La rocambolesque affaire du Zarafasaura Oceanis — ce squelette de dinosaure marin mis aux enchères à Paris et que le Maroc est parvenu à retirer de la vente – a comme effet de mettre en lumière la richesse du patrimoine géologique du Maroc. « Le patrimoine géologique marocain (fossiles, minéraux, météorites) est reconnu mondialement par sa richesse et sa diversité, ce qui a valu à notre pays le qualificatif de paradis des géologues« , note d’ailleurs le communiqué de l’Association pour la protection du patrimoine géologique du Maroc (APPGM) qui a donné l’alerte dans cette affaire.
Techniquement, il y a des fossiles un peu partout au Maroc, mais c’est là où on creuse qu’on les trouve. Notamment dans les mines de phosphates de l’OCP à Khouribga. C’est d’ailleurs de ce bassin qu’ont été extraits les fossiles du Zarafasaura Oceanis qui aurait dû être vendu à Drouot le 7 mars, selon le catalogue de la vente. « L’OCP broie des ossements chaque jour, par dizaine de milliers« , lâche Abdellah Adam Aaronson, marchand de fossiles. « À Khouribga, il y a des centaines d’enfants et de villageois qui sortent les fossiles chaque jour pour les revendre. Heureusement qu’il y a ces gens, sinon les fossiles sortiraient dans le concasseur de l’OCP« , explique Noureddine Jalil, membre de l’APPGM, ancien chercheur de l’Université Cadi Ayyad et de la Faculté des Sciences Semlalia, désormais rattaché au Museum d’histoire naturelle de Paris et de la Sorbonne.
Le musée fantôme de Khouribga
« Conscient de l’importance du patrimoine paléontologique national, OCP s’engage à l’étude et à la préservation de cet héritage« , assure pourtant le site de l’Office. L’OCP a en effet pris ses responsabilités. « La faune des phosphates du Maroc fait l’objet d’une convention d’étude signée entre des centres de recherches internationaux, l’OCP, le ministère des Mines et l’université de Marrakech depuis 1997. Elle prévoit notamment l’exportation des fossiles le temps de l’étude », poursuit Noureddine Jalil. « La convention prévoit aussi une partie muséologie pour la présentation de la collection dans un musée à Khouribga. Le projet de musée a pris un peu de retard parce que la convention n’a pas été renouvelée depuis près de 4 ans, mais on devrait la resigner cette année« , ajoute son collègue au Museum, Emmanuel Gheerbrant.
Et si le Zarafasaura Oceanis, que le Maroc cherche à récupérer à Paris, finissait dans ce musée? Il pourrait y figurer auprès d’un autre, l’original, que l’OCP détient déjà. « L’OCP a une collection extraordinaire qu’il enrichit régulièrement grâce à un certain budget. Il détient notamment à Khouribga le spécimen original du Zarafasaura Oceanis, celui que l’on appelle le spécimen type parce qu’il a servi à l’étude de description« , détaille Noureddine Jalil. C’est en vertu de la convention d’étude qu’a pu être rédigée, en 2011, la première description du spécimen Zarafasaura Oceanis. Parmi les signataires de cette étude, il y a donc des scientifiques étrangers, Peggy Vincent, Nathalie Bardet, Xabier Pereda, des représentants de l’OCP, Baâdi Bouya, Mbarek Amaghzaz, et un représentant du ministère des Mines, Saïd Meslouh.
Non pas 1, ni 2, mais 3 Zarafasaura
« Nous avons décrit le Zarafasaura Oceanis en 2011 à partir de matériel appartenant à l’OCP avec lequel nous travaillons depuis 1997. Je ne sais par contre rien de la découverte de ce nouveau squelette, sauf — je le suppose — qu’il a transité par l’active et habituelle filière commerciale« , confirme Nathalie Bardet, coauteure de l’étude. « Personne n’a entendu parler de ce fossile jusqu’à sa mise en vente. Il a sans doute été découvert par les gens sur place, vendu en douce, et sorti de façon clandestine du Maroc« , avance Noureddine Jalil. « L’OCP ne peut pas contrôler tous les fossiles qui sont ramassés par les villageois et ensuite achetés par des collectionneurs qui viennent des quatre coins du monde. Il faut attendre que les fossiles apparaissent de l’autre côté pour pleurnicher, mais c’est tout de suite, dans la mine qu’il faut mettre le paquet sinon ça va se répéter« , signale un ancien géologue de l’OCP.
« Le squelette mis en vente à Paris a un apport scientifique, c’est sûr. Il apporte des éléments nouveaux par rapport à ce qu’on a en collection parce que c’est le premier presque complet mis en vente. Ce n’est pas un tas de pierres, c’est la mémoire de la terre« , déplore Noureddine Jalil. Mais c’est aussi parce qu’il a, à un moment, ressemblé à un tas de pierres qu’il a pu quitter le Maroc. « Il faut effectivement avoir des autorisations pour sortir des fossiles du Maroc. Si sur la facture on met ‘dinosaure’, c’est sûr que le ministère des Mines ne donnera pas l’autorisation, mais on peut mettre autre chose et ça passe. Surtout, si tu remplis ta voiture avec des cailloux et que tu montes par Tanger, personne ne va te demander ce que c’est« , explique un marchand aux pratiques peu recommandables. « Il suffit d’aller à Erfoud pour voir que de fausses autorisations sont délivrées par la commune locale« , reconnaît aussi Noureddine Jalil.
Le fake du ministère des Mines
Le Zarafasaura Oceanis convoité par le Maroc a peut-être quitté le territoire d’une de ces manières-là. Il est toujours détenu par l’étude Binoche & Giquello à Paris en attendant de trouver un accord financier entre le royaume et le vendeur italien. « Il ne faut surtout pas que le Maroc paie, ça serait un appel à revenir piller notre sol« , prévient Noureddine Jalil, convaincu que le vendeur italien a tout à fait pu passer une commande du squelette directement au Maroc via internet, sans passer par la foire de Munich comme il l’affirme. « Les prix de vente exorbitants des fossiles à la vente sont très dommageables. Ça nourrit plus encore le commerce, au détriment du patrimoine et des collections marocaines. C’est une spirale infernale« , ajoute son collègue Emmanuel Gheerbrant.
Joint par Telquel.ma, l’OCP n’a pas été en mesure de répondre à nos questions. L’Office s’est même dit étonné de notre requête. Si l’OCP ne veut pas du squelette, le ministère des Mines pourrait, lui, être intéressé pour remplacer le faux qui trône dans le hall du ministère à Rabat. « Je l’ai fait devant les caméras de l’émission Thalassa. C’est un moulage en plastique. Des tirages comme ça, on peut en faire des dizaines« , avoue Abdellah Adam Aaronson.
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