Les chiffres officiels depuis 2007 sont sans appel : depuis 2009, les recettes stagnent tandis que le nombre de visiteurs ne cesse de s’accroître d’année en année.
L’offre hôtelière a pourtant su suivre la hausse de la fréquentation touristique. Depuis 2007, les capacités d’hébergement augmentent peu ou prou au même rythme que le nombre de visiteurs.
Vers un tourisme low cost ?
Comment expliquer dès lors que les touristes dépensent moins ? La raison la plus fréquemment invoquée est celle de la conjoncture économique mondiale, qui frappe particulièrement l’Europe, et qui pousse les ménages à serrer leur budget vacances.
En 2008, un touriste français dépensait en moyenne près de 3 000 euros lors de ses vacances, contre 4 600 euros pour un Britannique ou encore 4 800 euros pour un Italien. En 2014, les données publiées par l’Observatoire du tourisme (entre temps devenues des moyennes journalières) indiquent qu’au premier trimestre de l’année, la dépense moyenne d’un touriste étranger est estimée à 1 010 dirhams par nuit. Les Britanniques et les Italiens viennent en tête, en dépensant respectivement 1 530 dirhams et 1 435 dirhams en moyenne par nuit. Les Français et les Espagnols sont les moins dépensiers, avec une moyenne de 860 dirhams et 707 dirhams par nuit respectivement.
De l’avis général, les opérateurs touristiques ont baissé leur prix au cours des dernières années, principalement du fait d’une concurrence renforcée, au point de voir jaillir l’expression de tourisme low cost.
Culture backpacker
Mais ce sont également les consommateurs qui changent leur manière de voyager, indépendamment des contraintes financières. Les années 2000 ont été celles de la démocratisation de l’aérien et du web. La conjonction des deux a modifié la structure de la consommation touristique : les touristes venant au Maroc viennent pour un séjour plus court qu’auparavant, prévu de plus en plus à la dernière minute, et se logent plus volontiers chez l’habitant, à l’aide du Net.
La durée du séjour au premier trimestre 2014 était de 1 à 7 nuits pour 58 % des visiteurs, contre 68 % au dernier trimestre 2013.
Dans le même temps, la décision du séjour au Maroc est prise de plus en plus à la dernière minute. Au premier trimestre 2014, 16 % des visiteurs s’étaient décidés à venir moins d’une semaine avant leur arrivée, contre 9 % au dernier trimestre 2013. 47 % s’étaient décidés d’une semaine à un mois avant leur départ, contre 35 % le trimestre précédent.
Le phénomène de l’hébergement de particulier à particulier a également fait irruption sur le marché touristique, que ce soit sur des formules payantes (Air BnB) ou gratuites (Couchsurfing). Une récente estimation du ministère du Tourisme évaluait à 20 000 le nombre de lits des établissements informels. Le site Couchsurfing dénombrait en octobre 2012 plus de 15 000 utilisateurs inscrits au Maroc, dont 3 411 à Casablanca (voir carte ci-dessous).
Une nouvelle façon de voyager et de découvrir le pays au plus près de ses habitants qui connaît un franc succès à l’échelle mondiale, et qui touche également le Maroc. Une nouveauté qui n’est pas forcément comprise en haut lieu par les professionnels du secteur, à l’image d’Abdelaziz Samim, directeur de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière, qui confesse n’avoir jamais entendu parlé du site.
Un secteur en guerre à l’informel
C’est surtout le modèle payant d’AirBnB qui commence à inquiéter les autorités et les professionnels du secteur. Abdelaziz Samim y voit une « concurrence déloyale » vis-à-vis des établissements déclarés : « Il faut contrecarrer l’hébergement informel et le réintégrer dans le circuit des établissements agréés ».
Un projet de loi vise d’ailleurs à interdire le recours à ces formes de compléments de revenus non déclarés pour les particuliers, qui représente autant de recettes fiscales échappant à l’État.
Et de fait ces solutions alternatives restent discrètes à l’échelle du secteur. Les statistiques, du moins depuis 2010, ne font état d’aucun effondrement du taux d’occupation des hôtels. Tout au plus, une culture de la gratuité et de l’hébergement alternatif semble s’être invitée aux marges du secteur touristique, contribuant – modestement – à tirer vers le bas les prix de l’offre d’hébergement.
L’érosion des recettes touristiques par visiteur tient donc largement aux dépenses durant le séjour, au-delà des seules modalités d’hébergement.
Un secteur tiraillé
Entre la mauvaise conjoncture économique dans les pays émetteurs et les nouvelles habitudes de consommation liées au Net, les autorités marocaines ont une marge de manœuvre resserrée.
Le 19 septembre, les conclusions de la réunion du Comité stratégique conjoint du tourisme (CST) ont donné la priorité à l’offre, les mesures les plus concrètes annoncées visant à renforcer l’investissement (prime à l’investissement, mesures fiscales, accélération du plan Azur, garanties bancaires à l’investissement, etc.).
Le patron des hôteliers Abdelaziz Samim attend également beaucoup du nouveau système de classement des établissements d’hébergement.
Mais pour attirer une clientèle plus dépensière, c’est surtout vers la demande, et l’action de promotion de l’Office nationale marocain du tourisme (ONMT), que les professionnels du secteur tournent leurs espoirs. Le budget de l’Office est d’ailleurs annoncé en hausse significative de 200 millions de dirhams, passant à 550 millions.
Controverse sur les moyens de la promotion touristique
Malgré cela, du côté de la CNT, Saïd Tahiri affiche sa frustration :
A ce stade ce n’est qu’une promesse de budget ; nous attendrons la loi de finances pour voir si ce montant est confirmé. Cela dit nous attendions un peu plus. C’est encore insuffisant pour les besoins de la destination Maroc. L’Organisation mondiale du tourisme préconise d’ailleurs un budget compris entre 1,5 % et 3 % du budget des recettes touristiques pour la promotion d’une destination, or là nous sommes à 0,5 %.
Contacté par Telquel.ma, l’ONMT n’a pas été en mesure de préciser sa stratégie de promotion.
Faut-il accueillir toujours plus de visiteurs, ou bien faut-il se repositionner sur des clientèles à plus fort pouvoir d’achat ? La vision 2020 fixe une feuille de route simplissime, qui vise notamment à multiplier par deux le nombre de visiteurs comme de places d’hébergement, d’une part, et d’autre part à multiplier par deux les recettes touristiques, en visant 140 milliards de dirhams en 2020, soit le double des recettes actuelles. Pour atteindre ces objectifs, il faudra rompre avec la stagnation des recettes touristiques sans pour autant réduire le rythme des entrées. Ce sera sans doute l’équation-clé qui présidera à ces nouvelles Assises du tourisme.
En perte de vitesse ? Alors que les arrivées sont de + 8 % ?