« L’éducation islamique ne va plus être enseignée de manière historique mais de manière contemporaine, et sera adaptée à des élèves vivant au XXIe siècle ». C’est à partir de ce postulat que la réforme des manuels scolaires a été menée, nous explique Fouad Chafiqi, directeur des curricula et des programmes scolaires au ministère de l’Éducation nationale. Le roi Mohammed VI a donné le 6 février ses instructions pour la révision des manuels scolaires de l’éducation religieuse lors d’un conseil des ministres à Lâayoune. En sept mois chrono, une commission de pédagogues et d’« ouléma » (savants religieux du ministère des Affaires islamiques et des habous) ont travaillé d’arrache-pied pour élaborer ces livres scolaires, non sans susciter l’ire des conservateurs quant à la nouvelle appellation de la matière. Il a été reproché au ministère de tutelle de tenter de changer l’intitulé de la matière de « éducation religieuse » à « éducation islamique ».
La disponibilité de ces ouvrages reste, toutefois, un problème à régler. Si les manuels consacrés au primaire et au collège sont enfin disponibles, ceux du lycée traînent toujours alors que la rentrée scolaire a commencé depuis un mois et demi. « Il faudrait attendre au maximum 17 jours avant leur publication » notifie Fouad Chafiqi.
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Les anciens manuels scolaires d’éducation islamique présentaient plusieurs dysfonctionnements, tant sur la forme que sur le fond, dont quelques références indirectes au rigorisme religieux. Certains professeurs de la matière n’hésitaient pas dans leurs cours à séparer filles et garçons ou à harceler des jeunes filles pour qu’elles mettent le voile. « Parfois, le contenu des anciens manuels scolaires validait de manière indirecte ce type de comportement » regrette Fouad Chafiqi. « Cette discipline a revêtu, dans le passé, la forme de daâoua (prêche). Avec cette réforme, on tient à faire de l’éducation islamique une discipline scolaire comme toute autre » tranche notre source.
Fini les histoires du VIIe siècle
Le premier changement concerne la philosophie adoptée pour l’enseignement de la matière. Dans l’édition 2016/2017 du guide des professeurs d’éducation islamique, on peut lire que la discipline a pour objectif « de satisfaire les besoins de l’apprenant selon les recommandations de la chariaâ », à savoir observer la prière à partir de 7 ans, le jeûne après la puberté, etc. Toutefois, l’apprentissage de l’éducation islamique doit désormais prendre en compte « la progression du développement cognitif, affectif, moral » ainsi que « le contexte social » de l’élève.
Fini donc les cours déconnectés de la réalité, comme celui sur « la pratique d’al–istinjâ‘ » (hygiène intime selon les rites de l’islam), qui figurait dans l’ancien manuel de la 4e année du primaire. Les élèves étaient censés apprendre les techniques d’hygiène intime en utilisant des pierres comme prescrit dans un hadith. « Cela renvoie à une réalité du VIIe siècle, alors qu’aujourd’hui les choses ont changé » commente le cadre du ministère de l’Éducation nationale. Les illustrations ont subi le même dépoussiérage : Alors que les anciens manuels montraient exclusivement des petites filles voilées, les nouveaux affichent indifféremment voilées et non voilées. « Les systèmes éducatifs performants sont plus souvent ceux qui collent au plus près à la réalité. Plus le gap entre la réalité et le contenu des manuels est important, plus on laisse la voie ouverte aux interprétations. »
Athéisme et… investissement : de nouvelles thématiques pour des cours plus « rationnels »
Dans le lot des thématiques qui font leur entrée dans le nouveau corpus des manuels scolaires de l’éducation islamique, on retrouve un cours dédié à l’utilisation utile des outils électroniques (manuel de la première année du collège), mais aussi un cours sur l’athéisme « entre mythe et vérité » (manuel de la deuxième année du collège) ou encore un cours sur « les principes d’investissement de l’argent dans l’islam » (manuel du tronc commun du lycée). « L’idée est d’aborder le corpus religieux de manière rationnelle, car la religion n’est pas figée dans le temps » nous explique Fouad Chafiqi. La question de l’héritage, une leçon qui a donné du fil à retordre à plus d’un en deuxième année du lycée, a été « allégée ». « C’était trop dur pour les élèves. On voulait faire d’eux des adouls alors que l’objectif est juste d’enseigner les notions de base, sans entrer dans les détails » clarifie Fouad Chafiqi.
Dans les nouveaux manuels, l’enseignement des sourates se fait désormais par thème et de manière graduelle en fonction de l’âge et de la compréhension des élèves. « Il y a des sourates qu’on ne peut étudier qu’à l’âge de 13/14 ans, bien qu’elles soient faciles à apprendre et d’autres plus longues qui sont beaucoup plus compréhensibles pour les jeunes élèves. Ils les étudieront de manière fragmentée » détaille Chafiqi.
Dix sourates ont été sélectionnées pour l’enseignement primaire “Al Fatiha, At Tin, Qoraich, Al Ikhlass, Al Fil, Al Kafiroun, Al Falak, Al Nass, Al Kadar, Addoha”. Pour le niveau du collège, il y a en a six “Al Qaf, Lokmane, Al Najm, Al Hujurate, Al Hachr, Al Hadid”. Alors que pour le lycée, il y en a trois : “Al Kahf, Youssef, Ya-sin”.
Le ministère a décidé de faire l’impasse sur l’explication du dernier verset de sourate Al Fatiha, ce qui avait fait polémique bien avant la parution des nouveaux manuels. Pour Fouad Chafiqi, « on ne peut pas expliquer à un enfant de six ans que « Al-Maghđūbi `Alayhim » et « Ađ-Đāllīn » fait référence aux juifs et aux chrétiens. Il faut situer ce verset dans son contexte historique et il faudrait de la maturité pour la comprendre. Un enfant de six ans est dans le concret ». Il précise toutefois que c’est une sourate primordiale que l’enfant doit apprendre afin d’effectuer sa prière.
Nouvelle structure pour l’enseignement religieux
Pour enseigner ce corpus, les professeurs devront suivre un modèle valable pour tous les niveaux scolaires, décliné en cinq volets. Il y a « tazkiya / recommandation » où les élèves apprendront notamment « l’amour de Dieu et la purification de l’âme » à travers la lecture et la mémorisation de sourates du coran. Par la suite, vient « Al iktida », où ils seront initiés à la vie du prophète. Troisième volet, « Al istijaba / réponse » : les élèves devront résoudre une problématique à la lumière de ce qu’ils ont appris du coran et de la vie du prophète (Al-sira nabawia). Les deux derniers volets, « Al Kist / droits » et « Al Hikma / sagesse » enseignent aux apprenants leurs droits et devoirs, selon les préceptes de l’islam.
Il reste à savoir si les professeurs d’éducation islamique respecteront l’esprit de ce nouveau programme. « Les parents et enfants devront être vigilants, s’ils sentent que l’espace d’éducation se transforme en un espace de prédication, ils leur incombent de le signaler par les moyens légaux », recommande Chafiqi.
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