Deux représentantes du mouvement Femen se sont embrassées seins nus le 2 juin devant la Tour Hassan, à Rabat. Objectif affiché: dénoncer « l’injustice faite à la communauté homosexuelle au Maroc ». Quelques associations marocaines se chargent déjà de défendre les personnes homosexuelles et leurs droits. Mais alors que l’acte sexuel entre deux personnes de même sexe est toujours pénalisé, ces organisations ont une visibilité limitée, pour se protéger. Était-il utile que des étrangères (des Françaises en l’occurrence) viennent défendre cette cause sur le territoire national? Au sein des militants, la question divise.
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Même si elle avoue « ne pas toujours être d’accord avec leurs actions », Ibtissam Lachgar, du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), estime que l’happening des Femen a une utilité. « Je pense que cela fait sauter des boulons, brise des tabous, ouvre des débats », nous raconte-t-elle. Elle félicite également le choix du lieu de cet événement : « Le fait que ce soit devant une mosquée interpelle la symbolique des religions ou des pratiquants religieux qui sont homophobes […] Il faut secouer le cocotier pour obtenir des droits et faire évoluer les mentalités », estime la militante. A savoir si une telle action ne risque pas de desservir la cause, Ibtissam Lachgar est catégorique : « Nous n’avons pas le temps de penser à cela. La désobéissance civile est nécessaire pour dénoncer la loi et la société homophobes ».
« La provocation peut nuire à la cause »
Un avis qui n’est pas partagé par le collectif Aswat, principalement connu pour dénoncer régulièrement les arrestations de personnes du fait de leur homosexualité, ainsi que pour sa campagne de sensibilisation « Love is not a crime » lancé l’an dernier. Dans un communiqué, le mouvement explique que ses membres « ne peuvent guère adhérer à une activité similaire à celle de Femen au Maroc ». Pour le collectif, cette action « va à l’encontre de notre vision d’un engagement et d’une lutte pacifiste ».
Un représentant du mouvement nous explique : « le choc et la provocation dans notre contexte précis peuvent nuire à la cause, ce qui constitue un pas en arrière». Et de se demander : « Cette action à certes créée une polémique au niveau du Maroc et sur le plan international, mais à-t-elle pu libérer les deux Marocains arrêtés le lendemain ? ».
Une vision des choses partagée par Khadija Ryadi, ancienne présidente et membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). « Je comprends leur action parce qu’elles viennent d’un pays où ce genre d’action fait partie des moyens de lutte. Mais dans notre pays, il n’y a pas encore de vrai débat. Cela risque de provoquer l’effet contraire. Cela peut donner des arguments aux détracteurs, aux personnes qui s’opposent aux droits des LGBT et qui se basent sur le fait que l’homosexualité est une culture occidentale (en contradiction avec nos valeurs etc.).»
Si ce n’est pas en choquant, comment mener la lutte alors ? Pour la militante de l’AMDH, le plaidoyer doit se fonder sur les conséquences de la loi sur la vie de ces personnes. « Nous devons montrer comment cela se passe concrètement dans la société, parler par exemple de ces gens qui se retrouvent en prison alors qu’ils ont leurs parents à nourrir… ».
Des étrangers qui ne s’adaptent pas au contexte
Le fait que ces militantes soient étrangères pose-t-il problème ? Comme « il s’agit d’une lutte universelle », Aswat accepte volontiers la motivation venue de l’étranger. En revanche, le mouvement insiste : ces organisations étrangères se doivent de prendre en compte le contexte national. En regrettant à demi-mot de ne pas avoir été averti à l’avance par les Femen de leur venue.
Pour sa part, Ibtissam Lachgar ne semble pas voir de problème avec le fait que des étrangers interviennent au Maroc, et regrette que la théorie du complot venu de l’extérieur soit brandie pour dénoncer leur action : « Je suis actuellement à Montréal. On ne vient pas me dire de me mêler de mes affaires car je ne suis pas québécoise. C’est malheureusement le complexe de colonisé encore une fois ».
Frilosité des associations des droits de l’Homme ?
Si la lutte vient de l’extérieur, c’est peut-être parce qu’elle est trop silencieuse de l’intérieur. Ibtissam Lachgar regrette en effet que « de nombreuses associations refusent ou sont frileuses quant à aborder la question des droits sexuels et reproductifs ». Et de noter : « Nous nous retrouvons souvent seuls », « avec nos petits moyens et une absence quasi-totale de collaboration » avec les ONG de défense des droits de l’Homme généralistes qui restent souvent silencieuses sur ce sujet.
Une critique que Khadija Ryadi ne comprend pas vraiment : « Chacun a sa façon d’évaluer l’action des ONG. Même si elle a pris du temps, la position de l’AMDH est très claire depuis 2008, quand elle a demandé l’abrogation de l’article. Elle n’a jamais fait de pas en arrière. Peut être qu’elle n’en parle pas beaucoup, mais chaque groupe de personnes lésées vient nous le reprocher. Les violations des droits de l’Homme sont tellement nombreuses… ». De leur côté, les militants d’Aswat restent optimistes et positifs. Ils l’assurent : le mouvement LGBT est mieux structuré depuis quelques années.
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