Human Rights Watch (HRW), Amnesty International et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ont publié un communiqué, reprochant au Maroc d’avoir condamné plusieurs personnes, sur la base d’« aveux douteux.» Selon les ONG, les tribunaux marocains ont récemment condamné deux ressortissants français en se basant sur des « aveux » écrits en arabe, langue que ne savent pas lire les deux personnes concernées. « À peine en ont-ils entendu le contenu que les deux accusés ont réfuté ces aveux », précise le communiqué.
Thomas Gallay, 36 ans dont le procès s’ouvre ce 22 novembre, et Manuel Broustail, 32 ans, les deux ressortissants français en question, « ont été interrogés en français mais en l’absence d’avocat», selon les ONG. Et de préciser: « la police leur a donné à signer un procès-verbal en arabe de leurs prétendues déclarations, toujours sans avocat.» Précisant qu’un tribunal de Rabat a condamné Thomas Gallay à six ans de prison et Manuel Broustail à quatre ans, suite à des accusations liées au terrorisme. Le procès en appel de Thomas Gallay est prévu pour le 23 novembre 2016 devant la Cour d’appel de Rabat.
Les avocat des deux prévenus, Abderrahim Jamaï et Abdelaziz Nouaydi, témoignent du récit de leur client auprès des ONG. Selon le récit de leur client, Thomas Gallay n’aurait jamais eu d’explications sur ce dont on l’accusait, au cours de ses 12 jours de garde à vue, tandis qu’on avait assuré à Manuel Broustail que le document en arabe qu’on lui présentait n’était qu’un condensé de détails comme son identité ou son adresse et que la police avait promis de le libérer, une fois le document signé.
Broustail, passif ambigu
Le jugement écrit du tribunal montre que son verdict contre Thomas Gallay s’est fondé « essentiellement sur ses prétendus aveux et sur d’autres déclarations à la police dans lesquelles les coaccusés s’accusaient mutuellement», expliquent HRW, Amnesty et la FIDH. À aucun moment le jugement ne fait mention du problème linguistique posé par le procès-verbal ni du fait que l’accusé l’ait réfuté en bloc, sauf peut-être quand il dit : « il était libre de signer ou non ; et s’il ne l’était pas, la charge lui incombait de le prouver », précise le communiqué.
Concernant l’autre ressortissant français, Manuel Broustail, les services de sécurité marocains avait interpellé cet ex-militaire français, converti à l’islam, le 6 mars dernier à l’aéroport de Fès, en possession de couteaux et d’une bonbonne de gaz. L’homme, interpellé à Angers, où il résidait en France, après les attentats de Paris, puis assigné à résidence jusqu’à la mi-février, n’avait toutefois aucune interdiction de quitter le territoire français au moment de son arrestation au Maroc. Selon le procès verbal, signé de sa main, Manuel Broustail aurait « avoué » être un expert en explosifs à la tête d’un groupe extrémiste à Angers, et se félicitait des attaques de Paris. Hors, le 18 mars dernier, en prenant connaissance du contenu du procès verbal, Broustail a tout renié catégoriquement, selon son avocat. Et de préciser que les poignards et les armes à air comprimé n’était que des « souvenirs de sa carrière militaire, à usage domestique et en aucun cas terroriste.» Le Français a été déclaré coupable, le 20 octobre dernier par la Cour d’appel de Rabat, pour « constitution d’une association en vue de la préparation ou de la commission d’actes terroristes ; détention illégale d’armes dans le cadre d’un plan organisé visant une grave atteinte à l’ordre public ; apologie du terrorisme ; et non-dénonciation d’un crime terroriste.»
Contacté par Telquel.ma, le ministère de la Justice ne s’est pas exprimé dans l’immédiat.
Déjà-vu
Selon les trois organisations, ces affaires récentes illustrent une « pratique récurrente des tribunaux marocains. » Et d’expliquer que les tribunaux du royaume ont « l’habitude d’ignorer ou de rejeter d’office les arguments de la défense qui plaide que les policiers ont utilisé des méthodes douteuses pour obtenir des aveux et en falsifier le contenu. »
« Le Maroc a l’obligation de faire en sorte que le droit à un procès équitable soit garanti dans les faits et non pas seulement en théorie », a déclaré à ce propos Dimitris Christopoulos, président de la FIDH.« La protection efficace de toute une série d’autres libertés civiques dépend de la volonté du gouvernement marocain d’améliorer les garde-fous judiciaires et de mettre enfin un terme aux violations systématiques du droit à un procès équitable », juge-t-il.
Dans un rapport daté de 2013, intitulé « ‘Tu signes ici, c’est tout’ : Procès injustes au Maroc fondés sur des aveux à la police », HRW mettait déjà en avant plusieurs procès criminels où des accusés estimaient qu’ils étaient trompés au moment de signer des procès verbaux.
Ce que dit la loiLe Code marocain de procédure pénale garantit que toute personne accusée d’un crime a le droit de consulter un avocat au cours des 24 premières heures de sa garde à vue, ou pour les cas de terrorisme et sous certaines conditions, au cours des six premiers jours. Cependant la législation marocaine ne donne pas au suspect le droit d’être assisté d’un avocat lors de ses interrogatoires ou lorsqu’on lui fait signer le procès-verbal.[/encadre] |
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