Union européenne : Menace sur les phosphates marocains

La Commission européenne prépare une proposition de règlement qui risque d’arrêter les importations de phosphates en provenance du Maroc. En cause, le cadmium, un métal considéré comme cancérigène, contenu dans le minerai. L’OCP a quelques mois pour influer sur cette décision.

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Le siège de l'OCP à Casablanca. Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

C’est une bataille larvée qui se joue entre l’OCP et la commission européenne (CE). Celle-ci prépare depuis mars dernier une nouvelle législation pour réglementer l’entrée de phosphates et d’engrais sur le territoire européen. Cet acte juridique, qui fera office de loi après son adoption par le parlement européen, traduit la volonté de la CE d’harmoniser les textes régissant ce marché, en instaurant des standards à l’échelle européenne au lieu des normes éparses appliquées jusque-là par chacun des membres de l’UE.

Le métal de la discorde

Le Maroc et l’OCP sont particulièrement concernés par cette mesure. Bruxelles souhaite instaurer une limite stricte concernant la teneur d’un métal toxique qui se trouve naturellement dans les roches de phosphates et se transmet dans les engrais. Il s’agit du cadmium, un métal blanc-bleuâtre, mou et très malléable, considéré comme cancérigène par les experts européens. Il provoquerait, selon plusieurs études, des cancers liés aux voies respiratoires, notamment au poumon. L’UE propose donc d’abaisser la limite autorisée de cadmium dans les engrais à 60 mg/kg, puis à 40 mg/kg après trois ans (2021) et à 20 mg/kg à l’horizon 2030. Un écart considérable face aux teneurs actuelles contenues dans les phosphates marocains, qui varient de 29,5 à 72,7 mg/kg selon le site d’extraction de la roche et du type d’engrais produit.

À en croire des documents de la commission européenne consultés par TelQuel, cette dernière révision du règlement sur le marché des engrais a un double objectif. D’un côté, la branche exécutive de l’UE affiche la volonté de mieux protéger la santé des citoyens et l’environnement en limitant la présence de contaminants dans les matières et additifs fertilisants dans l’ensemble de l’Union. D’un autre, elle souhaite éliminer les barrières à l’entrée pour les engrais organiques et à base de déchets afin de réduire la dépendance de l’Europe à l’importation. “À l’heure actuelle, l’UE importe environ 6 millions de tonnes de phosphates par an, mais, selon les estimations, il serait possible de remplacer jusqu’à 30% des engrais inorganiques par des boues d’épuration, des déchets biodégradables, des farines de viande et d’os ou du fumier”, explique la CE dans un communiqué de presse. Une démarche qui se fera au détriment de l’OCP, qui réalise 32% de ses ventes sur le vieux continent.

Lobbying en marche

Alors que le texte suit son chemin législatif au sein des instances européennes, l’OCP s’est mis en ordre de bataille pour contrer la menace. En mai dernier, le groupe dirigé par Mostafa Terrab a transmis à la commission européenne ses commentaires. À travers ce document de 12 pages, dont TelQuel détient une copie, l’OCP tente de casser le raisonnement de la commission européenne en avançant comme argument la faiblesse des preuves scientifiques sur lesquelles elle a fondé l’idée de limitation de cadmium. L’OCP propose de rehausser le seuil de sa teneur dans la roche à un niveau de 80 mg/kg.

Autre argument utilisé : l’approche unilatérale de la Commission européenne dans le traitement de ce dossier. “La commission affirme que les consultations sur ces propositions ont été étendues et que les propositions sont largement soutenues par les parties prenantes. Mais la précision des deux déclarations est sujette à caution. Cela a été démontré par les nombreuses lettres adressées à la commission depuis le début de l’année 2016 par les principaux producteurs d’engrais et les associations professionnelles qui n’ont pas été consultés et qui sont fortement opposés à toute limite sous 80 mg”, explique le groupe marocain dans son plaidoyer.

Dans cette bataille contre la “mesure des 20 mg/kg”, l’OCP peut compter en effet sur un soutien de taille : la Fertilizers Europe, association des industriels européens de l’engrais. Ces derniers s’approvisionnent en phosphates auprès de l’OCP et risquent donc de perdre leur principal fournisseur. Selon eux, “cette mesure limiterait l’accès au marché de l’UE à un nombre réduit de fournisseurs, alors que l’Europe ne produit que 10% de ses besoins en phosphates”, prévient Fertilizers Europe, dans un avis adressé à la Commission.

Alerte sur les prix

Des arguments qui semblent ne pas convaincre la CE. “Les pays qui exportent la roche phosphatée pourraient être affectés à court terme certes, mais la réduction des niveaux de cadmium dans cette roche peut conduire à de nouveaux domaines de coopération et à de l’innovation en faveur de matières premières plus durables”, avance Lucia Caudet, porte-parole de la Commission, dans une déclaration à TelQuel. Elle assure même être “prête à faciliter la transition en soutenant l’investissement dans la recherche et le développement dans les technologies de décadmiation”. La décadmiation, ou la suppression du cadmium par procédé industriel, est l’ultime carte jouée par la CE pour maintenir son règlement. Or, les industriels estiment qu’il faudra des années avant que la technologie qui permet la décadmiation soit économiquement viable. Elle aura un impact sur les prix également. C’est ce que précise Fertilizers Europe, rappelant que “limiter le niveau de cadmium dans les engrais phosphatés a un impact important sur le prix du produit fini en raison de la rareté des gisements de phosphates faibles en cadmium. L’augmentation des coûts sera transmise aux agriculteurs européens au détriment de leur compétitivité internationale”. Des estimations évaluent un impact sur les prix des fertilisants allant de 5 à 15%, ce qui pourra causer une envolée des prix des produits agricoles en Europe. Un débat aux grands enjeux en somme, qui se joue désormais dans les couloirs de la Commission, mais qui se déplacera dès les premiers mois de 2017 au parlement européen, seule institution habilitée à prendre une décision dans ce dossier. Une bataille où l’OCP s’appuie sur ses clients européens, mais également sur le cabinet de lobbying Dechert LLP, mandaté depuis 2013 pour influer sur le cours des choses.

Alternative. La Russie, grand gagnant ?

Suivant ce débat européen de près, les Russes doivent se frotter les mains. Car si l’Union européenne décide de faire un blocus sur les phosphates marocains, la seule alternative qui reste pour les importateurs européens est la Russie, dont le sol regorge de réserves en phosphates naturellement faibles en cadmium. Du pain bénit qui fera de la Russie un acteur indispensable à l’agriculture européenne. Ce qui n’est pas pour rassurer les pays de l’UE, qui craignent que la Russie ne joue de cette carte pour affaiblir l’Europe, ou pour peser dans des négociations politiques à caractère stratégique. Une donne qui complique les choses pour les 28, mais qui peut faire pencher la balance en faveur de l’OCP.[/encadre]

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