« Le Maroc est totalement absent depuis quinze ans de toutes les instances de la FIFA. Aujourd’hui, il n’est plus acceptable de rester à l’écart et de laisser d’autres nous représenter éternellement ». Voilà ce qu’affirme le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lekjaâ, dans une interview accordée au journal Jeune Afrique le 9 mars 2017.
Depuis plusieurs mois, l’homme prépare sa candidature pour le poste de l’Afrique du Nord au sein du comité exécutif de la Confédération africaine de Football (CAF). Ce dernier sera attribué à l’issue du vote qui se tiendra lors de la 39e assemblée générale ordinaire de l’instance, prévue ce jeudi 16 mars à Addis-Abeba. Dans cette élection, trois prétendants se disputent un seul siège: le Marocain Fouzi Lekjaâ, l’Algérien Mohamed Raouraoua et le Libyen Anwar El Tashani. Une bataille sportive, certes, mais surtout politique.
Les enjeux d’un siège
« Le Maroc est absent des bureaux exécutifs des différentes unions africaines dans toutes les disciplines sportives. En ce qui concerne le football, la plupart des représentants marocains sont seulement dans les commissions, ils n’ont donc aucun pouvoir de décision« , affirme Moncef Lyazghi, spécialiste des politiques sportives. Un manque de stratégie que reconnaît l’ancien ministre des Sports, Moncef Belkhayat. « Prenez l’exemple de Saïd Belkhayat qui avait voulu renouveler son poste au sein du bureau exécutif de la CAF en 2004 à Tunis. Il avait échoué, n’ayant pas obtenu le soutien de l’État à l’époque. Il s’était retrouvé seul face à des délégations algériennes et libyennes très puissantes ».
Face à ce manque de représentativité, la candidature du marocain Fouzi Lekjaâ apparaît donc comme un enjeu diplomatique de taille pour l’image du Maroc sur la scène internationale. Surtout quand on sait que le principal candidat contre lequel il se bat, l’algérien Mohamed Raouraoua, part avec une longueur d’avance. « Il est là depuis plus de vingt ans. Il a donc de nombreux soutiens », relève Moncef Belkhayat. C’est pourquoi au cours des derniers mois, la FRMF a mené une intense campagne de lobbying auprès des différentes fédérations africaines. L’opération a démarré pendant la CAN 2017 au Gabon, et s’est poursuivie en Zambie durant le tournoi des U20.
Depuis plusieurs jours, une délégation composée de quinze personnes, anciens et actuels membres de la FRMF, se trouve à Addis-Abeba où se tiendra le conclave de la CAF. Le président de la fédération marocaine devra décrocher la majorité des scrutins des 54 fédérations que compte l’Afrique. « On a signé une trentaine de partenariats uniquement au cours des 20 derniers jours, et ce grâce au travail de lobbying que l’on fait sur place. On rencontre les différents présidents des fédérations pour faire connaître notre candidat qui est un petit nouveau dans le monde du football », explique Said Belkhayat. Parmi les fédérations concernées par les récents partenariats, on retrouve notamment le Burkina Faso, la Gambie, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, la Guinée-Bissau, le Malawi, le Congo, le Sud-Soudan, l’Éthiopie ou encore la Sierra Leone.
Un changement de stratégie qui semblait indispensable pour rivaliser avec le puissant candidat algérien. « Avant on claquait de l’argent pour rien, il n’y avait pas vraiment l’ambition d’intégrer les instances du foot africain. Maintenant, avec moins d’argent, le Maroc a pu gagner du terrain. Il suffit parfois d’aménager un terrain de quartier dans une petite ville d’un pays africain pour avoir la sympathie d’une fédération« , affirme une source proche du candidat marocain.
Une stratégie qui fonctionne visiblement à en croire Said Belkhayat qui se dit très optimiste quant au résultat du vote. « Cette nouvelle approche de terrain est très appréciée par les fédérations. On voit bien que certains pays, qui soutenaient le candidat algérien, sont séduits par notre stratégie. D’ailleurs nous avons eu un certain nombre de promesses de soutien ».
