Nabil Mouline: "Le sommet arabo-islamo-américain est un coup marketing"

L'Arabie Saoudite abrite le 21 mai un sommet arabo-islamo-américain sur la lutte contre l'extrémisme et le terrorisme. Nabil Mouline, historien, politologue et chargé de recherche au CNRS, nous éclaire sur cette rencontre qui se tiendra à Riyad.

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Donald Trump se rendra en Arabie Saoudite le 19 mai pour sa première visite officielle à l’étranger. Visite au cours de laquelle se tiendra un sommet arabo-islamo-américain, le dimanche 21 mai. Cette rencontre sera principalement consacrée à la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Spécialiste de l’Arabie Saoudite et de l’islamisme, Nabil Mouline revient sur les enjeux du sommet de Riyad.

Telquel.ma: Que peut-on attendre du sommet du 21 mai?

Nabil Mouline : L’Arabie Saoudite est la championne des rencontres internationales et c’est une habitude qui remonte aux années 1920. L’organisation de telles manifestations est un levier politique utilisé par la diplomatie saoudienne depuis exactement 1926, quand le pays a organisé la première conférence islamique pour combattre les prétentions égyptiennes au califat. Depuis, l’Arabie Saoudite se réclame l’héritière de toutes les prétentions des réformistes musulmans du XIXe et début XXe siècle. Mais ce positionnement avait pour seul but de servir l’agenda politique saoudien, c’est-à-dire défendre sa monarchie et étendre son influence notamment à travers l’expansion du wahhabisme.

Le flux des revenus pétroliers à partir des années 1960 et la guerre froide avec l’Égypte a permis aux Saoudiens de mettre définitivement en œuvre leur stratégie de soft power. Cette stratégie se décline notamment à travers ce qu’ils ont nommé « la solidarité islamique« . Ils veulent être les « champions de l’islam », défendre les intérêts du monde musulman. Les conférences, les réunions, les sommets restent un levier très important pour défendre les intérêts de l’Arabie Saoudite et donner à voir son influence et sa puissance.

Quel sens donnez-vous à la dénomination de ce sommet « arabo-islamo-américain »?

Il y a une distinction à faire entre islamique, islamiste et musulman. Lorsqu’on dit « islamique », on entend par là l’identité musulmane, au-delà de la simple spiritualité à laquelle renvoie le terme « musulman ». Et lorsqu’on parle dit « islamiste », on parle d’un projet politique au cœur duquel se trouve un islam réinventé. Pour revenir au sommet, par la dénomination « arabo-islamo« , les Saoudiens montrent qu’ils sont les héritiers et défenseurs de l’arabisme, mais aussi de l’islam. Une forme d’arabité, très conservatrice, qu’incarne bien l’Arabie Saoudite et une forme d’islamité singulière qui est la leur, le wahhabisme. Cela étant, l’Arabie Saoudite n’est pas à l’origine de l’islamisme. L’islamisme est un phénomène extrêmement complexe qui puise ses racines en Égypte, puis ailleurs. L’Arabie Saoudite a néanmoins joué un rôle considérable dans la promotion des différentes formes de l’islamisme.

Que vous suggère l’exclusion des chiites, et notamment de l’Iran de ce sommet?

On peut l’expliquer par de nombreuses raisons, dont trois principales. Tout d’abord, dédouaner l’Arabie Saoudite. Chaque représentant d’État, convié à ce sommet, affirmera que l’Arabie Saoudite ne soutient pas – sous quelque forme que ce soit – le radicalisme, l’extrémisme, le terrorisme ou le conservatisme. Ensuite, par ce sommet, l’Arabie Saoudite veut isoler l’Iran. Elle veut montrer qu’elle est capable de rassembler une alliance très large pour isoler l’Iran qu’elle considère comme un ennemi. Enfin, la dernière raison qui rejoint un peu la première, c’est la volonté de se démarquer des Frères musulmans et des jihadistes qui sont les principaux ennemis de l’Arabie Saoudite dans le monde sunnite.

Pourquoi l’Iran, les Frères musulmans et les jihadistes? Car ils sont, tout simplement, les concurrents directs de l’Arabie Saoudite. Ils ont beau se revendiquer comme des théocraties (les jihadistes ont prétendu instaurer un califat qui n’a pas fonctionné), ils restent des ennemis à l’égard de l’Arabie Saoudite, car ils utilisent le même référentiel qu’elle et veulent renverser à terme les Saoud.

Depuis 2011 et surtout depuis 2013, il y a une surenchère entre ces acteurs pour dire qui est le plus musulman et qui est le dépositaire exclusif de cette religion. L’Arabie Saoudite, par l’intermédiaire de ses réseaux, de son aura, veut réussir un coup marketing pour prouver qu’elle se démarque des acteurs précités et qu’elle se dédiabolise vu qu’elle est pointée du doigt à chaque fois.

Puisqu’elle est fréquemment pointée du doigt quand on parle d’extrémisme, l’Arabie Saoudite a-t-elle la légitimité pour accueillir un tel sommet?

Il faut distinguer légitimité et légitimation. La première n’existe pas en soi. Il s’agit d’un processus de construction sociale et politique. Financièrement, politiquement et diplomatiquement, l’Arabie Saoudite est quasiment la seule puissance capable d’assurer ce genre de manifestation. Ils ont réussi à s’imposer comme un acteur fondamental, important et axial de l’islam, de l’islamisme. Pour cela, ils jouent sur plusieurs terrains à la fois.

L’Arabie Saoudite reçoit le président américain Trump et le convie à ce sommet qui s’intéressera à la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. D’autres chefs d’État étrangers  méritaient peut-être leur place à ses côtés, d’autant plus qu’ils sont tout aussi touchés par ce fléau si ce n’est plus. Pourquoi ne pas avoir convié plus de dirigeants étrangers?

Les États-Unis sont quasiment la seule puissance qui compte aux yeux des dirigeants saoudiens depuis 1945. Ces derniers considèrent que Washington est la seule capitale capable, du moins théoriquement, de participer activement à la lutte contre le terrorisme et de protéger leur régime. Par ailleurs, le fait de convier Trump à ce sommet relève d’une question interne au Royaume. Mohamed Ben Salman, le vice-prince héritier essaie de se légitimer, de se donner une stature internationale. Il veut montrer à ses concurrents qu’il est en mesure d’amener Trump en Arabie Saoudite, comme s’il était une guest-star. Il tente de montrer qu’il mobilise, qu’il amène de grands chefs d’État contrairement au prince héritier. C’est une question interne. C’est un coup marketing. Je doute fort que ce sommet accouche de résolutions simples ou applicables à court terme.

Comment Téhéran peut-il réagir à ce sommet de son voisin saoudien? 

Les Iraniens feront peut-être des déclarations aux agences de presse. Je ne pense pas que l’Iran organisera un contre-sommet dans l’immédiat. Les dirigeants de Téhéran ont d’autres leviers qui peuvent être plus efficaces que les leviers saoudiens pour influer sur le cours des choses.

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