Le nouveau plan du gouvernement pour combattre la corruption

Le gouvernement a présenté officiellement sa stratégie de lutte contre la corruption. Le même jour, Transparency Maroc présentait son baromètre 2016, tout aussi alarmant que les précédents.

Par

La grand-messe de la lutte contre la corruption a eu lieu le 3 mai. Plusieurs membres du gouvernement étaient réunis autour du ministre délégué chargé de la Fonction publique, Mohammed Moubdii et du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, pour présenter la stratégie nationale en la matière. Celle-ci n’est pas «une déclaration d’intention mais un plan d’action avec des objectifs précis et un échéancier déterminé», assure Mohamed Moubdii cité par la MAP. But de la stratégie, qui coûtera 1,8 milliard de dirhams à l’État : que les citoyens, à long terme, aient davantage confiance en leurs institutions, mais aussi que le Maroc gagne des places dans les classements internationaux, censés refléter le climat des affaires qu’offre le royaume.

La stratégie nationale de lutte contre la corruption comporte dix programmes, comme par exemple l’amélioration des services proposés aux citoyens, l’accès à l’information, le contrôle et la réédition des comptes, le renforcement des poursuites judiciaires, la sensibilisation mais aussi le contrôle des marchés publics. Certains d’entre eux prendront près de dix ans pour qu’ils soient lancés.

Réduire les contacts citoyens/fonctionnaires

Dans un document interne que le ministère de la Fonction publique a communiqué à Telquel.ma, on découvre des mesures un peu plus précises. La stratégie vise, notamment, à «réduire le contact physique entre l’administration publique et le citoyen», réduire les pouvoirs discrétionnaires des fonctionnaires (y compris de ceux qui sont en charge de l’attribution des marchés publics) ou de simplifier les procédures administratives. La feuille de route comprend aussi l’amélioration du dispositif de déclaration du patrimoine, ou la mise en place d’un dispositif de déclaration des potentiels conflits d’intérêts.

Le huitième programme, coordonné par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), concerne l’intégrité du monde des affaires. Mais, d’après le document du ministère, les leviers de mise en œuvre ne concernent que des mesures de «promotion» et d’«incitation» en matière de bonne gouvernance et de transparence, rien d’obligatoire, donc. Les deux derniers programmes concernent la sensibilisation, l’éducation et la formation, des enfants comme des fonctionnaires. Par exemple, il est prévu que les gendarmes suivent une «formation spécifique afin de lutter contre la corruption».

Lire aussi : Trois policiers soupçonnés de corruption à l’aéroport Mohammed V

Plus de poursuites judiciaires

La stratégie nationale comprend également un volet répressif. Cette volonté devrait s’accompagner d’un élargissement de la définition juridique de la corruption, d’un renforcement des sanctions (sans préciser s’il s’agira d’amendement du code pénal), ou encore de la formation des magistrats en charge de ces affaires. À moyen terme, le ministère de la Justice doit mettre à niveau l’arsenal législatif en matière de lutte contre la corruption pour le rendre cohérent avec les engagements internationaux. Pour évaluer l’impact de ce programme, l’administration regardera du côté du nombre d’affaires jugées ou encore du délai moyen d’une procédure en justice.

Ces mesures de répression pour mettre fin à l’impunité semblent essentielles, à regarder le baromètre de l’ONG Transparency Maroc (voir en bas la méthodologie) publié le même jour. D’après les chiffres de l’étude, 48 % des personnes interrogées avouent s’être adonnées à un acte de corruption durant l’année écoulée, mais seulement 10 % de celles-ci ont dénoncé cet acte. Or parmi les raisons : l’impression que «rien ne sera fait» apparaît en tête, suivie de la peur des conséquences.

Mais absence de protection des témoins

Voilà d’ailleurs le point noir de la stratégie nationale, d’après Transparency Maroc, qui dénonce le manque de «protection effective des témoins et des lanceurs d’alerte» (Aucun élément n’y fait référence dans le document qui nous a été communiqué). C’est ce qu’a pointé du doigt son secrétaire général, Fouad Abdelmoumni, dans une allocution lors de la présentation de la stratégie, bien qu’il reconnaisse sa «satisfaction» de voir «cette stratégie adoptée et formalisée».  Autre limite : «la gestion efficiente des procédures d’enquête, d’instruction et de jugement».

Lire aussi : Mustapha Ramid: la ligne anti-corruption reçoit «6 000 appels quotidiens»

Un enjeu de taille, étant donné que c’est le domaine de la justice qui est le plus touché par la corruption. Dans le baromètre de l’ONG, les personnes sondées le citent en premier, devant la police puis la santé. Alors que le PJD s’est fait, entre autres, élire pour ses promesses de lutte contre la corruption, cette stratégie a mis plusieurs années à être élaborée. Entre-temps, d’après le ressenti des personnes interrogées par Transparency Maroc, l’état de la corruption ne s’est pas amélioré. 64 % des personnes estiment d’ailleurs que le gouvernement actuel a mal géré ce dossier.

Lire aussi : Indice mondial de corruption 2015: le Maroc perd huit places

Le document qui nous a été communiqué n’évoque a aucun moment l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption, dont la création a été adoptée par le parlement mais qui n’a toujours pas été mise sur pied d’après Transaperency, qui regrette d’ailleurs la faiblesse de ses prérogatives.

Lire aussi : Lutte contre la corruption: une nouvelle instance sans super-pouvoirs

* D’après la méthodologie communiqué par Transparency Maroc, cette enquête a été réalisée sur entretiens face-à-face par AfroBarometer. Les répondants ont été choisis au hasard parmi tous les membres adultes de leur ménage. L’échantillon est pondéré pour être représentatif du dernier recensement. Tous les efforts ont été faits pour fournir des informations exactes. Puisqu’ils sont fondés sur un échantillon, tous les résultats sont sujets à des erreurs statistiques.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer