Le match pour la reconnaissance de la marocanité du Sahara se joue aussi à Bruxelles. La question était indirectement évoquée le 9 janvier au Parlement européen, où la commission des Affaires étrangères du parlement était réunie en présence de Nicholas Westcott, directeur exécutif pour la région MENA du service d’action extérieure de l’Union européenne (UE). A l’ordre du jour, les relations entre le Maroc et l’UE, après l’arrêt du 21 décembre 2016 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur les accords agricoles entre le Maroc et l’UE. Par cet arrêt, la plus haute instance de justice européenne casse une précédente décision du Tribunal européen (décembre 2015) qui annulait l’accord de libéralisation de produits agricoles entre le Maroc et l’Union européenne (UE), à la requête du Front Polisario. À première vue, la cour de Luxembourg donne donc cette fois raison au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne, soutenus par la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Portugal et la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement durable (Comader), contre les indépendantistes sahraouis. Or, dans le même temps, la CJUE juge que l’accord « ne s’applique pas au territoire du Sahara occidental« , au motif qu’il « ne fait pas partie du territoire du Maroc« . La position officielle de l’UE sur la marocanité du Sahara avait jusque là permis de jouer sur l’ambiguïté. « Le Sahara occidental est un territoire sur lequel il y a un conflit. Depuis longtemps, notre position est ferme : c’est aux Nations unies de solutionner la chose. Cet arrêt nous prouve à quel point il est important de trouver une solution. Aussi, l’UE soutiendra les efforts du nouveau secrétaire général de l’ONU pour trouver une solution politique juste et acceptable, qui permettra l’autodétermination. Ce sera un point prioritaire dans les discussions que nous aurons avec le nouveau secrétaire général, » rappelle Nicholas Westcott devant les députés européens le 9 janvier.
Maroc et UE sur la même longueur d’onde
Aussi, le Maroc et l’UE se retrouvent bien embarrassés avec cet arrêt qui menace non pas l’intégrité territoriale du royaume, mais sa coopération avec l’Union dans ses provinces du Sud. « C’est un arrêt long et complexe. Ceux qui l’auront lu sauront qu’il comporte des arguments juridiques extrêmement importants que nous devons examiner. Nous sommes en train de mener un examen pour en appréhender les implications, » note Nicholas Westcott. « L’arrêt est bien sûr contraignant pour l’UE et ses États membres. Nous sommes également en étroite collaboration avec les autorités marocaines qui sont bien sûr directement concernées par cet accord et qui sont nos interlocuteurs privilégiés en la matière. Des contacts de haut niveau ont été pris tout au long du procès, et le 21 décembre, le secrétaire général adjoint de l’UE, Jean-Christophe Belliard était à Rabat pour souligner l’importance que nous accordons à cette affaire, » ajoute-t-il. Le représentant de la Commission européenne confirme ainsi que l’UE et le Maroc font front commun après cette décision de la Cour de justice. Dans une déclaration conjointe publiée le jour même de la décision, le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar et la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères Federica Mogherini déclaraient déjà ensemble que l’arrêt leur « donne raison« . Ils signifiaient ainsi que la donne a changé, car à la suite du premier arrêt du Tribunal européen de 2015, le Chef du gouvernement Abdellilah Benkirane avait reçu l’ambassadeur de l’UE à Rabat pour l’informer de la décision de l’exécutif de « l’arrêt de tout contact avec la Commission européenne et le Conseil européen« . Westcott le confirme le 9 janvier : « Nous étudions l’opportunité d’avoir des visites de haut niveau dans les deux sens pour signaler la reprise et la normalisation des relations. L’UE est prête à envisager d’étendre la coopération dans les domaines où celle-ci avait été suspendue. » Il indique ainsi que les discussions pour l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA), pour le partenariat mobilité et pour le soutien de l’intégration des communautés migrantes sont prêtes à reprendre « de manière amicale et productive« .
Bataille au Parlement
Certains députés européens qui ont pris la parole lors de la réunion de la commission des affaires étrangères du Parlement se réjouissent de la reprise de ses négociations. « C’est une excellente nouvelle« , pour l’eurodéputé français socialiste Gilles Pargneaux.
Nombre d’entre eux mettent en avant l’importance d’un partenariat avec le Maroc pour l’UE. La députée du Parti populaire européen (PPE) Rachida Dati est ici une fervente avocate du Maroc. « Le Maroc n’est pas un allié ordinaire, c’est un allié de confiance, ancien, indispensable dans la lutte contre le terrorisme, sur la gestion des flux migratoires, et un partenaire privilégié pour établir une relation refondée avec l’Afrique, » déclare-t-elle.
« La coopération UE-Maroc fonctionne, alors cessons de la saborder« , s’emporte encore le député européen Aymeric Chauprade, ancien proche du Front national français, désormais affilié à aucun parti politique au Parlement de l’UE.
