A la recherche des féministes musulmanes du Maroc à l’Iran

Sarah Zouak est partie dans cinq pays différents à la rencontre de musulmanes qui se battent pour les droits des femmes.

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Sarah est partie cinq mois. Crédit : Yassine Toumi.

C’est à peine sa soutenance de mémoire passée que Sarah Zouak, 25 ans, a pris son sac à dos pour partir à la recherche des musulmanes « actrices de changement ». Cette Franco-marocaine qui a grandi en France est partie d’un constat, ou plutôt d’un malaise : « Etre musulmane en France n’est pas toujours facile. Dans l’image qu’on me renvoyait de moi-même, mon côté marocain et musulman était tout le temps résumé à la tradition et mon côté français et féministe résumé à la modernité. Les deux étaient perçus comme contradictoires ». « J’ai pendant longtemps cherché des modèles de femmes, en vain. Les féministes qui me ressemblaient étaient souvent critiques envers l’islam », nous raconte la jeune femme.

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« Dans les médias la musulmane est perçue comme une personne faible, aliénée. Je me suis alors demandé ‘ n’existe-t-il pas des musulmanes qui font bouger des choses’ ? », se questionne la jeune femme. C’est alors qu’elle décide de vérifier par elle-même, en partant à la recherche de musulmanes engagées pour les droits des femmes, pour échanger avec elles, les aider, et les faire connaître.

Vivre avec ces femmes

Elle s’est donc accordée cinq mois pour découvrir cinq pays et y rencontrer des musulmanes, présidentes d’association ou chef d’entreprise sociale par exemple, pour réaliser son projet, le « Women sense tour in muslim countries ». Le Maroc s’est imposé à elle, pour découvrir le pays qu’elle ne connaissait qu’à travers sa famille et ses vacances. Sarah voulait aller dans un pays qui avait vécu la révolution du Printemps arabe, elle s’est alors rendue en Tunisie. Elle a choisi la Turquie pour son aspect laïc, l’Indonésie parce qu’il reste le premier pays musulman et enfin l’Iran « un pays qui choque et suscite le plus de fantasmes ». Des Marocaines Aïcha Ech-Channa de l’association Solidarité féminine à Khadija Elharim fondatrice d’une coopérative féminine d’argan, à l’Iranienne Zahra Bonyaniyan fondatrice d’une association pour les mères célibataires, en passant par Lita Anggraini qui vient en aide aux petites bonnes indonésiennes, au total, Sarah a rencontré 25 femmes, aux parcours bien sûr très différents.

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Sarah aux côtés de Khadija El Harim, fondatrice d’une des plus grosses coopératives d’argan du Maroc.

 

Elle vivait environ cinq jours avec chacune d’elle pour découvrir leur activité mais aussi les aider dans leur projet. Les concernées choisissaient donc ce qu’elles considéraient comme étant leur plus grand défi (la finance, la communication, l’organisation), invitaient leur réseau et Sarah animait ainsi un court atelier, elle-même étant diplômée d’une école de commerce et d’un master en relations internationales, et accumulant plusieurs expériences dans le domaine associatif. Quand elles étaient mariées, vivre avec ces femmes était aussi l’occasion pour Sarah de découvrir quelque peu les rapports qu’elles entretenaient avec leurs époux et leurs enfants.

La foi et un déclic

D’après Sarah, pour toutes ces femmes, la religion n’est pas un obstacle à leur action mais plutôt son moteur. « Certaines citent parfaitement le coran, où l’on retrouve plusieurs versets parlant d’égalité hommes/femmes, mais ces femmes tirent aussi leurs arguments d’autres sources. Elles vivent toutes leur religion différemment ».

Ce voyage lui a permis de déconstruire les préjugés qu’elle avait. « Je pensais que je n’allais rencontrer que des femmes super courageuses, expertes dans leur domaine, avec un mental de leader. Mais en fait, ce sont souvent des personnes qui ont juste eu un déclic et qui sont parties au départ avec de tous petits projets ». C’est le cas par exemple de Nora Belahcen Fitzgerald, qui a juste rencontrer une sans abri de Marrakech puis lui a trouvé un travail dans un restaurant, pour finalement être à la tête d’un des plus gros restaurants solidaires du Maroc qui embauche des dizaines de femmes nécessiteuses.

Les déclics arrivent à des moments différents de la vie, lors d’événements bouleversants ou bien anecdotiques : la mort d’un mari, une réflexion de son père, la rencontre d’une fillette.

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En Indonésie, l’association Panca Karsa vient en aide aux travailleuses migrantes.

«Je suis maintenant fière de dire que je suis féministe et musulmane»

Aussi, Sarah a été étonnée par les relations qu’entretiennent ces femmes avec leur entourage : « 99 % des femmes que j’ai rencontrées ont le soutien de leur mari et de leur père ». Bien sûr, il y a peut-être un biais : de nombreuses femmes, faute de soutien, n’arrivent pas à entreprendre. La plupart de ces personnes ne se définissent pas comme féministes, et n’ont même pas conscience d’être des « actrices du changement », comme les appelle Sarah.

Parmi ses surprises ? La division de la société turque sur le port du voile et l’idée de certains que l’objet devient un instrument politique, la grande facilité pour une jeune fille de voyager, l’hospitalité des Iraniens, heureux de rencontrer des étrangers ou bien encore le nombre de Tunisiennes qui se mobilisent depuis la révolution de peur de perdre leurs acquis.

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En Iran, Sarah avec Leïla Arshad, fondatrice d’un centre d’accueil pour les femmes droguées.

 

Après ces dizaines de rencontres et quelques larmes d’émotion, Sarah est à l’heure du bilan, deux mois après son retour. Et elle le sait, cette expérience a changé sa vie. Surtout, « Je suis maintenant fière de dire que je suis féministe et musulmane sans qu’il y ait contradiction », commente-t-elle. Prochaine étape : la réalisation de son documentaire, puisqu’elle a filmé toutes ces femmes. Après ce tour du monde, Sarah réalisera un tour de France, pour diffuser ces images, dans les écoles notamment.

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