Méthode M6
Cette stratégie représente en fait le volet sportif d’une stratégie diplomatique plus globale. « Cela fait partie de la dynamique engagée par le roi Mohammed VI à travers ses différentes tournées africaines. Le Maroc développe plusieurs secteurs d’activités pour étendre son influence et le sport en fait partie« , affirme Moncef Belkhayat. Une idée que confirme une source proche de Fouzi Lekjaâ. « La stratégie de la fédération va parallèlement avec la politique africaine du roi. Lekjaâ a la carte blanche du palais. C’est l’une des missions principales pour lesquelles il est à la tête de la fédération », relève notre interlocuteur.
Dynamisée par le palais royal, la diplomatie du football commence donc à s’organiser et pourrait représenter une carte diplomatique importante. « Le foot est un sport qui mobilise les foules et qui est juste extraordinaire en termes d’impact pour l’image globale du Maroc et celle du roi », affirme Monsef Belkhayat qui prend l’exemple de la venue du souverain lors de la Coupe du monde des clubs à Marrakech en 2013. « C’était une très bonne image en termes de sécurité, de stabilité et de ferveur d’un peuple pour son chef d’État. Cela permet aussi de recevoir des personnalités internationales importantes », poursuit l’ancien ministre.
Pour Moncef Lyazghi, « les différentes signatures avec les fédérations africaines permettent d’organiser des tournois entre les clubs, partager des infrastructures ou des formations. Le sport peut apaiser les tensions et alléger les relations diplomatiques avec les pays avec qui nous avons des problèmes politiques comme le Botswana, le Malawi ou l’Ouganda par exemple ». Une carte qui peut aussi, selon lui, être utilisée pour renforcer la position diplomatique du Maroc concernant le Sahara. « En 1983, Hassan II avait dit à l’équipe de la Jeunesse Al Massira de devenir championne du Maroc afin qu’elle puisse disputer une Coupe d’Afrique, et que des équipes africaines, dont algériennes, soient obligées de venir jouer à Laâyoune », se souvient Moncef Lyazghi. Pour lui, le retour du Maroc dans cette diplomatie africaine en général permet de renouer des relations avec les pays africains en désaccord avec le Maroc au sujet de sa politique dans le dossier du Sahara.
Fifa, Coupe du monde. Pourquoi pas ?
Au fond, que le poste soit obtenu ou pas par Fouzi Lekjaâ compte peu. L’enjeu est plus grand que le siège au comité exécutif de la CAF. Il réside aujourd’hui avant tout dans cette campagne de communication et la vision à long terme qui sont engagées. À travers ce travail de lobbying, Fouzi Lekjaâ tente surtout de se faire une réputation auprès des fédérations africaines. « Il veut intégrer la FIFA . C’est pour cela qu’il travaille sa réputation auprès des fédérations africaines. Il fait sa campagne maintenant d’une manière moderne au niveau continental, en misant sur ces partenariats« , affirme notre source proche de Fouzi Lekjaâ.
Selon cette dernière, ce dernier joue sur le fait que l’Algérie n’a pas une stratégie ou un projet à proposer au football africain depuis que Mohamed Raouraoua représente de l’Afrique du Nord au comité exécutif de la CAF. « Lekjaâ va préparer toute une stratégie de développement du football africain durant les prochaines années qu’il va déposer auprès de la CAF, et ce même s’il n’est pas choisi demain« , affirme notre interlocuteur.
Une campagne d’influence qui aura également un impact sur l’organisation de la Coupe du Monde de 2026 que le Maroc « ne pourra organiser sans la présence des Marocains dans les hauts postes des instances internationales », affirme Moncef Belkhayat. Un évènement dont le roi ne sous-estime d’ailleurs pas la portée diplomatique, puisque ce dernier a récemment fait appel à l’aide au roi Felipe VI d’Espagne.
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