On en sait un peu plus sur les détails du projet de gazoduc Nigéria-Maroc. Ce qui a été rapporté par la communication officielle de la signature d’accords le 15 mai à Rabat — en présence de Mohammed VI et des ministres des Affaires étrangères marocain et nigérian — jetait encore plus de trouble sur ce projet pharaonique aux contours déjà flous. Certes mis en scène, c’est pourtant bien un pas vers la concrétisation de ce projet qui a été franchi le 15 mai avec le lancement officiel des études de faisabilité techniques et financières. À se demander en quoi consistaient les précédentes annonces.
Le projet n’avait-il pas déjà été lancé en décembre lors de la visite du roi au Nigéria? « Rien n’a été signé à Abuja pour le gazoduc. Au Nigéria, ce sont deux chefs d’État qui se sont mis d’accord pour que leurs deux pays travaillent ensemble« , déclare une source proche du dossier. En effet, lors de la visite de Mohammed VI au Nigéria en décembre, Salaheddine Mezouar, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, et son homologue nigérian Geoffrey Onyeama publiaient un communiqué commun dans lequel ils annonçaient que les deux pays avaient « décidé d’étudier et de prendre des mesures concrètes pour la promotion d’un projet de Gazoduc régional appelé à relier les ressources gazières du Nigéria, celles de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et le Maroc ». Déjà, les deux ministères annonçaient que le pipeline serait « conçu dans le but d’accélérer les projets d’électrification dans toute la région« . « On était dans l’initiative, on est désormais dans le lancement du concret« , résume notre source.
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Pourtant, dans un communiqué daté du 3 décembre, le fonds souverain marocain Ithmar Capital annonçait bien qu’il avait signé avec son homologue nigérian, la Nigeria Sovereign Investment Autority (NSIA), « un accord de partenariat stratégique pour appuyer le projet d’envergure« . « Le partenariat des deux fonds souverains montre bien qu’il ne s’agit pas d’un rêve. Les deux pays unissent les forces de leurs bras financiers, charge à Ithmar Capital et à la Nigeria Sovereign Investment Authority (NSIA) de structurer le financement« , déclaraient alors sous couvert d’anonymat des sources proches du dossier, pour convaincre de la faisabilité du projet.
Aujourd’hui, c’est l’autre volet des accords signés en décembre entre Ithmar et la NSIA qui est mis en avant: un mémorandum d’entente qui permet l’adhésion du Nigéria à la Green Growth Infrastructure Facility for Africa (GGIF for Africa), premier fonds d’investissement vert dédié au continent africain. GGIF for Africa avait été lancé par la Banque Mondiale et Ithmar Capital lors du sommet de la finance climatique qui s’est tenu le 16 novembre 2016 en marge de la COP 22 à Marrakech. Le fonds a pour objectif de catalyser la transition de l’Afrique vers une économie verte, notamment en encourageant les partenariats entre les fonds souverains de pays en développement.
C’est également à Marrakech, lors de la COP22, que Mohammed VI et le président nigérian Muhammadu Buhari avaient déjà évoqué ensemble le projet de gazoduc. La GGIF serait donc un cadre plus large au sein duquel Ithmar et la NSIA se sont engagés à travailler en priorité sur le gazoduc.
Qu’y a-t-il donc de nouveau dans les accords signés entre le Maroc et le Nigéria le 15 mai à Rabat ? « Depuis la rencontre d’Abuja, il y a eu plusieurs réunions pour définir comment lancer les travaux de faisabilité, comment les financer, avec quelle expertise, quel mode de gouvernance pour superviser l’ensemble, etc. », poursuit-on au plus proche du dossier. « Ce qui a été signé à Rabat, c’est le lancement des études de faisabilité et de montage financier. Cette période durera au moins deux ans« , précise-t-on encore. D’après le 360.ma, l’accord de coopération signé à Rabat entre l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et la Compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) prévoit la création d’un comité de pilotage commun aux deux entreprises pour superviser ces études.
