette mère de quatre enfants a une certaine popularité sur les réseaux sociaux. Elle a notamment été remarquée en postant des vidéos où elle venait en aide à des personnes ayant besoin de médicaments, ou accueillant chez elle des habitants de la région ayant besoin de passer une nuit à Al Hoceima pour se faire soigner.

Surtout, dans les rangs de la manifestation, on est fier qu’une femme se fasse le visage du mouvement. « C’est la première fois que les femmes sont autant présentes dans les contestations du Rif. C’est historique, » nous confie alors l’un d’entre eux. La presse nationale et internationale étant particulièrement présente ce jour-là aussi, et tentant de rationaliser un mouvement dont les subtilités échappent parfois aux journalistes, elle voit rapidement en Nawal Ben Aissa le nouveau leader du mouvement populaire. La Rifaine de 36 ans se rend accessible pour des interviews au cours desquelles elle incarne une révolte apaisée, pacifique, et féminine.

Elle incarne, certes. Mais elle ne dirige pas. Et TelQuel a pu parmi d’autres médias commettre des imprécisions à cet égard. En effet, nous avons passé quelques minutes avec Nawal Ben Aissa après le rassemblement du 31 mai. Au moment, où la manifestation se disperse pour respecter la limite légale de minuit, elle est sollicitée de toute part par des militants qui lui demandent de donner telle ou telle forme à la mobilisation. Dans le lot, nous croyons saisir que les manifestants demandent à boycotter le supermarché Marjane d’Al Hoceima, pour soutenir les commerçants qui fermeront boutique le lendemain. Quelques minutes plus tard, lorsque nous la retrouvons à l’écart de l’agitation, en compagnie de son mari et d’un de ses quatre enfants, nous lui demandons s’il est effectivement question de boycotter Marjane. « Non, il n’a jamais été question de ça. Je suis moi-même une cliente fidèle de Marjane, » répond-elle. Au cours de cet entretien, elle insiste bien sur le fait qu’elle n’est pas une chef, qu’elle ne fait « que porter la voix du peuple« . Elle confie également ne « pas avoir peur » de connaitre le même sort que Nasser Zafzafi, car « je sais que je suis dans mon droit, » dit-elle. Elle précise également que la police a effectué une enquête de voisinage à son sujet.

Le lendemain matin, pourtant, elle publie une vidéo dans laquelle elle semble plus anxieuse. Elle indique qu’elle va se rendre à la police, et qu’elle ne se « terrera pas, ne se cachera pas« . Elle se rend effectivement devant le commissariat s’attendant à être arrêtée. « Elle a patienté quelques minutes, avec son mari et d’autres militantes. Personne n’est venu la chercher, donc elle a fini par repartir, » témoigne le photographe d’une agence de presse internationale qui a assisté à la scène. Plus tard, des sources policières autorisées au 360.ma ont assuré qu’il n’y avait aucun mandat d’arrêt à son encontre.

Le soir venu, les habitants d’Al Hoceima tentent d’affluer vers Sidi Abid pour la manifestation quotidienne. Des cordons de policiers filtrent sur une artère principale d’Al Hoceima, et la manifestation démarre plus tard que prévu, en nombre réduit. Un bon millier de personnes parvient tout de même à rejoindre les rangs du rassemblement. Pas Nawal Ben Aissa. Joint par un militant, elle dit « avoir été empêchée« . Nous ne saurons pas par qui. Mais dans les rangs de la manifestation, plusieurs personnes se contentent de son absence. « Il n’y a pas de leader, le leader c’est le peuple, » explique un manifestant. Surtout, ce soir-là, au cours de la manifestation, le mouvement populaire décide effectivement d’appeler au boycott de Marjane qui n’a pas suivi l’appel à la grève générale globalement suivie par les commerçants d’Al Hoceima.

Alors, feu de paille Nawal Ben Aissa ? Les médias, et TelQuel aussi à sa manière, lui ont assurément prêté plus de prérogatives qu’elle n’en avait. Nawal Ben Aissa est l’un des visages de ces manifestations. Un visage beaucoup filmé et photographié au cours des derniers jours. Un visage féminin qui symbolise la forte présence des femmes dans les rangs du mouvement populaire. Le visage d’une femme engagée et investie.

La figure incontestée du mouvement demeure Nasser Zafzafi. En témoignent ses portraits (sur le t-shirt de Nawal Ben Aissa aussi) et les slogans (« Koulouna Zafzafi ») omniprésents dans les manifestations. Sa libération et celle de ses codétenus est devenue la première revendication du Hirak. Une condition sine qua non selon les militants pour, éventuellement, ouvrir la porte du dialogue sur les revendications suivantes.

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