Derrière la dernière reprise réussie en date de Lmaricane, un jeune chanteur au parcours atypique. Badr Dean pour les intimes, Rebel Moon pour le public.
« Viral», comme on dit aujourd’hui. Balancé le 17 novembre dernier sur la Toile, ce premier clip de Rebel Moon vient de dépasser, à l’heure où nous écrivons, les 15 000 vues. “Je ne comprends pas cet emballement, nous avoue Anis Hajjam, notre unique critique de rock national patenté (ex-RTM Chaîne Inter, ex-2M, actuellement Radio Mars). Elle est bien, sa version de Lmaricane, mais il y en a eu tant d’autres et de tout temps ! Je donne ma langue au chat.” Pour Jalil, un musicien-interprète, tendance pop-folk anglo-saxonne, la trentaine, écumant actuellement, à titre professionnel, divers piano-bars et autres pubs casablancais, il n’y a là aucun mystère : “Il a une belle voix, très bien posée, avec, en arrière-fond, un véritable grain, un peu rauque, qui donne, justement, ce côté rock qui réactualise le standard. Les arrangements sont nickels, modernes, mais respectueux de la mélodie traditionnelle.”
Un Rachid Taha qui chanterait juste
Le son de cloche le plus intéressant — car le plus neutre — de ce micro-sondage nous vient du très jeune manager, Yassine Bencheikh, 23 ans, Franco-Marocain, travaillant dans les milieux du rap français depuis l’âge de 13 ans. De passage à Casablanca, après un séjour californien de formation, nous lui faisons écouter la chanson que, lui, ô miracle, n’a jamais entendue de sa vie. Verdict ? “Dieu sait qu’il ne s’agit absolument pas de la zik que j’écoute habituellement, mais j’adore cette ritournelle. Elle est du genre à s’incruster dans la tête. Elle me rappelle Ya rayyeh de Dahmane El Harrachi, reprise par Rachid Taha. Mais un Rachid Taha qui chanterait juste, éclate-t-il de rire. Ce qui n’est pas tout à fait le cas de notre rockeur rebeu préféré… ” Et le clip, qu’en pensent-ils ? Pour Jalil, “C’est propre, carré, bien fait.” Yassine Bencheikh est tout aussi positif : “C’est vrai qu’on pourrait être agacés par le côté un chouia trop cliché de la blonde et du beau rebeu ténébreux qui nous la jouent amoureux, façon un peu trop sitcom, mais au final, c’est sauvé par les images qui sont douces et belles. J’aime surtout celles de la fin avec la piscine vide. Non, croyez-moi, le clip est largement au-dessus du lot de daubes qu’on produit actuellement dans le métier. C’est un bon produit pour les jeunes. Je pense particulièrement aux jeunes filles de banlieue qui en ont marre du rap qui reste plus un trip de mecs.”
De Marrakech à Montréal, en passant par Imessouane
Mais qui est donc ce beau rebeu ténébreux ? La biographie officielle, à l’intention de la presse, ne dépasse pas la dizaine de lignes. “C’est voulu, nous répond Michael Grégoire, le manager montréalais de l’artiste maroco-canadien. Rebel Moon tient à séparer vie privée et vie publique.” Nous, on veut bien, mon bon monsieur, mais ça ne nous alimente pas un article. Heureusement que nous avons eu la chance de croiser l’artiste en personne lors de son séjour, au printemps dernier, au Maroc, pour les besoins du tournage de la partie marrakchie du clip. Nous nous sommes posés et avons, peu à peu, patiemment, gagné sa confiance et, par la même occasion, glané quelques informations sur son parcours. Badr Jennaoui, pour l’état civil. Badr Dean, pour les intimes. Rebel Moon, pour le public. Nous ne donnons pas la date de naissance, histoire de ne pas interférer avec l’image de l’éternel adolescent rebelle qu’il est censé représenter le plus longtemps possible. Mais nous pouvons vous rassurer, le jeune homme est vraiment jeune. Né dans la médina de Marrakech dans une famille plutôt aisée. Donc, école privée de type français. Mais, à un moment donné, les revers de fortune du paternel le renvoient vers l’école publique. Plus qu’une blessure d’enfance, due au déclassement social, c’est d’un véritable traumatisme qu’il parle. “J’ai découvert les châtiments corporels pour la première fois”, s’indigne-t-il encore. Pour le reste, il raconte une enfance “normale” d’un garçon de la médina dont les ruelles tortueuses, comme la place