« Quand j’ai vu notre sélection ramener la Coupe d’Afrique des nations en février, je me suis dit ‘ pourquoi pas moi ? ‘ ». Avec son bermuda fleuri et ses deux téléphones portables, Christian Nougbele a déjà la panoplie du stéréotype du footballeur professionnel. « Jouer la Ligue des champions en Europe » : cette phrase revient sans cesse dans la bouche de ce meneur de jeu longiligne de 23 ans.
Le 6 juin prochain, Christian, qui enchaîne les matches en troisième division ivoirienne, devra pourtant se contenter de regarder la finale de la prestigieuse coupe d’Europe à la télévision.
Derrière lui, Issa Koné, un colosse d’1,90 m soupire. « S’ils n’ont pas percé à 25 ans, ils ne réussiront jamais… Mais il y a trop de marchands de rêves dans le football… », peste cet éducateur qui forme une centaine de jeunes à l’institut Cissé, une école de football nichée au coeur de Yopougon, un quartier pauvre d’Abidjan.
Les marchands de rêve, ce sont ces agents de joueurs, rarement officiels, qui gravitent autour des terrains de football du pays, prêts à abuser de la crédulité des familles.
« Persuadés de pouvoir jouer au Barça »
« Les jeunes sont tous persuadés qu’ils peuvent jouer dès demain au Real Madrid ou au Barça », explique Alfred Obou, un agent agréé par la Fifa qui a envoyé des internationaux comme Cheick Tioté ou Kader Keïta vers l’Europe.
« Alors forcément, il y a des gens qui en profitent et qui les font rêver », regrette-t-il non sans rappeler que des stars comme Didier Drogba ou Yaya Touré ont « commencé dans des clubs de second rang avant d’exploser ».
Yao Komenan, un entraîneur de 42 ans, connaît bien le problème. De retour de Tunisie, il a passé sept mois à aider des joueurs africains délaissés par ces intermédiaires peu scrupuleux. « Des agents leur avaient promis de les faire jouer en Europe via la Tunisie, mais une fois arrivés à l’aéroport, ils s’étaient volatilisés. Les gamins étaient complètement abandonnés, sans ressources », raconte le technicien. « Ils ne se soucient même pas du niveau du joueur. A Tunis, la plupart des joueurs que j’ai vus n’avaient pas du tout les capacités pour jouer en Europe », se souvient-il.
Inspiré par l’académie de Jean-Marc Guillou qui a fait éclore plusieurs stars du football ivoirien, l’institut Cissé, créé en 2007, prend gratuitement en charge des joueurs amateurs ivoiriens et tente de les protéger des chimères européennes.
Financé par Souleymane Cissé, ex-joueur ivoirien aujourd’hui entraîneur adjoint du club de Monaco, l’école a même réussi à bricoler un terrain aux dimensions règlementaires. Au bout d’un petit chemin de terre, face à la lagune d’Abidjan, ce grand champ plein de trous entouré de palmiers et d’hévéas sert de stade d’entraînement à l’équipe.
« Pas le paradis »
Depuis la crise politico-militaire qui a frappé le pays en 2010-2011, le gazon « venu d’Europe« s’est raréfié. « La Côte d’Ivoire manque d’infrastructures et les conditions de jeu sont mauvaises. Si vous vous blessez ici, vous ne serez pas bien soigné », regrette M.Koné.
Derrière les succès de sa sélection nationale, le football ivoirien, sans moyens et sans ambition, ne suffit plus aux jeunes joueurs. Le salaire moyen d’un joueur de première division ne dépasse pas 150.000 francs CFA mensuels (230 euros) et le niveau du championnat reste faible. Les clubs ivoiriens n’ont plus remporté de trophée continental depuis 1999.
Sidick Camara, a eu sa chance de l’autre côté de la Méditerranée, grâce aux partenariats de l’institut Cissé. Ce milieu de terrain de 20 ans a passé cinq mois en stage dans le club de Coimbra, en première division portugaise.
« Je me suis rendu compte que ce n’était pas facile du tout », se souvient le joueur qui évolue maintenant en championnat amateur ivoirien. « Il faisait froid, la nourriture était différente, la langue aussi était une barrière. Nous étions quatre Africains à l’essai. Aucun n’a été retenu », regrette-t-il, dépité.
Ce premier échec n’a pourtant pas découragé Sidick qui s’accroche encore à l’idée d’une carrière dorée sur le Vieux Continent.« L’Europe, ce n’est pas forcément le paradis. Mais le paradis, ça se trouve où ? », s’interroge-t-il. A côté de lui, l’entraîneur Yao Komenan hoche la tête, fataliste. « Revenir en Afrique, pour eux, c’est revenir en enfer ».
Pierre Donadieu pour l’AFP
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