Mercredi 2 novembre, Me Éric Dupond-Moretti s’est entretenu avec son nouveau client, le chanteur pop Saad Lamjarred, soupçonné de “viol avec violences” et mis en détention provisoire depuis le 28 octobre dernier. Le début d’un nouveau combat, pour celui que l’on surnomme “Acquittator” et qui totalise plus de 130 acquittements à son actif, dont l’affaire d’Outreau qui est l’une de ses principales références.
Le prolongement également d’une relation nouvelle, le liant au roi du Maroc qui, pour répondre favorablement à la demande de la famille Lamjarred a conseillé et a décidé de prendre à sa charge les frais de l’avocat. Une relation dont la nature et l’origine intriguent.
Bon client médiatique
Dans l’émission 13 h 15 de France 2, diffusée en décembre 2015, l’avocat explique face caméra être intéressé par l’idée de défendre à la fois des puissants et des gens davantage dans le besoin. “Si j’ai l’opportunité de défendre un prince saoudien, je me dis ‘chouette, je vais gagner un peu de sous’, car je pense aussi à ça.”
“Si j’ai l’opportunité de défendre un prince saoudien, je me dis ‘chouette, je vais gagner un peu de sous’, car je pense aussi à ça”
L’homme aux valeurs de gauche revendiquées “s’intéresse aux personnes bien plus qu’aux dossiers. Il a toujours fonctionné ainsi”, nous confie Éric Dussart, journaliste à La Voix du Nord et ami de longue date du pénaliste. “On voudrait faire de ces avocats des chevaliers blancs qui défendent la veuve et l’orphelin, mais défendre tout type de client, c’est avant tout son métier.”
Le journaliste se dit “peu étonné” de voir ainsi Éric Dupond-Moretti représenter un client de haut rang comme Mohammed VI. Comme si l’idée de défendre une famille royale dans une affaire de chantage ou une idole pop du monde arabe dans une affaire de mœurs pourrait contribuer un peu plus à ce qui fait la légende de l’homme en robe.
Si Éric Dussart ignore qui est à l’origine de la mise en relation du roi avec l’avocat pénaliste, nul doute pour lui que la réputation de Dupond-Moretti, construite au fil des ans, a fini de convaincre le monarque de faire appel à lui. “S’il avait besoin d’une figure, il a bien choisi. Il est absurde d’établir une hiérarchie des meilleurs avocats, mais Dupond-Moretti fait partie du cercle restreint d’avocats médiatiques qui attirent l’œil.”
Interrogé sur ce lien qui l’unit au Maroc, l’intéressé lui-même botte en touche en nous expliquant, amusé, que cela appartient au “secret professionnel”. Tout en saluant notre effort d’avoir essayé d’en savoir plus, il conclura notre bref échange, prétextant avoir comme toujours “beaucoup de travail qui l’attend”. Rire aux lèvres en raccrochant, l’avocat donne en revanche l’impression que le Maroc n’a pas fini d’entendre parler de son nouvel “ambassadeur”.
L’avocat qui vulgarise
Habitué au langage soutenu qu’impliquent les séances au tribunal, Dupond-Moretti n’hésite pas, à d’autres occasions, à vulgariser voire à mettre en doute certaines décisions de justice, pour plaider sa cause. “Il joue de sa force de caractère et de sa médiatisation pour faire passer ses messages. Il a du cœur et des convictions, il en a toujours eu, et cela se ressent quand il s’adresse à la Cour, mais également dans la vie de tous les jours”, analyse Dussart.
“Il trouve le petit truc dans un dossier qui peut tout faire tomber. Il y a eu quelques incidents avec des magistrats qui le trouvaient insolent”
Ainsi, au moment de l’éclatement de l’affaire du chantage royal, dans lequel les journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet sont suspectés de tentative de chantage et d’extorsion de fonds auprès de Mohammed VI, l’avocat utilisera les termes de “voyous” pour qualifier les deux suspects. Il qualifiera cette histoire, au micro de RTL, de “glauque” et expliquera avec ses mots : “Exercer un racket, un chantage, sur un chef d’État en exercice, c’est du jamais vu, c’est une audace folle.”
En septembre 2016, la défense du royaume essuie un premier revers : les deux enregistrements mettant en cause les journalistes Laurent et Graciet sont jugés illégaux par la plus haute juridiction française. Là encore, le représentant ne se décourage pas et souhaite mettre en avant l’absurdité d’une telle décision. Il confiera à TelQuel : “Si demain vous êtes victimes d’extorsion de fonds, il vaut mieux engager des barbouzes ou des majordomes pour régler cette affaire, plutôt que de faire appel à la police, c’est ce que dit cette décision de justice. C’est aberrant.” Se disant “sidéré” par un tel verdict, il confirmera vouloir poursuivre l’affaire auprès de la Cour d’appel de Reims.
