Des jeunes brutalisés et humiliés, les forces de l’ordre matraquant à tout-va et des manifestations dispersées avec une violence inouïe… des images que l’on croyait appartenir à un passé révolu. Mais ce sont ces images que les Marocains ont découvertes le 7 janvier, après la répression de marches organisées par les enseignants stagiaires. Une violence qui a provoqué l’indignation de la société civile et occupé le débat public pendant des jours. Les questions se posent sur les motivations de cette réponse brutale à un mouvement social, mais aussi sur la définition de la responsabilité des différents acteurs politiques, à commencer par le chef de l’Exécutif, Abdelilah Benkirane. Mais comment les choses en sont-elles arrivés là?
Des circulaires contestées
Tout a commencé, en juillet 2015, avec l’adoption de deux décrets émanant du département de Rachid Belmokhtar, ministre de l’Éducation nationale. Le premier instaure un concours d’accès aux postes d’enseignants dans la fonction publique. Quant au second, il revoit à la baisse les bourses mensuelles allouées aux étudiants des centres de formation, qui passent de 2454,51 à 1200 dirhams. Les enseignants stagiaires, principaux concernés par ces décrets, crient au scandale et protestent contre des décisions qu’ils estiment injustes. Selon eux, l’existence d’un concours oral et écrit pour l’accès aux centres de formation devrait les dispenser d’un autre examen. En guise de contestation, ils organisent des marches le 12 novembre dernier. Des manifestations qui se sont déroulées sans heurts ni problèmes particuliers. Ils décident alors de réitérer l’opération le 7 janvier. Mais la riposte ce jour-là est violente. Pour expliquer cette répression, les membres du gouvernement se livrent à un exercice rhétorique qui exprime un malaise au sein du pouvoir exécutif.
Vérités et contre-vérités
Au lendemain de ces événements, et lors d’une conférence organisée par l’hebdomadaire Al Michaal, Mustapha Khalfi, porte-parole du gouvernement, dénonce devant un parterre de personnalités « l’irresponsabilité du gouvernement dans cet excès de violence ». Dans la foulée, le 9 janvier, Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement, interpellé sur la question par sa base électorale, déclare, lors du conseil national du PJD, « avoir discuté » de la situation avec son ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad. Benkirane n’oublie pas de souligner que le gouvernement est contre l’usage de la violence. Le bal des déclarations est désormais ouvert. Le jour même, un communiqué du ministère de l’Intérieur précise que la dispersion des manifestations dans les villes de Fès et Tanger s’est effectuée « en conformité avec les règlements et les dispositions légales ». Puis, le 12 janvier, Hassad se présente au parlement pour répondre aux questions des élus de la première chambre. « La décision d’interdire la manifestation des enseignants stagiaires a été prise en concertation avec le Chef du gouvernement », explique le ministre de l’Intérieur. Et d’ajouter que les protestataires à Casablanca, Marrakech et Inezgane ont été « encouragés par des parties habituées à instrumentaliser les revendications de certaines catégories pour nourrir les troubles ». Il ne fallait pas être un grand analyste de la vie politique marocaine pour comprendre que Hassad faisait allusion au mouvement islamiste d’Al Adl Wal Ihsane (justice et bienfaisance, non reconnu mais toléré). Les militants adlistes sont pointés du doigt comme les principaux instigateurs de ces débordements. Une accusation rejetée par les dirigeants de la Jamaâ. « On nous attribue un pouvoir de manipulation que nous ne possédons pas. Pourtant, et pour preuve des limites de notre pouvoir, notre appel au boycott des dernières élections n’a pas été suivi », commente Omar Iharchane, membre du cercle politique d’Al Adl Wal Ihsane. L’éternel bras de fer entre l’État et la Jamaâ est loin d’être fini.
Qui est responsable?
Les différences entre les versions livrées par Benkirane et son ministre de l’Intérieur suscitent de nouveau des interrogations sur la cohésion au sein de l’équipe gouvernementale. « Sur le plan juridique, et en termes de responsabilité politique, Hassad a raison d’impliquer Benkirane. Quand les forces de l’ordre interviennent pour réprimer, sous l’ordre d’un département ministériel issu d’un gouvernement, la mise en accusation de ce dernier est engagée », explique le politologue Aziz Chahir. Et de préciser: « Ces contradictions dans les déclarations résultent aussi de la théâtralisation inhérente à la répartition des rôles ». Le Chef du gouvernement ne renie pas sa responsabilité dans une affaire qui risque d’entacher son capital sympathie auprès de ses électeurs. « Une décision politique qui pèsera de tout son poids, à quelques mois des échéances électorales », commente un parlementaire. Les sympathisants du parti de la lampe éprouvent un profond sentiment de déception. « Les mesures impopulaires réalisées sous le gouvernement pjidiste, pour ne citer que la réforme de la Caisse de compensation, se traduisent par l’effritement du capital crédit du PJD », rappelle le politologue Aziz Chahir. « La violence de la répression traduit une stratégie de redéploiement du pouvoir central, jetant le discrédit sur ce parti d’obédience islamiste », poursuit-il. Quant aux enseignants stagiaires, ils ne comptent pas lâcher prise et envisagent même une série d’actions pour faire aboutir leurs revendications. Au menu: un sit-in, prévu le 18 janvier, devant les délégations régionales du ministère de l’Éducation nationale. Le soir même, ils organisent de nouveaux sit-in dans les locaux des centres de formation. Le mercredi 20 janvier, ils comptent entamer une grève de la faim et organiser une marche nationale à Rabat, le dimanche suivant. Quelle sera la réaction du gouvernement face à ces actions? Affaire à suivre.
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