D’ici à 2050, la demande alimentaire mondiale augmentera de 70%. Deux phénomènes simultanés expliquent cette hausse. D’une part, nous consommerons plus de calories directes : notre planète comptera 9 milliards de personnes et l’enrichissement des pays en voie de développement permettra à leurs habitants de manger plus — d’ici 30 ans, le nombre de calories consommées par personne dans ces pays augmentera de 20%. D’autre part, nous mangerons mieux et consommerons donc plus de calories indirectes, car le développement des sociétés entraîne également une augmentation de la part des protéines dans nos régimes quotidiens. On parle ainsi de transition nutritionnelle : environ 30% des protéines consommées dans le monde sont d’origine animale, et produire une calorie de bétail nécessite en moyenne dix calories végétales.
Parallèlement, l’agriculture fait face à des défis écologiques. Les méthodes productivistes, héritées de la révolution verte du XXe siècle, sont à l’origine de 50% des émissions de méthane et utilisent les deux tiers de toute l’eau douce consommée dans le monde. Ces techniques nuisent également à l’avenir même de l’agriculture : dégradation et salinisation des sols et réduction génétique des cultures sont autant d’exemples de dérives agricoles.
Entre potentiel et responsabilité
Dans ce contexte, l’Afrique a une responsabilité. Le continent, en “réserve d’intensification”, a un formidable potentiel agricole. En 2005, seulement 28% de ses terres arables étaient cultivées et ses sous-sols regorgent encore de richesses (plus de 2 milliards de tonnes de phosphates). Cependant, le continent doit d’abord résoudre un certain nombre de problèmes, à commencer par sa faible productivité. Alors que le secteur emploie 60% de la population, il produit seulement 35% du PIB. De la même manière, la croissance de la production est fondée à 80% sur l’expansion des terres cultivées plutôt que sur l’augmentation des rendements. Et au cours des 50 dernières années, l’Afrique a connu une baisse de 25% des précipitations, augmentant ainsi l’incertitude des récoltes à venir. Seules les technologies agricoles (AgTech) semblent alors à même de fournir des solutions viables à ces défis. En effet, les technologies issues de la révolution verte du XXe siècle (variétés à hauts rendements, utilisation d’engrais et de pesticides, systèmes d’irrigation contrôlée…) ont permis de multiplier par 6 les rendements de blé dans les pays en voie de développement. Pour autant, ces techniques semblent aujourd’hui avoir atteint leurs limites. On observe d’une part une stagnation des rendements depuis 20 ans et d’autre part, de sérieux dégâts environnementaux. Aujourd’hui, l’agriculture africaine doit donc connaître une nouvelle révolution verte qui permettrait d’augmenter les rendements tout en préservant l’environnement et les ressources en eau. Dans ce sens, des start-ups africaines tentent aujourd’hui de relever ces défis en considérant les contraintes locales.
Une mauvaise gestion de l’eau
Les systèmes d’irrigation ne sont pas suffisamment utilisés en Afrique. Aujourd’hui, 95% de l’agriculture reste pluviale et les ressources en eau ne sont pas gérées efficacement (83% de l’eau douce consommée en Afrique l’est dans l’agriculture). Or le réchauffement climatique a un sérieux impact sur les disponibilités en eau douce. D’ici 2020, les eaux issues des rivières et des pluies diminueront d’environ 10%. La maîtrise de l’irrigation permettrait cependant de préserver l’environnement tout en augmentant considérablement les rendements. En effet, on estime que le goutte-à-goutte permettrait de les multiplier par 2 (alors que seulement 20% des terres agricoles sont irriguées dans le monde, elles fournissent plus de 40% de la production). C’est dans ce contexte que Dripsol Company, une start-up kényane, propose des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte dont elle assure l’installation et la manutention. L’entreprise innove dans ce domaine et propose des produits accessibles financièrement aux plus petits producteurs qu’elle vend via Facebook et SMS.
