C’est un projet titanesque qui voit le jour dans la région de Midelt. Le barrage Tamalout dont les travaux de construction ont débuté en 2008, se situe sur l’Oued Ansegmir. Un projet financé par le Budget général de l’Etat et le Fonds koweitien pour le Développement économique arabe pour un coût total de 400 millions de dirhams. Ce barrage permettra de régulariser un total de 39 millions de m3 par an et d’assurer l’irrigation d’un périmètre de plus de 5 000 hectares plantés d’arbres fruitiers à l’aval du barrage et l’alimentation en eau potable des agglomérations avoisinantes. Avec une capacité de stockage de 50 millions de m3 d’eau, le barrage Tamalout devrait ainsi « impulser l’économie régionale et soutenir le développement du tourisme écologique et rural de la vallée d’Ansegmir », peut-on ainsi lire dans un document de la MAP à l’occasion du lancement des travaux de construction en 2008. En 2015, le barrage accuse pourtant un retard de livraison de plus de 34 mois. En cause: la résistance des habitants du douar de Tizinzou. La mise en eau du barrage implique en effet l’engloutissement de leur village et la perte irréversible de leurs terres agricoles.
Des indemnisations largement insuffisantes
Aziz Oulalou est agriculteur mais c’est aussi l’organisateur communautaire du douar. « Le problème ce n’est pas le barrage, mais le fait que les gens n’ont pas été indemnisés et qu’on veut les exproprier de force », explique le jeune homme. En dépit des tentatives d’intimidations, environ 160 familles refusent de quitter le douar en l’absence de compensations suffisantes. A l’origine, l’engagement d’indemnisation de l’Etat s’élevait à 10 Dirhams le mètre carré pour les terres agricoles, 6 Dirhams pour les terrains résidentiels et 2 500 Dirhams par pommier. « Ils sont venus pour détruire des maisons, là où je suis assis, c’est détruit, c’était une maison, et son propriétaire n’a même pas été payé », confie Aziz entouré de gravas. « Les forces de l’ordre ont commencé à nous menacer, ils ont ramené un bulldozer pour détruire nos maisons, une trentaine de maisons ont été démolies », ajoute Said Khouya, agriculteur. Si certaines familles ont accepté l’offre d’indemnisation proposée par l’Etat « sous la pression des autorités », confient les habitants, la grande majorité des villageois s’est mobilisée contre ce qu’ils estiment être largement insuffisant. « On nous a estimé à 2500 dirhams l’arbre pommier, alors qu’il peut nous donner jusqu’à 4000 dirhams l’année. C’est la région des pommes, ces gens ne connaissent que l’agriculture et le bétail, contrairement à ailleurs, nous n’avons même pas besoin de creuser des puits, l’eau est suffisante ici », se lamente Aziz. Les villageois ont alors entamé un recours en justice. Suite à l’intervention d’un expert judiciaire « que nous avons payé nous-mêmes », le plafond des indemnisations a été relevé de 10 à 50 dirhams le mètre carré. « Les autorités ont fait appel à Rabat, le Tribunal a confirmé l’avis de l’expert, le problème aujourd’hui c’est qu’ils ne veulent pas appliquer le jugement et nous payer », explique le jeune homme.
A bord de l’estafette qui nous conduit en amont du barrage en construction, l’incertitude est palpable parmi les habitants qui craignent de voir leur tribu dispersée et privée de leur indépendance économique. « Depuis l’époque de la colonisation, nos parents nous racontent, que dans ce bled, les gens ne vivent que de l’agriculture, si on quitte vers la ville, nous n’allons pas pouvoir vivre, nous allons mendier », s’inquiète Said Khouya. Les habitants, soutenus par la section de Midelt de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), ont depuis organisé une dizaine de manifestations pour se faire entendre et dénoncer l’usage abusif de la force par les autorités. Sans oublier la question épineuse des terres collectives. « Les gens du douar possèdent des terres collectives évaluées à 2 millions de dirhams, c’est là où ils faisaient leur pâturage, les autorités nous on dit que nous n’allions pas les garder puisqu’elles relèvent dorénavant des collectivités ethniques, aucune indemnité n’a été évoquée pour ces terres », ajoute Aziz.
Le bras de fer est engagé
La liste des doléances des villageois s’allonge à mesure que nous parcourons le douar. « La mosquée a été indemnisée à hauteur de 300 mille dirhams et c’est le ministère des Habous qui a été payé alors que nous l’avons construite nous-mêmes, tous les habitants du douar se sont cotisés, chacun a donné ce qu’il pouvait pour sa construction, aujourd’hui nous n’avons ni mosquée ni rien », s’indigne Aziz. Depuis l’ordre de démolitions des écoles, les enfants du douar doivent également parcourir plus de 8 kilomètres par jour pour rejoindre les bancs de l’école. « Nos enfants ne vont plus à l’école, tous ces gens souffrent énormément de cette situation », poursuit-il.
À Tizinzou, le bras de fer est engagé. Contacté par Telquel.ma, le ministère Délégué Chargé de l’Eau en charge du dossier n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews. Interrogé sur la question des expropriations en mai dernier par Al Jazeera, Mohammed Kettani, fonctionnaire au ministère de l’Energie et des Mines affirmait cependant que « toutes les expropriations étaient nécessaires afin de compléter la construction du barrage. L’école, les maisons et la ligne d’alimentation ont été légalement démolies selon une décision de justice ».
Dans le douar, les menaces de démolitions et d’expropriations font désormais parti du quotidien. « Je n’ai nulle part où aller, si on ne me donne pas mon argent, je ramènerai mes enfants à la préfecture et j’y resterai. Comment pouvons nous partir dans un autre bled? Qui nous laissera habiter dans un autre bled ? Qui nous permettra d’habiter chez lui ? On ne voit ça nulle part ailleurs », s’indigne Driss Ourouj, résident du village menacé. « Nous ne voulons pas nous battre avec les forces de l’ordre, alors nous partirons voir le gouverneur jusqu’à ce qu’on trouve une solution », conclut Aziz, déterminé.
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