Le 26 octobre, en début de soirée, le gotha économique du pays est en ébullition. Azdine El Mountassir Billah est démis de ses fonctions de directeur général de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). L’information, révélée par nos confrères de Médias24 vers 18h30, se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Entre-temps, le téléphone du patron est sur boîte vocale, non pas parce qu’il souhaite éviter les appels des plus curieux, mais parce qu’il est à l’étranger. “Il était dans un avion”, nous affirme une source proche du dossier. Ce n’est que vers 21h30, de retour à Rabat, que le désormais expatron de l’ANRT prendra connaissance de la mauvaise nouvelle. Bien après tout le monde donc.
Une affaire d’État
La destitution du patron de l’Agence de réglementation a eu l’effet d’une bombe, prenant de court même le conseil d’administration de l’ANRT. “Lors des dernières réunions du conseil, rien ne laissait présager une telle issue”, tempête un administrateur qui défend l’ex-DG : “Le conseil n’a d’ailleurs jamais relevé quoi que ce soit de négatif concernant la gestion d’El Mountassir Billah. L’Agence est considérée comme l’un des meilleurs régulateurs au monde”. Pourtant, celui qui a occupé le poste de patron de l’ANRT pendant huit ans doit bel et bien faire ses cartons. Une source bien informée nous révèle que le départ d’El Mountassir Billah serait due à “l’initiative de son ministre de tutelle (NDRL: Moulay Hafid Elalamy), qui se serait plaint du patron de l’ANRT au Chef du gouvernement. Abdelilah Benkirane a transmis ses griefs au roi qui a relevé El Mountassir Billah de ses fonctions”. En effet, comme précisé dans ses prérogatives, seul Mohammed VI peut nommer ou démettre le DG de l’ANRT. Pour quelles raisons Moulay Hafid Elalamy aurait-il demandé la tête d’El Mountassir Billah ? “C’est une simple question de responsabilité”, nous répond une source proche du dossier, qui ne voit pas en quoi le débarquement du patron de l’ANRT est “une affaire nationale”. “Il y a une succession d’erreurs managériales qui ont contraint à un rétropédalage”, tente d’expliquer notre source. “À plusieurs reprises, les acteurs du secteur se sont plaints des décisions de l’ANRT. Une goutte a fait déborder le vase”, ajoute notre interlocuteur. Il fait sans aucun doute référence à la gestion des émetteurs radio-magnétiques qui a fait jaser les services sécuritaires du royaume ces dernières semaines. En août dernier, un texte de loi a été adopté et publié dans le Bulletin Officiel, privant l’ANRT de l’une de ses prérogatives les plus sensibles au profit de la HACA : la gestion des fréquences utilisées dans les domaines sécuritaire, militaire et d’aviation civile. Cette “erreur” a fait sortir de ses gonds le ministre de tutelle, Moulay Hafid Elalamy, qui s’est empressé de proposer un projet d’amendement afin de restituer à l’agence de réglementation sa compétence d’octroi ou de retrait des autorisations d’exploitation des émetteurs radio-magnétiques.
Ahizoune, mêlé malgré lui
Le patron de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune, ne serait donc pour rien dans le limogeage d’El Mountassir Billah, comme certains médias l’ont supposé au début. Ils ont interprété cette éviction comme la conséquence du récent avertissement de l’ANRT adressé à Maroc Telecom concernant le dégroupage. “L’avertissement n’est pas discutable, car il est d’ordre technique”, insiste une source proche du dossier. En 2007, l’opérateur historique a été appelé, en vertu de la loi, à partager ses infrastructures avec les concurrents désireux de développer des offres filaires (téléphonie fixe et Internet via ADSL). Cette obligation légale mettait fin à un monopole de fait qu’entretenait Maroc Telecom sur ces deux segments. Malgré les multiples mises en demeure adressées par l’ANRT à l’opérateur historique, suite aux plaintes de Méditel et d’Inwi, Maroc Telecom n’aurait pas réagi, selon ses concurrents. En réponse, ces derniers n’ont dénoncé qu’à demi-mot le laxisme avec lequel cette affaire était traitée. Le dernier avertissement adressé par le régulateur à Maroc Telecom constituait donc pour Méditel et Inwi un réel espoir. Surtout que le ton adopté dans les 41 pages reçues par l’opérateur historique tranche avec les éléments de langage qu’adopte généralement l’ANRT : “Non-respect, répétitif et quasi systématique, des délais qui lui ont été fixés”, “renforcement artificiel de la position dominante d’IAM”, “non-respect des obligations en matière de fourniture d’informations nécessaires à ses concurrents”.
VoIP, c’est fini
Le débarquement d’El Mountassir Billah intervient également dans un contexte de grogne populaire contre le blocage de la VoIP. Le 5 janvier dernier, les Marocains découvrent, du jour au lendemain, la suspension des appels gratuits via Viber, Skype et WhatsApp. L’ANRT n’a jamais averti ni communiqué au préalable quant à ce blocage. Le régulateur ne pouvait pas faire fi de l’incompréhension générale des Marocains condamnant cette décision, jugée injustifiée. L’Agence a tenté d’éteindre l’incendie deux jours après le blocage de la VoIP. “Le choix du timing s’explique par ce phénomène qui a pris des proportions significatives, et qui ne cesse d’impacter négativement les revenus des opérateurs. L’interruption de ces applications est d’abord et avant tout justifiée par des considérations liées au respect du cadre juridique et légal en vigueur”, avait alors confié El Mountassir Billah dans un entretien publié dans TelQuel en janvier dernier. Cela ne convainc personne. La mobilisation contre cette décision se poursuit et prend des proportions “dérangeantes” à l’approche de la COP22, car une rumeur fait état du déblocage “temporaire” pour les besoins de cet évènement international. Des militants n’hésitent pas à adresser un appel directement aux participants à l’évènement. “À tous les invités du Maroc durant la COP22, nous Marocains, sommes autorisés à utiliser les appels via Skype, WhatsApp et les autres applications VoIP juste parce que vous êtes là. A la minute où vous serez partis, le blocage sera réactivé. Au Maroc, nous ne bénéficions pas de nos droits”, est-il inscrit sur l’affiche qui fait le tour des réseaux sociaux.
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Pour l’heure, la direction par intérim est assurée par le directeur de la concurrence et du suivi des opérateurs à l’ANRT, Azelarab Hassibi, désigné par Moulay Hafid Elalamy, au lendemain du débarquement d’El Mountassir Billah. Qui sera le prochain patron de l’Agence de réglementation des télécoms ? “Nous prendrons notre temps pour trouver le bon profil, il n’y a pas d’urgence”, conclut notre source.
SES FAITS D’ARMESLe limogeage d’El Mountassir Billah entache la carrière de cet ingénieur télécoms qui ne jurait que par la discrétion. Le sexagénaire avait repris les rênes de l’Agence de régulation alors que le dégroupage avait à peine été acté sous le mandat de son prédécesseur, Mohamed Benchaâboun, l’actuel PDG de la BCP. Ce natif de Fqih Bensaleh devait mener plusieurs chantiers, dont la baisse des prix des télécommunications. “À l’époque, il fallait d’abord traiter sérieusement la cherté des prix de télécommunication dans le secteur”, confie à TelQuel un membre du conseil d’administration de l’ANRT. “Ce problème est désormais derrière nous, car le Maroc est l’un des pays où la téléphonie coûte le moins cher au monde”, ajoute-t-il. En effet, les tarifs ont chuté de près de 76% entre 2010 et 2015 pour se fixer à une moyenne de 0,27 dirham la minute. Le secteur des télécoms doit également à Azdine El Mountassir Billah le lancement anticipé de la 4G en 2015. Selon le cahier des charges de l’ANRT, la téléphonie 4e génération ne devait être mise en place qu’en 2016.[/encadre] |
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