Des déperditions post-culture
On estime que la mauvaise gestion logistique post-culture est à l’origine de la perte d’environ 15% de la production céréalière africaine (ce qui équivaut en valeur aux importations de céréales du continent). Il y a deux types de causes à l’origine de ce phénomène. Les causes directes sont le mauvais conditionnement des produits, l’insuffisance des installations de stockage et le mauvais état des routes accédant aux marchés. Les causes indirectes sont le déficit de formation des agriculteurs, un accès limité au financement et une mauvaise liaison entre l’offre et la demande agricoles. Mastercard, via 2KUZE, sa start-up kényane, s’est attaqué à ce problème et propose une plateforme digitale connectant producteurs, intermédiaires et acheteurs. Elle permet ainsi aux exploitants d’écouler leur production par des paiements mobiles sécurisés et réduit les pertes liées à la logistique.
Le Maroc, un modèle africain
Le royaume essaye, depuis une dizaine d’années, de montrer la voie à suivre en Afrique en matière d’agriculture. Le Plan Maroc Vert (PMV), lancé en 2008, vise à faire du secteur l’un des moteurs de croissance de l’économie nationale. Les difficultés rencontrées au Maroc illustrent bien la situation africaine, et les solutions proposées par le PMV pourraient bien s’appliquer dans de nombreux pays. Le secteur agricole marocain souffre tout d’abord d’un manque de productivité : il employait en 2013 environ 40% de la population active mais ne produisait que 14% du PIB. Le pays connaît également un déficit commercial en produits agricoles de base et importe, par exemple, 40% des céréales qu’il consomme. De plus, au niveau des exploitations, il existe à la fois un dualisme (70% des parcelles font moins de 2,1 hectares) et un fort morcellement (une exploitation est composée de 6 parcelles en moyenne). En ce qui concerne les moyens techniques, seulement 17% de la surface agricole exploitable utilise des systèmes d’irrigation, rendant ainsi la production dépendante de la pluviométrie (l’autosuffisance en céréales peut varier de 30 à 75% en fonction des années). Enfin, cette incertitude, le manque de formation des producteurs dont 70% sont analphabètes et les insuffisances juridiques des statuts fonciers découragent les structures de financement.
Parmi un ensemble de solutions, le PMV a mis en place trois axes de développement pour faire face à ces défis, dont le premier est le financement. Le Crédit Agricole a lancé en 2008 la Société de financement pour le développement agricole. Associée à un fonds d’État de 100 millions de dirhams prenant en charge 60% des impayés potentiels, cette structure a pour but de financer les petites exploitations. À la mi-2016, le Crédit Agricole avait ainsi attribué 700 millions de dirhams de crédit à 67 000 petits exploitants, avec un taux de recouvrement de 98%. Le second axe est le développement technique, et en particulier celui de l’irrigation. Le gouvernement a lancé en 2007 le Plan national d’économie d’eau en irrigation, avec pour objectif d’équiper 550 000 hectares en goutte-à-goutte en 15 ans. Aujourd’hui, 400 000 hectares ont été équipés. Enfin, le PMV a encouragé l’organisation des petits producteurs en coopératives sous contrat avec un grand acteur agro-alimentaire, dont les investissements en équipement de transformation sont subventionnés par l’État.
Par Fadel bennani de The Seed project
The Seed Project. Le futur de l’agriculture, c’est aujourd’hui |
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The Seed Project est un programme associatif de recherche dans le secteur des technologies de l’agriculture (AgTech) mené par cinq étudiants marocains issus de grandes écoles (HEC Paris, UCL, Imperial College et Columbia University). La demande alimentaire mondiale augmentera de 70% dans les 30 prochaines années. Or les rendements stagnent, 93% des terres arables ont déjà été cultivées et l’agriculture est aujourd’hui le secteur le moins digitalisé de toute l’économie. Comment nourrir alors 9 milliards de personnes en 2050 ? Convaincus que seule la technologie pourra résoudre ce défi, les meneurs du programme œuvrent pour la compréhension des raisons de ce retard digital, l’évaluation de l’impact potentiel des AgTech sur la production et l’environnement et la promotion des innovations existantes. Afin de comprendre les contraintes réelles des agriculteurs et des entrepreneurs, The Seed Project va à leur rencontre pendant six mois, dans le monde entier, à partir de septembre 2017. TelQuel soutient ce projet.[/encadre] |
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