Aujourd’hui, c’est mercredi et c’est un jour que tu détestes. La vie adulte a ôté à ce jour tout son charme. Avant, c’était le jour sans école et avec des goûters ou des cours de danse. Aujourd’hui, c’est un milieu de semaine sans saveur, sans vernissage et sans soirée. Tu t’ennuies au boulot. Tu n’as aucune motivation et pas beaucoup d’entrain. Tu es face à ton écran d’ordinateur, tes yeux sont ouverts mais tu ne vois rien. Même Facebook te paraît inintéressant. Tu n’as pas envie de grand-chose. Tu ne réponds ni aux Whatsapp de Zee, ni aux mails de ton boss. Tu n’as pas été déjeuner, tu as mangé n’importe quoi, trois M&M’s et bu une canette de Coca Light, tu n’as pas faim. Tu es mal coiffée et tu t’en fous. Tu n’as même pas envie d’aller faire les boutiques. Tu n’es pas simplement malheureuse pour autant. Le malheur ce n’est jamais simple de toute façon. Tu ne sais pas ce qu’il t’arrive. Tu ne comprends pas pourquoi tu es dans cet état à moitié vaseux. Tu n’as pas de gueule de bois, hier tu étais à la tisane. Tu n’as pas de chagrin d’amour, tu ne t’es pas pris la tête avec ta mère, et tu n’as pas fait de conneries que tu regrettes.
Tu te dis que ça doit être la lune. Ça ne peut être que ça. Tu ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre. Alors tu veux vérifier où en est la lune dans son cycle ; et comme tu as des applis pour à peu près tout, tu as aussi une appli sur le cours de lune. C’est tout de même fou comment l’iPhone a changé la manière de gérer ta vie. Tout paraît tellement plus simple, il te suffit de faire glisser tes doigts sur l’écran pour avoir l’impression de tout savoir, de tout contrôler. Tu connais l’état plus ou moins inquiétant de ton compte en banque, tu peux scruter la vie de tes potes et la manière dont ils la mettent en scène, tu comptes tes calories et le nombre de clopes que tu fumes, tu te fixes des objectifs de sport, tu fais semblant de t’intéresser à l’actualité, tu fais des listes.
Grâce à cet iPhone, tu as l’air constamment occupée. Tu le trouves tellement pratique comme écran pour masquer ton incommensurable passivité. Et du coup, aujourd’hui c’est à l’activité lunaire que tu t’intéresses. La lune fait et défait les marées, et puis, d’une certaine manière, notre calendrier aussi est lunaire, alors tu te dis que la lune a forcément un impact sur notre corps. Et sur ton humeur du jour donc. Tes doutes sont confirmés, c’est bien la pleine lune. C’est donc ça qui te met dans cet état. Au moins tu n’as pas besoin de te remettre en question, tu n’as pas besoin de faire d’efforts. Tu restes là, passive comme tu sais si bien le faire, tu es débordée par ton vide. Tu regardes les choses s’étioler mais tu ne fais rien pour que ça s’arrange. Et puis, quand tu sens que ça ne va plus du tout, tu prends des médocs. Tu fais des mélanges sans rien y comprendre et au pire il y a le père du beau-frère de Zee qui te balance des ordonnances sans se faire prier. Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. Tu ne t’intéresses pas aux éventuelles conséquences de tes actes. Les lendemains te paraissent loin et tu dis que ça sera forcément mieux. Ça sera moins pire en tout cas. Tu te laisses porter par les flots et par la lune aussi. A quoi bon se prendre en main ? Tu es à la grâce de Dieu, un peu comme ton pays.