Pour ce qui est d’une estimation, même large, de la date de mise en service du gazoduc, de son coût ou de son tracé, « ce sont ces études qui le détermineront », écarte-t-on. Néanmoins, la réutilisation du terme « gazoduc atlantique » — employé pour la première fois par Mohammed VI à la tribune de l’Union africaine le 31 janvier —, confirme l’hypothèse d’un tracé à l’Ouest, sans pour autant déterminer si le gazoduc sera off-shore ou non.
D’innombrables et complexes problématiques restent cependant à résoudre avant d’ouvrir les vannes de ce tuyau géant. Le 12 mai à Cotonou, la Cédéao a appelé le comité des ministres du projet Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest « à identifier les blocages résiduels et opérer les ajustements nécessaires pour résoudre substantiellement les difficultés affectant le fonctionnement du gazoduc en vue de son extension aux autres pays membres de l’espace communautaire« , rapporte l’agence chinoise Xinhua. Lancé en 1995, le pipeline qui part du Nigéria pour traverser le Bénin le Togo et le Ghana a été mis en service en 2011. « Le gazoduc rencontre des difficultés structurelles qui n’ont pas permis à cette structure d’atteindre les résultats escomptés et de satisfaire les attentes particulières des pays parties au projet« , a déclaré Morlaye Bangoura, commissaire en charge de l’Énergie et des Mines de la Cédéao. L’organisation ouest-africaine avait pourtant validé le 28 avril dernier un projet d’extension du gazoduc jusqu’en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
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Quelles garanties que le nouveau projet maroco-nigérian, encore plus ambitieux, ne se heurtera pas aux mêmes difficultés? C’est justement parce qu’il est plus ambitieux, que notre source croit à ce projet. « Premièrement, le gazoduc existant ne couvre que du Nigéria au Ghana. Le gazoduc atlantique va couvrir plus de pays et est donc plus viable. Jusqu’au Ghana, il n’y a pas de production de gaz. Or, sur le tracé du gazoduc Nigéria-Maroc, il y a la perspective de produire du gaz en Côte d’Ivoire, au Sénégal, et même en Guinée peut-être. Les pays traversés ne seraient plus alors que des consommateurs, mais également des producteurs. »
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« Deuxièmement, c’est toute la perspective de développement et d’électrification incluse dans ce projet qui transformera le visage de la région. Lorsqu’on voit que 200 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité dans la région, que 40% des demandes d’énergies des industriels ne sont pas satisfaites et que l’on mesure l’impact de l’électrification sur le tourisme, on comprend que l’électrification est la clé du développement de la région« , poursuit notre source.
Troisièmement, il ne faut pas non plus sous-estimer l’effet stabilisateur d’un tel projet, en connectant et en mettant autour de la table autant de pays. Pour l’Europe, c’était le charbon et l’acier. En Afrique de l’Ouest, le gaz pourrait être quelque chose de très important pour stabiliser la région. Vous imaginez le même gazoduc traversant le désert? Ça ne serait que des tuyaux au milieu du désert », avance notre interlocuteur dans une double référence à la Ceca (Communauté européenne du charbon et de l’acier) — l’ancêtre de l’Union européenne — et au projet de gazoduc transsaharien signé en 2002 (mais jamais réalisé) entre la Sonatrach algérienne et… la NNPC, désormais engagé avec l’ONHYM.
Enfin, la perspective que ce gazoduc ne s’arrête pas au Maroc, mais traverse le détroit de Gibraltar pour approvisionner le marché européen pourrait donner une autre dimension au projet. « C’est une option pour l’instant, mais ce qui est sûr, c’est que l’Europe est dans une logique de diversification de l’origine de son énergie, et manifeste un très grand intérêt pour le gaz. Un gazoduc, à la porte de l’Europe, avec plusieurs pays producteurs connectés, ça devient une option sérieuse », explique notre source. Aujourd’hui, l’Europe importe essentiellement son gaz de la Russie à l’est et de l’Algérie au sud-ouest. La Russie verra-t-elle alors d’un bon oeil que son client européen lui fasse des infidélités?
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