La forêt marocaine est en danger. Et bien que le Haut-commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification (HCEFLD) explique que la superficie forestière du royaume a augmenté de 2 % ces dix dernières années, il n’en demeure pas moins qu’elle est en mauvaise santé. Ces chiffres prennent en compte la superficie absolue mais ne rendent pas compte de la mauvaise qualité de la forêt. Voilà la distinction entre la dégradation et la déforestation, la première pouvant aboutir à la première, nous explique Abderrahman Aafi, chercheur en écosystèmes forestiers, biodiversité et changements climatiques, entre autres. Sont donc encore comptabilisés par le HCEFLD des hectares d’arbustes et de buissons qui n’ont plus grand-chose à voir avec une forêt : « Les neuf millions hectares sont là mais le contenu n’y est plus », avertit le chercheur. 9 millions d’hectares à protéger, donc.
Pourquoi protéger cet or vert ?
Un peu de pédagogie. La forêt est essentielle. Les arbres séquestrent du CO2, limitant ainsi le réchauffement climatique. Elle est aussi un rempart contre la désertification (menaçant 95 % du territoire national) en permettant de fixer les sols et de fournir de l’ombre aux végétaux. Evidemment, la forêt abrite de nombreux écosystèmes donc en disparaissant, elle emporte sur son passage des espèces animales et végétales, et donc tout un pan de la biodiversité marocaine. Pour ceux qui ne sont pas sensibles à la cause environnementale, la forêt, plus au Maroc que dans les pays du nord, constitue une source de revenus pour une grande partie de la population rurale (300 000 millions de dirhams de recettes directes annuelles, seulement pour ce qui est déclaré), et contribue à 18 % de la composition énergétique nationale.
L’homme, principal ennemi de la forêt marocaine
Directement ou indirectement, l’homme est en bonne partie derrière la déforestation. Parmi les principales causes : le réchauffement climatique qui entraîne des périodes de sécheresse et dérègle le cycle des précipitations au Maroc. S’y ajoute le défrichement (pour revendre le bois de chauffe ou donner des branches au bétail) d’environ 5 000 hectares par an, souvent réalisé de manière illégale, et le surpâturage (plus de quatre fois la quantité supportable, d’après Abderrahman Aafi). La nature est bien faite mais l’homme la perturbe : les animaux sauvages des forêts participent à sa préservation, par exemple, en marchant sur les glands de chênes qui peuvent ainsi germer. Ces bêtes ayant disparu, les glands restent au sol sans germer ou sont récupérés par la population locale pour être vendus (voir encadré).
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Aussi, les incendies ravagent des hectares de forêts chaque année. Parfois criminels ils sont souvent dus à la sécheresse (elle-même favorisée par le réchauffement climatique). Or, les espèces originaires brûlaient moins facilement mais les arbres parfois choisis par les autorités pour reboiser le Maroc sont plus inflammables, alerte Abderrahman Aafi : « Chaque année, des mêmes zones prennent feu parce que ce sont des résineux, pourquoi ne pas favoriser les espèces spontanées ? » Parce que les espèces choisies bénéficient d’une croissance plus rapide et d’un rendement plus élevé. Une pratique « plus facile mais non justifiée », estime notre source. Le plan de 1997 prévoit déjà de privilégier les espèces naturelles, mais d’après le chercheur, cet impératif n’est pas systématiquement respecté.
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Les autorités débordées ?
Dès les années 1970 les autorités ont pris conscience de l’enjeu de la préservation de la forêt. Des plans de reboisement ont été adoptés en 1970 et en 1994. Mais d’après le chercheur, l’enjeu mérite plus d’audace : « Il faut oser », ne cesse-t-il répéter. Parmi les propositions du scientifique : « Une plus grande diversification des espèces de reboisement en accordant une priorité aux espèces naturelles ». Pour lui, le reboisement doit aller plus vite puisque même s’il est beaucoup plus intensif qu’au début (36 000 hectares par an en 2015 contre 10 000 hectares par au début des années 1980), il compense à peine la déforestation (l’équivalent de 30 000 hectares par an).
Et au manque de moyens s’ajoutent les oppositions de la population, comme dans les provinces de Tétouan, Azilal ou encore Khénifra. Des oppositions qui n’ont pas lieu d’être, d’après le Haut commissaire Abdeladim Lhafi : « Les gens s’opposent au reboisement pour des raisons tout à fait incompréhensibles », des outils permettent de « compenser les usagers sur le droit d’usage qu’ils n’utilisent pas pendant la période de mise en défense », expliquait-t-il récemment à la MAP.
Les lois non respectées
Abderrahman Aafi regrette le manque de moyens financiers et humains. Des hommes, il en faut pour contrôler ces millions d’hectares défrichés illégalement par la population locale, qui y trouve son seul moyen de subsistance, « vit dans la forêt et pour la forêt », résume cet amoureux de la nature. La réglementation qui n’est pas respectée, que ce soit celle qui interdise de vendre du bois particulier (l’essentiel appartient à l’Etat) sans autorisation ou bien celle qui contraint les communes rurales à réinvestir les recettes provenant du domaine forestier qu’elles encaissent dans le reboisement (dahir de 1976). Selon Abderrahman Aafi, seuls 2 % de ces recettes sont réinvesties dans le reboisement.
Une structuration de la filière sylvicole permettrait d’augmenter les rendements et ainsi d’améliorer la situation de la population locale qui défriche et vend du bois souvent de manière anarchique. Attirer les entreprises privées en leur accordant une fiscalité plus avantageuse pourrait aussi être une solution.
Le chêne-liège, menacé plus que jamais |
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Le Maroc abrite 15 % de la superficie mondiale des subéraies (forêts de chênes-lièges). Mais cette superficie ne cesse de diminuer : elle est passée de 1,8 million d’hectares au début du siècle dernier à 377 500 hectares aujourd’hui. Les subéraies sont dans plusieurs régions du Maroc. Celle près de Taza est assez bien conservée, celle de la Mamora (la plus vaste du monde) est menacée par le pâturage, l’urbanisation et le commerce des glands doux, alors que celle du Rif se réduit au fur et à mesure que le défrichement illégal s’accentue pour y mettre de la céréaliculture, arboriculture ou du cannabis. En plus, certains programmes d’aménagement prévoient de substituer les subéraies clairsemées par des peuplements artificiels d’essences exotiques comme l’eucalyptus par exemple, nous explique Abderrahman Aafi, chercheur en écosystèmes forestiers, biodiversité, et changements climatiques, entre autres. Le Maroc ne contribue qu’à hauteur de 4 % à 6 % de la production mondiale de liège. Dans le royaume, cette production génère 120 millions de dirhams de recettes soit près de 40 % des recettes annuelles de la commercialisation des produits forestiers locaux. Alors que ces forêts appartiennent à l’Etat, la collecte du liège et sa transformation sont déléguées à des entreprises privées (une cinquantaine). Le liège est extrait aux mois de juin et juillet, avant d’être entreposé jusqu’au mois d’avril de l’année suivante, moment où il est vendu aux enchères. Le liège du chêne prend neuf ans pour se régénérer. Puis la subéraie offre aussi d’autres produits commercialisables comme les truffes, les champignons et le miel.[/encadre] |
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