Jamaâ El Fna, sont autant d’espaces de jeu et de découverte du monde. Sans trop qu’on sache pourquoi, les choses semblent se gâter vers l’adolescence. “J’étais habité par une forte rage intérieure”, se contente-t-il de nous informer. “Je ne faisais rien comme tout le monde.” Plus loin, il nous avoue néanmoins les regards, de plus en plus “gênants”, des voisins du derb face à sa boucle d’oreille, ses perfectos trop ajustés, ses jeans trop moulants. Il est vrai qu’aujourd’hui encore, plus que jamais, Badr Dean reste un garçon particulièrement coquet, faisant attention à bien mettre en valeur sa très jolie silhouette élancée. Toujours est-il que son mal-être devait être sérieux puisqu’il dit avoir échappé de très près à la drogue et à la délinquance. Comment ? En se lançant à corps perdu dans le sport. D’abord, le skate, puis, rapidement, le surf. À Imessouane, un spot du côté d’Essaouira, il fait une rencontre qui va véritablement changer le cours de sa vie. Une bande de joyeux surfeurs australiens l’adopte. Ils sont également musiciens. “Je m’en souviens comme d’une des plus belles périodes de ma vie. J’étais ailleurs. À San Francisco… ” C’est dit, Badr Dean sera musicien. Il apprendra, tout seul, à jouer de la guitare et de bien d’autres instruments. Comment ? “La volonté et cette rage dont je vous ai parlé”, répond-il laconiquement.
Badr Dean, le gypster qui monte
Entretemps, à son grand soulagement, il se trouve que Hassan Hajjaj s’installe dans une douiria sise dans son derb. L’espèce de Factory qu’y organise le designer et artiste contemporain londonien originaire de Larache va devenir son refuge privilégié. Il s’y frotte à la gentry arty de Marrakech et y exerce ses talents, de plus en plus affirmés, de musicien auteur-compositeur-interprète. Il s’essaie à tous les genres : du gnawi au reggae, en passant par le rock indie. Plus tard, il y ajoutera ce qu’il appelle “des sonorités hipster de Montréal” et baptisera l’ensemble le “Gypster”. Mais n’allons pas plus vite que la musique. En 2008, il fait la connaissance d’une copine maroco-française de Hajjaj. Une certaine Hindi Zahra que personne ne connaît, mais qu’il pressent bourrée de talent. Ensemble, ils enchaînent les jam-sessions. Imik Si Mik, ce qui sera le premier tube de la désormais star planétaire, est en train de naître entre leurs mains, quand tombe… le visa pour le Canada tant espéré par notre Badr Dean. Que faire ? L’appel du large est le plus fort.
L’album suivra
À Montréal, notre artiste trouve rapidement à employer ses talents dans les innombrables pubs et autres cafés musicaux qui pullulent dans la vieille ville. 2012 est une année charnière. Lors d’un open Mic, il séduit le célèbre bassiste, Gilles Brisebois, qui l’invite dans son studio. Le début d’une collaboration à laquelle se joint le renommé batteur Ange E Curcio. Rebel Moon est né. Ensemble, ils feront les festivals et remporteront une jolie série de prix et autres bourses. Ayam, l’album dont est tirée la chanson-titre, Lmaricane, est en gestation dans la tête de Badr Dean depuis l’année dernière. Il est prêt. Vous ne l’écouterez que plus tard. Le temps de laisser le tube vivre sa vie. C’est bien parti pour durer.
Remember Houcine SlaouiHoucine Slaoui (1921-1951) est incontestablement la première vedette de la variété marocaine, pour ne pas dire son inventeur. Ayant débuté en tant que chanteur de halqa dans les souks et autres places publiques, il s’est rapidement retrouvé à Paris à enregistrer ses premiers microsillons. Ils ont fait les délices des soirées de la bourgeoisie marocaine, avant que la radio ne popularise plus largement ses mélodies entêtantes, caractérisées par des airs légers, des textes satyriques, à l’humour aussi tendre que décapant. Son plus grand tube — aujourd’hui un indétrônable classique —, Lmaricane, raconte les bouleversements induits dans la société marocaine par le débarquement des troupes américaines en 1942. Lorsque toutes les Marocaines se sont mises à mâcher du chewing-gum et à s’interpeller à coups de “Come on bye-bye !”[/encadre] |
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