Si les diplomates marocains ont laissé éclater leur joie le 30 janvier, au soir de la réadmission du Maroc à l’Union africaine (UA), la célébration aura été de courte durée. « Je crois qu’on fera la fête dans une autre vie« , souffle un membre de la délégation marocaine dès le lendemain matin. Un objectif atteint, il faut déjà tracer la route vers le suivant. « Le Maroc redoublera d’efforts pour que la petite minorité de pays, notamment africains, qui la reconnaissent encore, fasse évoluer leur position dans le sens de la légalité internationale et des réalités géopolitiques », prévenait le ministre délégué aux Affaires étrangères Nasser Bourita, dans une « communication argumentée » transmise au site d’information LeDesk.ma le 4 février. Le prochain objectif à peine voilé du Maroc est bien d’obtenir l’exclusion de la RASD de l’UA. Les précieux alliés, rassemblés en vue d’un futur vote des chefs d’État africains pour en décider, se convainquent et se préservent un par un, au gré de tournées royales et de visites officielles. Une stratégie valable également dans le camp adverse, comme en témoigne les hésitations de la Zambie sur la question.
L’Acte constitutif de l’Union africaine ne prévoit pas expressément de procédure pour l’exclusion d’un membre. La décision pourrait donc revenir à la Conférence des chefs d’États et gouvernement qui « prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des États membres de l’Union« , selon l’article 7 de l’Acte. « Dans les faits, les décisions sont toutes adoptées sans vote, dès lors qu’elles ont été, au préalable, retenues par le Conseil exécutif [composé des ministres des Affaires étrangères, NDLR] et soumises formellement à l’approbation de la Conférence. Il arrive néanmoins que faute d’un accord au Conseil exécutif, la Conférence soit amenée à trancher directement« , explique Albert Bourgi dans l’Annuaire français des relations internationales (2004) de l’Institut Thucydide. 37 États pourraient ainsi obtenir que la RASD ne soit plus membre de leur organisation.
La Zambie penche du côté marocain…
Chaque voix compte. Le 18 juillet, 28 chefs d’État, « regrettant l’absence du Royaume du Maroc des instances de l’Union africaine« , signent une motion qu’ils présentent à l’UA par laquelle ils « décident d’agir en vue de la suspension, prochaine, de la ‘république arabe sahraouie démocratique’ des activités de l’Union africaine, et de tous ses organes« . Parmi les signataires figure la Zambie. Quelques jours plus tôt, le 9 juillet, lors d’une rencontre entre Nasser Bourita et le chef de la diplomatie zambienne Harry Kalaba, ce dernier avait annoncé que son pays ne reconnaissait plus la RASD. En novembre, le président zambien Edgar Lungu avait participé au sommet des chefs d’États africains à Marrakech, en marge de la COP 22. Puis le 5 décembre, Saadia El Alaoui, ambassadeur du Maroc à Lusaka était reçue par le président Edgar Lungu. Dans la foulée, la presse zambienne annonce que Mohammed VI est attendu dans le cadre de la deuxième partie de sa tournée en Afrique, qui l’a déjà mené à Madagascar, en Éthiopie et au Nigéria. Au terme de sa visite au Nigéria, le roi rentre finalement au Maroc et, le 14 décembre, le ministre des Affaires étrangères zambien annonce que la visite du roi est reportée à l' »année prochaine« , sans plus d’explication.
… mais aussi vers la RASD
Selon nos informations, Mohammed VI devrait reprendre une tournée africaine en février, en commençant par la Zambie. Cette visite devrait permettre de clarifier la position zambienne vis-à-vis de la RASD. Car en dépit du retrait de sa reconnaissance en juillet, la Zambie n’a cessé d’envoyer des signaux contradictoires. Dès le 9 octobre en effet, « le président Lungu assurait au ministre des Affaires étrangères de la RASD Salem Ould Salek que la Zambie restait déterminée à renforcer ses relations avec les Sahraouis pour le bénéfice mutuel des deux pays, » selon Lusaka Times. Le 10 janvier, Edgar Lungu reçoit le président du Polisario Brahim Ghali en visite officielle et confirme ainsi la reprise des relations diplomatiques entre la RASD et la Zambie.
Le 9 février, c’est au tour du ministre des Affaires étrangères algérien Ramtane Lamamra de recevoir son homologue zambien, Harry Kalaba. À l’issue de leur rencontre, Lamamra déclare que « l’Algérie et la Zambie sont sur la même ligne en ce qui concerne la solidarité avec les peuples du Sahara occidental et de Palestine » et annonce que le président zambien a accepté de rendre visite au président Bouteflika durant l’année 2017.
À quoi joue la Zambie ?
Sur le retrait la reconnaissance de la RASD, la déclaration du ministre des Affaires étrangères en visite à Rabat pose des problèmes légaux en Zambie. Elle a en effet été prise par le gouvernement alors que le Parlement avait été dissout par Lungu. Or, la Constitution zambienne prévoit que le mandat des ministres arrive également à son terme avec la dissolution du Parlement. Lungu avait bien tenté d’amender la Constitution pour contourner cette règle, mais l’amendement a été jugé en « violation de la loi » par la Cour constitutionnelle. Difficile, dans ces conditions, de savoir sur quel pied danser avec la Zambie. Car au-delà de la validité purement légale de la décision, c’est son esprit qui est remis en cause par les atermoiements de la diplomatie zambienne.
La Zambie avait déjà gelé sa reconnaissance de la RASD en 2011 avant de revenir sur sa décision en 2013. Puis inverser la cadence en 2016. Et encore une fois, dans les faits, en 2017. « Ils n’en sont pas à une incohérence près. Ça montre une fois de plus la faiblesse de leur analyse et leur peu de consistances« , lâche carrément un diplomate européen anciennement en poste à Lusaka. « La Zambie de Kenneth Kaunda, le président fondateur au moment de l’indépendance zambienne, est un pays de lutte contre les intrusions extérieures au continent. C’est une constante dans la diplomatie zambienne, qui se sent toujours comme un ‘front line state’ face aux ingérences extérieures et contre l’apartheid« , explique-t-il.
C’est cet esprit qui, combiné à la perception d’un Maroc colonisateur au Sahara, pousse la Zambie et nombre d’autres pays d’Afrique australe, à tendre vers les thèses du Polisario. « La diplomatie zambienne a une très mauvaise connaissance de l’Afrique francophone, même de leur voisin congolais« , ajoute notre source pour expliquer la perception zambienne du conflit au Sahara. La Zambie est de surcroit inscrite dans le bloc sous-régional des États d’Afrique australe qui est largement dominé par l’Afrique du Sud, puissant soutien diplomatique du Polisario.
Alors qu’en juillet elle semblait avoir pris ses distances avec l’Afrique du Sud en enlevant sa reconnaissance de la RASD, pourquoi la Zambie continue-t-elle d’entretenir des relations avec le Polisario? « Ça faisait une trentaine d’années que les Zambiens n’avaient pas vu le bout du nez d’un Marocain. C’est sans doute aussi simple que ça: au sommet de l’État, on prend des positions, mais des accointances perdurent avec le Polisario. Brahim Ghali passe dans les parages, on le reçoit, » analyse le diplomate. Ainsi, la visite de Mohammed VI en Zambie aura une visée pédagogique et permettra d’expliquer dans le détail, et durablement, à la diplomatie zambienne la position du Maroc.
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