Pourquoi la polémique sur les déchets italiens est un enfumage

À quelques mois des élections et de la COP22, la polémique autour des déchets importés d’Italie est tombée à point nommé pour décrédibiliser l’action du gouvernement. Une polémique faite de populisme, de rumeurs infondées et de désinformation.

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Hakima El Haité. Crédit: R. Tniouni

L’importation de 2 500 tonnes de déchets d’Italie fait les choux gras de la presse depuis fin juin. « Une affaire d’argent au détriment de l’environnement à la veille de la COP22 ? », s’interroge le site d’information Yabiladi. « Le Maroc n’est pas la poubelle de l’Italie », titrent simplement d’autres supports. Des associations montent à leur tour au créneau, dénonçant l’importation de « déchets toxiques ». Le tout couronné par une pétition qui a recueilli plus de 20 000 signatures en moins de dix jours. « Mobilisons-nous afin d’éviter la combustion de ces déchets et prévenir les conséquences néfastes conduisant à la dégradation des sols agricoles et l’émergence de maladies chroniques et anomalies congénitales permanentes sur la santé des citoyens, surtout les résidents d’El Jadida », s’alarme le Forum marocain des droits de l’Homme, dans la pétition. La polémique, du reste infondée, a pris une ampleur telle que, sur les réseaux sociaux, des activistes demandent la tête de Hakima El Haite. Vilipendée sur la Toile, isolée au sein du gouvernement, la ministre chargée de l’Environnement, après avoir diffusé le 30 juin un communiqué pour rassurer l’opinion, a multiplié les sorties pour expliquer que les déchets « incriminés » sont des combustibles destinés à une cimenterie, lesquels combustibles sont utilisés dans tous les pays développés.

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Bref, un événement somme toute banal s’est transformé en un tourbillon où se mêlent rumeurs, désinformation et ratés de communication que ni les sorties de la ministre, ni les explications des experts n’ont réussi à calmer. Sauf peut-être la décision du gouvernement qui a décrété, le 14 juillet, lors de son dernier conseil, la suspension des importations de déchets, cédant (bêtement) au populisme. Comment en est-on arrivé là ?

Sur les quais

Tout commence le 24 juin. Un bateau accoste au port de Jorf Lasfar. À son bord, 2 500 tonnes de déchets, cargaison destinée à être incinérée dans les fours de la cimenterie Lafarge, située à Bouskoura, près de Casablanca. Ces déchets portent un nom : RDF, pour refuse-derived fuel. En clair, il s’agit d’un mélange de plastique, bois, carton et tissus, le tout broyé. Dans le monde des cimentiers, ce combustible alternatif est prisé, au point qu’en Europe, pas moins de 20 millions de tonnes sont incinérées chaque année dans les fours. « Ce n’est pas le premier bateau de déchets qui arrive au port. Tous les cimentiers sans exception ont déjà importé des RDF », nous confie un haut gradé de la douane. Même son de cloche du côté de l’Association professionnelle des cimentiers. « Nous importons des RDF depuis 2012 », précise Brahim Ezzerouqi, président du comité technique de l’association. Mais, ce jour-là, un employé du port, surpris par la nature de la marchandise, prévient une association locale, qui alerte la presse. Le centre régional de l’environnement et du développement durable d’El Jadida ouvre le bal le 28 juin, condamnant l’importation de ces déchets « qui s’avèrent dangereux et toxiques ». Suivront d’autres communiqués, largement relayés sur les réseaux sociaux, mais aussi par la plupart des journaux, sans la moindre vérification. « C’est un cas qui doit être enseigné dans les écoles de journalisme », sourit Abdellatif Bensfia, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de l’information de Rabat.

Et rebelote !

Clouée au pilori, Hakima El Haite diffuse le 30 juin un communiqué de presse précisant que « le ministère délégué chargé de l’Environnement n’a autorisé l’importation que des déchets type « RDF » qui sont des déchets non dangereux utilisés en tant que combustible de substitution à l’énergie fossile classique ». Mais sa réaction, loin de convaincre l’opinion publique, attise la polémique. Le 1er juillet, le Forum marocain des droits de l’Homme se fend à son tour d’un communiqué au vitriol dénonçant l’importation de déchets « toxiques », en « violation de la convention de Bâle signée en 1989 ».

Quelques jours plus tard, une pétition alarmante est mise en ligne : « Le ministère de l’Environnement a signé un contrat d’importation de déchets italiens principalement en provenance de la région de Campanie à Naples dans une décharge nommée Taverna Del Re, sur une période de trois ans dont le montant (sic) total des déchets s’élève à 5 millions de tonnes (sic) ». Une information aussitôt reprise même par les journaux les plus sérieux. « Ces déchets – composés de plastique et de pneumatiques – proviennent de la région de Naples, là où avait éclaté en 2013 le scandale du réseau d’éparpillement illégal mis en place par la mafia locale », explique Jeune Afrique dans un article publié le 4 juillet. Or, selon plusieurs documents consultés par TelQuel, les déchets en question proviennent de Pescara, dans les Abruzzes. Une information que confirme, le 12 juillet, le ministre italien de l’Environnement, Gian Luca Galletti. Citant le président de l’association Homme et Environnement de Berkane, le site d’information Yabiladi, réputé sérieux, laisse planer le doute sur une probable transaction financière. Information démentie par Hakima El Haite et par les cimentiers. « Lafarge a acheté ces déchets à 35 euros la tonne », explique le directeur de la cimenterie Lafarge.

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Fumée sans feu

« Il faut dire qu’on est en période pré-électorale, où les citoyens attendent un bilan du gouvernement. Quand intervient un scandale, tout peut basculer », analyse Abdellatif Bensfia. Et c’est aussi un contexte favorable à la désinformation. « Avant de prendre position sur la question des déchets envoyés d’Italie, je me suis renseigné », écrit Salah El Ouadie sur le site Quid.ma. Sauf que le poète écrit : « J’ai reçu dans ce sens, de la part de mon ami Franco Caminiti, poète italien, la mise au point suivante : ‘Voici une vidéo du gouverneur de la région de Campanie, où il exprime sa fierté d’avoir réglé le problème des déchets dans son territoire en les exportant vers le Maroc. En empoisonnant le Maroc‘ ». Dans cette vidéo, traduite par nos soins, le gouverneur de la région ne parle pourtant à aucun moment du Maroc, ni d’empoisonnement.

Terrain fertile au populisme, la polémique n’échappe pas aux politiques. « Casa et sa région devraient se suffire de leurs propres déchets avant de consentir à en importer », lance Mustapha Bakkoury, président de la région Casablanca-Settat et ancien patron du PAM. Certains éditorialistes n’ont pas résisté non plus au confort du populisme, comme Taoufik Bouachrine, directeur de publication d’Akhbar Al Yaoum, qui, sans vérifier la moindre information, s’indigne contre ces déchets dangereux importés par la société « Farge ». Fin mot de l’histoire : beaucoup de bruit pour rien ou presque… cette fausse polémique ayant au moins révélé que nos politiques n’hésitent pas à surfer sur toutes les vagues, même les plus creuses, pour casser le gouvernement… Un gouvernement qui se présentait comme courageux dans ses réformes de la Caisse de compensation et des retraites, mais qui a cédé à la pression du « peuple bleu » dans cette (sale) affaire.

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