Mais les séparatistes sahraouis ont également leurs alliés au Parlement européen. Certains veulent tout de même préserver les relations avec le Maroc, même s’ils s’alignent sur la vision du Polisario. C’est le cas Maria Teresa Giménez Barbart (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), qui répond directement à Aymeric Chauprade : « Quand les collègues nous disent, ‘Ne touchons pas à quelque chose qui fonctionnent’, je réponds ‘non, les choses ne fonctionnent pas pour certains’. Pour les Sahraouis, les choses ne fonctionnent pas. Nous voulons préserver les relations avec le Maroc, certes, mais en prenant en compte le fait qu’ils utilisent des ressources qui ne sont pas les leurs« , juge-t-elle.
Klaus Buchner (Groupe des Verts/Alliance libre européenne) va plus loin : « C’est le commerce qui prime sur les droits de l’Homme. On a déjà dit ce qu’il se passait avec les personnes du Sahara occidental, c’est absolument épouvantable. Nous mettons quand même les relations commerciales en priorités, c’est tout à fait inconcevable pour moi« .
Plusieurs députés européens posent également la question de savoir quand l’UE va entrer en contact avec le Polisario pour négocier des accords de libre-échange avec eux. Ils s’appuient en cela sur le point 106 de l’arrêt de la CJUE : « Le peuple du Sahara occidental doit être regardé comme un « tiers » […] Ce tiers peut-être affecté par la mise en œuvre de l’accord […], sans qu’il soit nécessaire de déterminer si une telle mise en œuvre serait de nature à lui nuire ou au contraire à lui profiter. Il suffit de relever que ladite mise en œuvre doit recevoir le consentement d’un tel tiers. » En clair, la CJUE décide que l’accord n’est pas applicable au Sahara, non pas parce qu’il nuit aux Sahraouis, mais parce qu’ils n’auraient pas « manifesté un tel consentement« . Un revirement du droit international qui, s’appuyant sur de précédentes conclusions de l’ONU, cherchait jusqu’alors à déterminer si telle ou telle disposition était légale en évaluant les pertes et profits pour la population. L’arrêt européen énonce ainsi une jurisprudence que le Polisario pourrait faire valoir dans chaque affaire européenne.
Une arme nuisible entre les mains du Polisario
C’est effectivement l’intention affichée du Polisario. À la manœuvre pour les indépendantistes, maître Gilles Devers. « Avec cet arrêt, la Cour confirme qu’aucun droit européen ne s’applique au Sahara occidental. Une entreprise qui exerce là-bas sans autorisation exploite donc les ressources et est un bandit, un braconnier, » déclarait l’avocat lyonnais à TelQuel. Et les effets se font d’ores et déjà sentir. Au Parlement européen le 9 janvier, après avoir pris fait et cause pour le Polisario, l’eurodéputé Florent Marcellesi (Groupe des Verts/Alliance libre européenne) commence à évoquer le cas du Key Bay. Arrivé au terme de son temps de parole, il est obligé de céder la parole, mais n’a pas dit son dernier mot pour autant. Le Key Bay est un navire de commerce qui est arrivé le 8 janvier dans le port de Las Palmas, en provenance de Laayoune, avant de rejoindre sa destination finale en France. « Selon nos informations, le navire « Key-Bay » transporte une cargaison d’huile de poisson en provenance du Sahara occidental sans le consentement du peuple sahraoui. Nous appelons donc les autorités espagnoles à contrôler le bateau pour confirmer sa provenance, arrêter le navire et saisir la cargaison« , a déclaré l’eurodéputé espagnol dans un communiqué le 14 janvier.
Selon Marine Traffic, le Key Bay a tout de même largué les amarres dans la soirée du 14 janvier, et a mis le cap sur le port de Fécamp, en France. La cargaison poursuit donc, pour l’heure, sa route vers l’Europe. L’affaire montre que si l’arrêt de la CJUE ne reconnait pas au Polisario la « qualité pour agir » juridiquement, elle lui octroie tout de même une capacité de nuire.
Après les tomates, le poisson
Et la bataille juridique ne fait que commencer. Après les accords agricoles, les accords de pêche sont les prochains dans la ligne de mire du Polisario. Paraphé en juillet 2013, par Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, et Maria Damanaki, commissaire européenne en charge des Affaires maritimes et de la Pêche, après six rounds de négociations, le protocole prévoit d’autoriser, pour 4 ans, 126 navires à pêcher dans les eaux territoriales marocaines en échange d’une contrepartie financière de 40 millions d’euros. Cet accord est d’ores et déjà au cœur d’une autre bataille juridique qui va se jouer, à nouveau au Luxembourg, à près de 4000 kilomètres de Dakhla. Le 19 octobre 2015, un juge londonien, « The Honourable Mr Justice Blake« , décidait de renvoyer une question préjudicielle à la CJUE dans le cadre d’une affaire opposant l’organisme Western Sahara Campaign UK au secrétaire d’État à l’Environnement et aux affaires rurales britannique devant la cour administrative de Strand. Le renvoi préjudiciel fait partie des procédures pouvant être exercées devant la CJUE. Elle est ouverte aux juges nationaux des États membres qui peuvent saisir la Cour afin de l’interroger sur l’interprétation ou la validité du droit européen dans une affaire en cours. Le 13 mai 2016, la cour anglaise transmettait sa demande de décision préjudicielle en posant clairement la question : « L’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc est-il valide ? » La CJUE devrait se prononcer durant le premier semestre 2017.
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