Une force de conviction qui a sans doute fini de convaincre le Palais, au-delà de son impressionnant pedigree, de faire appel à lui. Sur cette abnégation, Jean Decamp, membre honoraire du barreau de Lille, confiera, dans un long portrait de Libération consacré au pénaliste : “Il trouve le petit truc dans un dossier qui peut tout faire tomber. Il y a eu quelques incidents avec des magistrats qui le trouvaient insolent.” Un profil qui ne plaît pas à tout le monde, mais qui est la résultante d’un parcours personnel très singulier.
Destin tracé
Orphelin de père à l’âge de 4 ans, Dupond-Moretti prendra le patronyme de Moretti en hommage à sa mère, une femme de ménage d’origine italienne, qui l’élèvera seule. Alors qu’il n’est âgé que d’une quinzaine d’années, il assiste au procès très médiatisé de Christian Ranucci, premier condamné à mort guillotiné sous le septennat du président Giscard d’Estaing et auteur de l’enlèvement et du meurtre d’une fillette de huit ans. Un événement qui, combiné à la mort suspecte de son grand-père maternel, pour lequel aucune suite judiciaire ne sera enclenchée, finit de convaincre Dupond-Moretti d’endosser, plus tard, la robe d’avocat.
Tour à tour serveur en boîte de nuit, surveillant d’écoles ou boursier pour subvenir à ses besoins, en même temps qu’il poursuit ses études de droit, il revient avec fierté sur “la richesse de son parcours et de ses expériences de vie”, dans l’émission Remède à la mélancolie, sur France Inter.
“J’aurais défendu Klaus Barbie, et même Hitler s’il me l’avait demandé”
Jean-Louis Pelletier, grand pénaliste parisien revient, lui, sur son parcours en tant que jeune avocat, en début de carrière, dans le portrait dressé par Libération : “Il en voulait, mais à l’époque, pour être franc, il ne m’a pas marqué plus que ça. Si, son physique ! Il avait un gabarit qui convenait bien à quelqu’un qui veut défoncer les portes fermées. Ce n’est qu’un peu plus tard, plaidant à un même procès, que je me suis rendu compte de son talent.”
Un pénaliste de Lille nous confiera même que cette attitude peut paraître quelquefois “insupportable” pour certains confrères qui s’efforcent de livrer une image “lisse et propre”, tout en reconnaissant que l’attitude “brute de décoffrage” de Dupond-Moretti plaide pour lui, au vu de ses résultats.
De ses passages à Lille, Toulouse ou Marseille, il se construit une réputation solide d’avocat pour qui n’importe quel combat ne paraît impossible. “J’aurais défendu Klaus Barbie, et même Hitler s’il me l’avait demandé” avait-il déclaré au journal Le Point, qui lui consacrait un portrait en février 2015.
Éric Dupond-Moretti compte à son actif l’acquittement de Roselyne Godard, la célèbre “boulangère d’Outreau”, l’acquittement de Jean Castela dans l’affaire du meurtre du préfet Erignac, ou encore celui de Nordine Mansouri alias la Gelée dans l’affaire dite du “braqueur de fourgon présumé”.
Homme de théâtre
Habitué des médias et souvent sollicité par les facultés de droit, Éric Dupond-Moretti sait aussi jouer de son personnage. À quelques jours de la sortie mondiale du nouvel opus de Star Wars, en décembre 2015, il endosse à nouveau le costume d’avocat pour venir en aide au plus célèbre méchant du cinéma, Dark Vador.
Un sketch rondement mené, en guise de clin d’œil au film qui allait devenir l’un des plus grands succès commerciaux de l’histoire du cinéma, pour lequel l’avocat s’est prêté au jeu avec brio.
Sa maîtrise des médias, il l’assume et en joue. “L’exposition médiatique lui plaît”, indique Éric Dussart. “C’est d’ailleurs à partir du moment où il a pris une dimension nationale qu’il a commencé à essuyer des critiques. À ce moment, les jalousies de certains autres pénalistes et juges se sont accentuées.”
La jalousie et la critique comme rançon du succès, Dupond-Moretti les assume. Tout autant que son rêve, non avoué, mais souligné par grand nombre de ses proches, de marquer l’histoire des grands pénalistes français de son empreinte.
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