Annus horribilis, 2016. Beaucoup d’entre nous pensent, à raison, que cette année qui se termine était particulièrement chargée de drames, de malheurs et de tristesse. Quand la rédaction de TelQuel m’a demandé de commenter dans cette chronique le bilan de l’année, j’ai pensé à tant de tragédies et de catastrophes que nous avons égrenées pendant ces douze derniers mois. Mais par besoin d’hommage ou de catharsis, j’ai choisi de parler de l’événement qui m’a endeuillé et endommagé le plus cette année : la perte de mon père.
“Un seul être vous manque et tout est dépeuplé”, écrivait Lamartine. Or, mon monde intérieur s’est complètement asséché et vidé depuis ce jeudi matin du mois de mai. Tout a le goût de la douleur profonde et des larmes, même pendant les moments de joie, d’amour et de fête. Amère et déroutante confusion des sentiments qui alourdit le cœur et l’âme. Une blessure interne béante, qui ne se cautérise pas et se refuse au renfermement. Une plaie turgescente attisée par une image, un souvenir, un lieu ou une simple discussion avec un étranger. Tout, sauf l’oubli.
La douleur est accompagnée par le regret. Ce sentiment d’avoir été à côté de quelque chose d’essentiel et d’irremplaçable, mais sans l’avoir saisi complètement ou alors trop tard. Le regret de ne pas avoir été suffisamment proche de lui, de ne pas l’avoir mieux connu, de m’être emporté contre lui un jour, d’avoir voulu construire mon passage à l’âge adulte à travers le conflit et la confrontation, de ne pas avoir tant embrassé ses mains et son front. Ces petits gestes banals et anodins qui vous manquent et vous tourmentent quand l’objet d’amour n’est plus là. Ils font cruellement défaut aujourd’hui. Le regret aussi d’avoir accepté de me plier à une éducation familiale où l’on doit au père respect et crainte, sans jamais lui exprimer ostensiblement amour et affection. Ce n’est qu’aux derniers mois de sa vie, affaibli par l’âge et la maladie, que les cuirasses se sont ébréchées. Étrange inversion des rôles, où je suis devenu le père de mon père : fragilité et douceur de son côté, protection et responsabilité de ma part. Ces moments de fêlure et de faiblesse, où l’on s’apprêtait à l’absence, ont été les plus intenses de notre vie. Le regret est aussi d’avoir découvert et compris le vrai sens de ce lien et sa puissance, si tardivement.
L’année 2016 pour moi est un regard souriant et apaisé. Le regard d’un homme qui empruntait sereinement la route du départ, malgré les souffrances et la lourdeur de la thérapie qu’il subissait. Quelques heures avant son décès, ma petite famille s’est rassemblée à son chevet. Nous savions qu’il nous quittait car il alternait des moments d’absence et de lucidité. Il a ouvert les yeux, esquissé un sourire et ses yeux brillaient. Il a mis sa main sur ma tête pour me bénir. Dans son regard, il y avait un amour pur, inaltéré, que je n’ai jamais vu auparavant. Un mélange de fierté, de satisfaction et d’adieux, calmes et doux. Ce regard est mon année à moi et ma douleur aussi.