PJD/PAM: la hache de guerre est déterrée

Accusations, joutes oratoires au parlement et petites phrases assassines, la tension s’installe de nouveau entre le PJD et le PAM. Abdelilah Benkirane et Ilyas El Omari mènent leurs troupes dans cette guerre préélectorale.

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Abdelilah Benkirane et Ilyas El Omari
Abdelilah Benkirane et Ilyas El Omari. Crédit : DR

Tout a commencé le samedi 31 janvier devant les membres du conseil national du PJD. Abdelilah Benkirane, l’air grave et le verbe solennel, se livre à une analyse détaillée de la situation politique du pays et incite les cadres du parti à rester vigilants et à se préparer aux prochaines échéances électorales, afin de faire barrage aux adversaires. C’est à ce moment-là que le chef du gouvernement choisit de dégainer et tirer sur ses deux meilleurs ennemis : Hamid Chabat et Ilyas El Omari. Sur un ton comminatoire, Benkirane reproche au secrétaire général de l’Istiqlal d’avoir amassé une grande fortune, alors qu’il n’est que syndicaliste et maire de la ville de Fès. Le dirigeant islamiste enchaîne et tape violemment sur Ilyas El Omari, homme fort du PAM et ennemi irréductible du PJD. Devant ses partisans, Benkirane s’interroge sur l’origine des « 12 milliards de centimes » qui auraient servi à créer un grand groupe de presse qu’El Omari s’apprête à lancer.

S’enclenche alors une semaine politique où la violence verbale entre les islamistes d’un côté et le PAM de l’autre atteint des proportions qui rappellent la campagne électorale qui a précédé les législatives du 25 novembre 2011. Le mardi 3 février, Abdelilah Benkirane est devant la Chambre des représentants pour, entre autres, annoncer le report des prochaines échéances électorales. Comme à son habitude, il multiplie les piques et les provocations à l’adresse de l’opposition. Celle-ci s’agace et riposte comme toujours.

Le parlement, devenu depuis des mois une foire d’empoigne, retrouve une ambiance de déjà vu. À la fin de son allocution, Abdelilah Benkirane apostrophe Milouda Hazib, la présidente du groupe parlementaire du PAM à la Chambre des représentants, en lui assénant sur un ton ironique : « Le mien est plus grand que le tien ». « Obscénité », s’indignent les députés de l’opposition. « Il parlait du PJD et non d’autre chose comme l’insinue l’opposition », répliquent les islamistes. En tout cas, cet incident est le prélude à une passe d’armes qui opposera les deux parties pendant une semaine.

Une haine tenace

Dans la foulée, le PAM organise une riposte qui se veut cinglante. Le mercredi 4 février au siège du parti, c’est Ilyas El Omari qui est en personne à la manœuvre. Et même si la contre-attaque est préparée dans l’urgence, elle réussit à faire mouche. Le secrétaire général adjoint du PAM accuse les élus PJD au conseil de la ville de Rabat d’avoir bénéficié de lots de terrains à Hay Ryad, un quartier huppé de la capitale. Les propos d’Ilyas El Omari mettent le feu aux poudres. Ce qui était une simple escarmouche dégénère rapidement en une guerre totale où tous les coups sont permis. Abdelali Hamieddine, franc-tireur du PJD, mène une charge frontale contre le PAM dans une chronique publiée au quotidien Akhbar Al Yaoum, où il qualifie le parti du tracteur de « fonds de commerce obsolète ».

Dimanche 8 février, c’est Abdelilah Benkirane qui en rajoute une nouvelle couche. Devant l’association des élus communaux de son parti, il ne fait pas dans la dentelle. Il brocarde Ilyas El Omari en des termes virulents, dénonçant le « retour de la tentation autoritaire » du « courant mafieux » au sein du PAM. Mais pourquoi donc ces sorties violentes et à répétions du chef du gouvernement contre le PAM et son n°2, et pourquoi maintenant ? « Il faut signaler qu’à l’approche des élections, l’homme fort du PAM a commencé à faire pression sur plusieurs élus pour qu’ils rejoignent son parti », explique Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du PJD. Au sein du PAM, cet argument ne tient pas, mais cache plutôt une véritable inquiétude des islamistes à l’égard des résultats des élections prévues en septembre. « Le chef du gouvernement craint notre parti parce qu’il est le seul à pouvoir vaincre le PJD lors des prochaines élections, estime Milouda Hazib. Benkirane sait que son bilan est négatif et que les Marocains se détournent de lui. Il entreprend une fuite en avant en nous insultant et nous accusant à tort ».

Mais un autre son de cloche se fait entendre. « Il faut chercher l’origine de cette tension du côté du nouveau projet éditorial mené tambour battant par Ilyas El Omari », explique un membre du gouvernement, jadis proche de l’éminence grise du PAM. En effet, plusieurs responsables politiques de la majorité pensent que le groupe de presse qu’Ilyas El Omari est en train de mettre en place n’aura pour seule cible que le gouvernement, et surtout le PJD. Conscient que cela pourrait être le prélude à une large campagne contre son parti et lui, Abdelilah Benkirane a procédé à un tir de barrage. « Le chef du gouvernement a du flair politique et sait qu’à la veille d’élections régionales et communales si importantes, ses adversaires vont multiplier les manœuvres contre son parti », affirme un dirigeant de la majorité.

Travail de sape mutuel

Une autre lecture est donnée à ces événements par des observateurs qui estiment que le patron du PJD est déterminé à porter un coup fatal au PAM. En effet, le chef du gouvernement surfe sur une certaine popularité et une conjoncture favorable, marquée par un prix du pétrole à la baisse et une pluviométrie abondante. Il serait donc tenté de terminer le travail de sape qu’il avait déjà entamé à partir de février 2011. Les élections communales de 2009 ont été un véritable traumatisme pour Benkirane, et il n’est pas près d’oublier ni revivre tout ce qu’il a enduré pendant cette période. Malgré le fait que le PJD soit arrivé premier pendant ce scrutin dans plusieurs grandes villes, comme Casablanca, il n’a pas pu en décrocher la présidence.

« Benkirane a toujours pensé que c’est Ilyas El Omari qui était derrière les mésaventures de sa formation lors de ces élections », reconnaît un de ses proches. Aujourd’hui, il veut profiter de son statut, de sa cote de popularité et surtout des rapports apaisés qu’il entretient désormais avec le Palais pour « mettre hors d’état de nuire » son redoutable ennemi. De son côté, l’homme fort du PAM a choisi de ne pas répondre directement aux attaques de Abdelilah Benkirane. Il a opté pour la symbolique en posant à Addis-Abeba aux côtés de Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la commission de l’Union Africaine. Un pied de nez de la part d’Ilyas El Omari au chef du gouvernement, pour qui la diplomatie reste un terrain inaccessible, de son propre aveu. Mais la guerre ne fait que commencer.

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Karim Douichi 

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