Dans son bureau au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Nizar Baraka nous reçoit pour parler des travaux qu’il dirige depuis 2013. Alors que certains remettent en cause l’utilité des avis du Conseil, il tient à rappeler son caractère constitutionnel. Une particularité marocaine qui confère à cette instance un poids important sur la scène socioéconomique. L’ancien ministre des Finances analyse et passe au crible le capital immatériel, l’ouverture du capital des cliniques privées aux non- médecins, la question du Sahara, les réformes de retraite et de décompensation
Vous êtes chargé d’évaluer la richesse immatérielle du Maroc, jusqu’à ce jour inconnue. Comment procède-t-on pour évaluer un capital difficile à quantifier?
Juste après le discours royal, nous avons d’abord mis en place la structure organisationnelle pour piloter cette étude. Nous avons décidé, avec Bank Al Maghrib, d’étudier le schéma de la Banque Mondiale, méthode à l’origine des différents rapports au niveau international, et de l’adapter pour mieux correspondre aux enjeux, aux spécificités et à la réalité du Maroc.
Nous avons, pour cela, retenu un certain nombre de thématiques telles que la confiance, la gouvernance, la compétitivité, la problématique de l’accès aux services sociaux de base et les inégalités territoriales et sociales. Nous aborderons des thèmes importants liés à la paix sociale, qui reste un facteur indéniable de la stabilité d’un pays.
Cela dit, tout n’est pas quantifiable. Donc, ce qui est attendu de nous, et qui est le propre de l’orientation royale, c’est de voir comment le capital immatériel doit être intégré dans les différentes politiques publiques pour pouvoir assurer un meilleur niveau de vie aux citoyens.
Les avis émis par le CESE ont-ils un véritable impact sur la prise de décision du gouvernement et des deux chambres du parlement?
Sur le plan institutionnel, le Conseil est un organe constitutionnel à caractère consultatif. Cela dit, le fait que le CESE soit de plus en plus saisi par le gouvernement et le parlement, atteste de l’importance du travail réalisé par le Conseil. Nous sommes passés de trois saisines par an à neuf saisines au cours de cette année 2014. Cela montre bien que la voix du Conseil est écoutée. Quand nous avons reçu de la part de la chambre des conseillers un rapport, conformément à l’article 9 de la loi organique du Conseil, concernant la suite réservée aux deux avis qu’ils nous ont demandé d’établir, sur la loi sur le partenariat public-privé et le projet de loi sur les établissements de crédit, nous avons constaté que beaucoup de nos propositions avaient été retenues. Cela a été également le cas pour des auto-saisines telles que la gestion intégrée des ressources en eau. Il faut savoir que lorsque nous étudions un projet de loi, notre approche est pluridimensionnelle. Quand le Conseil traite d’un projet de loi particulier, il ne se limite pas à répondre aux changements qui doivent être apportés par la loi, mais il essaie dans son avis d’avoir une vision plus globale qui intègre les dimensions économique, sociale, environnementale et de gouvernance.
Vous plaidez pour le dialogue et le consensus. Comment expliquez-vous que le gouvernement et les syndicats soient toujours au point mort au sujet de la réforme de la retraite?
Il faut attendre la fin des négociations car elles sont toujours en cours. Ce qui importe pour nous est que durant les discussions, ce n’est pas uniquement l’avant-projet de loi proposé par le gouvernement qui a été pris en compte, mais également l’avis qu’a présenté le Conseil. Nous pouvons dire que nous avons contribué à sortir d’une logique de bras de fer et apporter ainsi d’autres alternatives à la table des négociations. Dans notre avis, nous avons été très clairs : si nous considérons que la réforme est urgente, il est très important qu’elle soit globale. Il importe de donner de la visibilité sur le sens et le rythme de la réforme de l’ensemble des régimes de retraite pour aboutir à terme à un système composé de deux pôles : privé et public. Nous avons aussi insisté sur le fait que cette réforme doit assurer la pérennité de l’ensemble des régimes de retraite et apporter plus d’équité à travers un meilleur partage des coûts.
Le Maroc se dirige-t-il vers une décompensation totale des produits subventionnés?
Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement rappelle que la décompensation ne portera pas sur la farine, le sucre et le gaz. Il ne s’agit donc pas d’une décompensation totale. Sur le plan international, le Maroc est présenté comme un modèle. Les pouvoirs publics ont réussi à réduire de manière sensible les dépenses de compensation, dont la part est passée de 6 % du PIB à 2,5 % seulement. Dans notre rapport annuel, le Conseil a mis l’accent sur deux points: les économies permises grâce à la décompensation devraient être, en partie, réutilisées pour augmenter l’investissement de l’État, et c’est ce que le gouvernement a fait dans le cadre du projet de loi de Finances 2015, où les dépenses d’investissement se sont accrues de manière assez sensible en ce qui concerne les hôpitaux, les écoles et les infrastructures nécessaires pour accompagner la croissance. Ces économies vont également profiter aux secteurs productifs, notamment industriels avec la création du Fonds de Développement Industriel. Il est, en revanche, nécessaire d’intégrer cette décompensation dans le cadre d’une réforme globale visant à améliorer la protection sociale, notamment des plus vulnérables.
Quelle est, aujourd’hui, la position du CESE sur l’ouverture du capital des cliniques privées aux non-médecins ?
Lorsque nous avons travaillé sur la problématique de l’accès aux soins de bases, nous avons constaté qu’il y avait un véritable problème lié à la baisse importante du nombre de lits par habitant, et à la faible part de médecins par habitant. Aussi, il existe une très forte concentration des cliniques privées au niveau de l’axe Kénitra-El Jadida. Par conséquent, lors de notre travail sur le projet de loi qui porte sur l’exercice de la médecine, nous avons considéré qu’il était essentiel qu’il y ait une véritable carte sanitaire. Malheureusement, le décret qui émane de la loi en vigueur se limite à donner une cartographie du secteur public. Pour pouvoir faire face aux besoins croissants de la population avec la mise en place de l’assurance maladie et du Ramed, il est très important qu’on puisse avoir une véritable complémentarité entre le secteur public et le secteur privé. Ce qui veut dire que la carte sanitaire doit traiter aussi bien de l’investissement futur public que du privé. C’est-à-dire que les investissements privés doivent répondre à l’objectif d’avoir une meilleure répartition de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.
Le CESE s’est déjà penché sur la question du développement des provinces du Sud. De votre point de vue, y a-t-il aujourd’hui suffisamment de volonté politique pour résoudre la question du Sahara ?
Oui, on peut dire que la volonté politique est très forte aujourd’hui, Sa Majesté le Roi a réitéré, notamment dans son dernier discours de la commémoration de la Marche Verte, sa volonté à la mise en œuvre du modèle enrichi de développement des provinces du Sud élaboré par le Conseil selon une approche participative. Plus de 1500 acteurs de la région ont contribué à ce rapport, de la phase diagnostic à l’élaboration du nouveau modèle, en passant par un rapport intermédiaire sur l’effectivité des droits humains dans les provinces du Sud. Au niveau opérationnel, le gouvernement et certains ministères ont d’ores et déjà tenu compte de certaines de nos propositions, qu’ils sont en train de mettre en place avant même que la régionalisation avancée ne voie le jour. Dans le secteur de la pêche par exemple, il y a eu la révision du cahier de charges du stock C, qui est celui des sardines de telle sorte que les ressources naturelles profitent au développement de ces provinces et à la création d’emplois dans ces territoires. Dans le domaine de la santé, il était recommandé de développer les hôpitaux sur place, et dans le budget de l’Etat, il est prévu de transformer les hôpitaux provinciaux de Guelmim et de Dakhla en hôpitaux régionaux et d’améliorer l’hôpital régional de Lâayoune. Dans le domaine de l’eau, ainsi que nous l’avions préconisé, le contrat de nappes de Dakhla est en cours de négociation et doit permettre d’accorder 200 ha par an au développement de l’agriculture tout en préservant les ressources souterraines en eau. D’autres recommandations ont aussi été prises en compte dans les domaines des infrastructures, de la culture, de l’éducation et de l’agriculture.
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