Le 19 novembre, Chekhsar, rappeur et prédicateur 2.0 publiait une vidéo sur le harcèlement sexuel, en réponse à celle montrant une femme se faire harceler 300 fois en 10 heures dans les rues de Casablanca. Si le jeune podcasteur n’en était pas à son premier essai, il semble que cette fois, il est allé trop loin. Un nombre d’« unlikes » prépondérant, une condamnation générale sur les réseaux sociaux et même une plainte déposée par la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes. Évoquant le harcèlement sexuel, Chekhsar explique dans sa vidéo que ce phénomène « relève de la responsabilité des femmes », illustrant cela par de gros plans sur les fesses de femmes marchant sur les avenues de Rabat, portant des vêtements occidentaux. Une vidéo agrémentée, comme souvent, de commentaires religieux.
Car YouTube, à la popularité toujours ascendante, est utilisé par beaucoup de jeunes comme une plate-forme d’expression libre, notamment dans le domaine religieux. Certains s’en servent pour exprimer leurs idées sur plusieurs phénomènes de société, ils émaillent leurs vidéos de textes coraniques et de hadiths, et appuient leurs propos par des micro-trottoirs, recueillant témoignages et opinions auprès d’un public de plus en plus nombreux.
« Les propos de Chekhsar manquent de respect aux jeunes Marocains »
Parfois à la limite de l’exactitude, certains dérapent. Il y a un an, Mayssa, podcasteuse et chroniqueuse sur Hespress, comparait les femmes vêtues à l’occidentale à un gâteau exhibé dans la vitrine d’un pâtissier, donnant droit aux hommes de les fixer du regard lors de leur passage. Aujourd’hui, Chekhsar, son complice dans certaines vidéos, enfonce le clou avec sa dernière œuvre. Mais que pensent les hommes et femmes de religion de ce phénomène qui prend de plus en plus d’importance ?
« Chekhsar parle des jeunes Marocains comme d’une horde d’animaux », estime Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des ouléma. Pour cet homme de religion, « l’islam est fait pour régir toute la société et non les femmes uniquement ». Pour Abbadi, « le détournement du regard », principe prêché par le texte islamique dans ce genre de situations, a été dicté à l’homme comme à la femme. L’idée de l’homme qui subit la présence et l’allure de la femme dans l’espace public devient désuète, « chaque personne doit se contrôler et est responsable de ses regards », renchérit Abbadi.
« Ce phénomène n’est pas récent et n’est pas amené à disparaître », déplore Abdelbari Zemzami, prédicateur prêchant les valeurs d’un islam modéré et président de l’Association marocaine d’études et de recherches en fikh des nawazils. Le alem va jusqu’à qualifier ces podcasteurs de « mercenaires qui prennent la religion comme un prétexte menant vers la célébrité ». En effet, dans le cas de Chekhsar, le jeune podcasteur tente de se faire une place au soleil en misant sur tout un concept : lunettes de soleil et proses virulentes mises en musique lui confèrent ce style « branché », garant de son côté jeune. Le podcasteur va jusqu’à s’attribuer lui-même le surnom de « commerçant de religion » dont il assume sans complexe la connotation péjorative.
« Bricoler sa vision du religieux à partir de discours schizophrènes »
Asmae Lamrabet, médecin et directrice du Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita Mohammadia des ouléma du Maroc, tempère en revenant sur la raison d’être de ce phénomène. « Ces jeunes, dont les propos sont à condamner certes, sont eux-mêmes victimes de la défaillance du religieux dans le pays », nous explique-t-elle. Pour cette intellectuelle musulmane, les savants religieux sont les premiers à pointer du doigt. « Ils radotent un discours passéiste et archaïque, ce qui laisse le terrain propice à ces jeunes pour bricoler leur vision du religieux à partir de discours schizophrènes », commente-t-elle.
Un point sur lequel la rejoint Cheikh Zemzami : « Les ouléma devraient user des mêmes moyens, à savoir des vidéos sur le web et les réseaux sociaux, pour éclairer les gens et les avertir de la dangerosité de tels propos », alarme-t-il. Et de poursuivre : « Les hommes de religion ne devraient pas hésiter à nommer ces personnes et à condamner leurs propos qui déforment clairement les valeurs islamiques ».
« On ne peut rien faire sans volonté politique »
Dans un contexte où il est impossible de contrôler ce qui est diffusé sur Internet, quel est donc le moyen le plus efficace pour réagir face à ce phénomène qui pourrait endoctriner les jeunes et utiliser la religion afin, par exemple, de « justifier un crime tel le harcèlement sexuel », comme nous l’expliquait Fouzia Assouli, présidente de la FLDDF ? Pour Ahmed Abbadi, « il faut développer une immunité face à ces jeunes qui s’érigent en rédempteurs dans la construction des valeurs ». Un processus qui passe notamment par l’éducation et un « engagement visant à reconstruction des véritables valeurs islamiques et leur ancrement au sein de la société ». Si le juridique a prouvé ses limites dans le contrôle de ce genre de dépassements, Asmae Lamrabet rappelle qu’il faut « revoir notre approche du religieux via l’éducation » et que cela ne pourra se faire sans une « véritable volonté politique ».
Visionner la vidéo à l’origine de la polémique :
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