A première vue le cinéma marocain se porte bien. Une trentaine de festivals annuels, 25 longs-métrages produits, une dizaine de films étrangers tournés dans le pays notamment grâce au centre de production basé à Ouarzazate: le Maroc obtient la seconde place du continent, derrière l’Afrique du Sud, et ambitionne d’étendre plus encore son leadership.
Une apparente vitalité qui cache cependant un triste état des lieux : peu à peu les salles de cinéma disparaissent du pays. Il y a 30 ans, le Maroc comptait plus de 250 salles de cinéma et 50 millions de spectateurs par an. Aujourd’hui, quelques 2 millions de spectateurs se répartissent 37 salles survivantes.
A Casablanca, autrefois « un multiplexe à ciel ouvert », les cinémas Vox, Shérazade, Lutetia, Mauritania, Kawakib, Verdun, Liberté, Opéra, ou encore Mamounia, ont disparu. La liste est longue et a déjà interpellé de nombreux Casablancais. Cette situation alarmante était au cœur des discussions vendredi à l’ex-église Buenaventura de la Medina de Casablanca lors des « Assises sur l’avenir des cinémas à l’abandon de la ville de Casablanca ». Une initiative de la Direction régionale du ministère de la Culture de Casablanca et de l’association Save Cinemas In Morocco.
Cette rencontre a eu le mérite de réunir les différentes parties concernées. Exploitants, responsable du ministère de la Culture, société civile, tous avaient fait le déplacement pour mettre des mots sur les maux du cinéma casablancais. Rappelons que le ministère de la Culture, l’association Save Cinemas In Morocco avec le soutien de Casamémoire ont engagés depuis plus d’un an, une vaste démarche de protection et de sauvegarde des salles de cinéma contre l’oubli et la destruction par l’inscription au patrimoine de 14 salles de cinéma de Casablanca. Une démarche qui ne plaît pas forcément aux exploitants et propriétaires de salles de cinéma, qui estiment que les autorités leur force la main en les obligeant à préserver les bâtiments, alors que l’activité n’est plus rentable.
Lire aussi : Le cinéma Lux, ou la difficile protection des salles de cinéma
Les exploitants réclament leur indemnisation
« J’assiste maintenant les larmes au yeux à la décadence du cinéma. Pendant des années on a lutté, tous, en gardant les salles et en perdant de l’argent. Si on veut faire de ces salles un patrimoine, pas de problème, il suffit d’indemniser les gens. Car ceux qui possèdent ces salles y ont investi leur argent, parfois même les bijoux de leur femme. L’État a assassiné le cinéma à travers le CCM, partout ailleurs il progresse, ici il disparaît, il est mort », a déploré avec véhémence Abdelhamid Marrakchi, exploitant et président d’honneur de la Chambre des salles de cinéma et de la Chambre des distributeurs des films.
Lire aussi: Sarim Fassi Fihri: «Ma priorité, ce sont les salles de cinéma»
Un constat partagé par de nombreux exploitants tous réunis au premier rang pour l’occasion. « Le problème aujourd’hui, c’est que le cinéma ne marche plus. La profession est à terre et je peux vous affirmer que les salles fermées ne rouvrirons plus jamais », a poursuivi madame Skalli, co-héritière du mythique cinéma Shérazade, un lieu de rencontre rituel des cinéphiles casablancais et surtout, le premier cinéma construit par une femme en 1958.
En effet, si la production maintient un cap satisfaisant, c’est à l’autre bout de la chaîne, du côté de la distribution et de l’exploitation, que le bât blesse. Plusieurs facteurs sont en cause : le marché noir des films piratés, le monopole de la distribution détenu par les multiplexes, la généralisation de la télévision par satellite, les taxes importantes pesant sur les exploitants de salles… La désaffection des salles s’explique également par le fait que les exploitants n’ont pas réussi le virage numérique qui pouvait leur permettre de ramener une partie de leur clientèle.
La classification des salles de cinéma fait débat
« On a des salles qui sont fermées, une piraterie omniprésente, (…) aujourd’hui c’est une course contre la montre: l’objectif est pour nous de réagir et de sauver ce qu’on peut encore sauver et (pour y arriver) nous avons utilisé ce que nous avions entre les mains, l’article (de la loi 22-80 sur la conservation des monuments historiques, ndlr) qui nous permet d’inscrire et de classer les salles de cinéma », a réagi pour sa part Tarik Mounim, président de Save Cinemas in Morocco.
Une classification qui fait pourtant débat au sein des exploitants. « La classification est une manière de nous obliger à rouvrir et de le rester c’est tout, mais la loi nous autorise à nous défendre, c’est ce que nous ferons de toute façon si on ne trouve pas de solution », souligne Mme Skalli.
Entre sauvegarde du patrimoine et réalités économiques, pour beaucoup, la survie des cinémas historiques passe par une politique publique plus volontariste : baisse des impôts, aides à la modernisation des salles, mise en place d’une concurrence plus saine.
Vers un concept de salles polyvalentes
Pour Save Cinemas in Morocco, il faut aller encore plus loin et envisager de nouveaux modèles afin que les cinémas puissent retrouver une vocation multidisciplinaire et ainsi étoffer le réseau des structures culturelles au Maroc avec des espaces « multi-cartes ». « Aujourd’hui on peut valoriser ce patrimoine par des dispositifs différents. On n’est pas là pour enlever le pain de la bouche des exploitants mais pour déterminer quel arrangement on peut trouver afin d’essayer de résoudre ces problèmes », a souligné Tarik Mounim. Et d’ajouter, « nous, Casablancais nous aimons le cinéma, ne soyons pas pessimistes. Essayons de créer une combinaison qui fonctionne. »
Si la route semble encore longue avant d’enrayer la disparition des salles obscures dans le pays, ces assises auront eu le mérite de mettre en avant de nouvelles pistes de réflexion. « Après (…) aujourd’hui, je pense qu’on pourra trouver une solution qui agréera tout les parties concernées », a conclu pour sa part Mme Skalli.
Une démarche indispensable, d’autant plus que la question des salles de cinémas au Maroc va au-delà de la simple question des infrastructures culturelles. Elle fait partie d’une problématique plus vaste, celle du rapport à la culture et de son rôle au sein de la société.
Avec la contribution de Adeline Bailleul
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer