Avortement: comment le roi a tranché?

L’avortement devrait être dépénalisé dans trois cas précis mais les initiateurs du débat sont déçus.

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Le 15 mai, le palais royal a annoncé que l’avortement serait autorisé dans de nouveaux cas : viols et incestes et graves malformations et maladies fœtales. Le communiqué a été publié au terme d’une audience royale lors de laquelle les ministres de la Justice et des Affaires islamiques et le président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) ont remis leurs avis sur la question.

On doit l’instauration de ce débat principalement à l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac) et à son président Chafik Chraïbi. Le médecin, qui nous avait fait part de sa crainte « que la montagne n’accouche d’une souris », est le premier déçu. « Ces cas précis ne doivent recouvrir que 5 à 10 % des situations réelles de détresse. Le problème de la clandestinité et des conséquences qu’elle entraîne reste toujours posé », nous explique le gynécologue. Lui milite pour une dépénalisation de l’avortement dans tous les cas où la santé de la mère est en danger, en s’appuyant sur la large définition de la santé de l’OMS, qui prend en compte le bien-être social de la personne.

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Le médecin reconnaît quand même l’avancée, en rappelant « qu’on est parti de zéro ». Et Chafik Chraïbi se veut tout de même optimiste, pense qu’il est toujours possible d’obtenir plus tant que la loi n’est pas promulguée : « J’ai de l’espoir. Ce ne sont que des recommandations. Le roi n’a pas pris de décision définitive ». Aussi, même si la dépénalisation passe en l’état, il a espoir qu’elle se fasse progressivement : « La loi peut évoluer, mais faut-il encore qu’il y ait d’autres militants. Avec un gouvernement plus ouvert on pourra peut-être aller plus loin ». Position semblable chez Ismaïl Alaoui, ex-ministre PPS : « En tant que citoyen, bien sûr que je suis déçu de cette proposition puisque c’est bien en deçà de ce qui est nécessaire. Mais c’est un début. La route est encore longue et il ne faut surtout pas baisser les bras ». Le PPS avait publié un mémorandum dans lequel il préconisait la légalisation de l’avortement, y compris pour les femmes « en situation difficile ».

L’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf) est aussi déçue. « Nous nous attendions à un benchmark courageux avec des pays qui ont su régler cette question sociétale depuis fort longtemps (en Tunisie par exemple, la libéralisation date de 1973) et à des propositions plus audacieuses », nous explique Omar El Kindi, vice-président de l’Insaf, auditionnée par le CNDH. Mais il note que « la commission chargée de mener des consultations sur l’avortement a remis son rapport au roi avec un mois de retard, cela indique que sa tâche n’a pas été aisée. »

La faute au gouvernement ?

Le communiqué du palais royal précise que la légalisation restera limitée à ces seuls cas dans la mesure où les consultations ont montré que « l’écrasante majorité penche pour la  criminalisation de l’avortement illégal », est-il écrit. Pourtant, d’après ce que nous confie Chafik Chraïbi, le CNDH, « qui a ratissé très large et auditionné tout le monde de près ou de loin » a une position beaucoup plus ouverte sur la question. Et de nous rappeler que le ministre de la Santé « est d’accord avec nous ». Restent les deux autres commissions : celle du ministère de la Justice et du ministère des Affaires islamiques. Celles-ci n’ont  pas trouvé bon d’auditionner le professeur Chafik Chraïbi, personnage clé de la lutte contre l’avortement clandestin à l’origine de l’instauration du débat. Ce sont ces deux ministères qui ont donc dû défendre une position plus conservatrice.

« Le Maroc n’est conservateur qu’en façade. On brandit l’éventail de la majorité pour faire peur à tout le monde », commente Khadija Rouissi du PAM. D’après elle, le ministère de la Justice aurait rendu des conclusions non conformes aux consultations. « Les partis politiques ont été consultés et je peux vous dire que la majorité des voix optait pour prendre en compte l’aspect social de de la mère », nous assure la députée, qui estime que la femme doit avoir le dernier mot.

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