Bimo, la saga d’un biscuit

Le succès de la marque Bimo est tel que son nom est devenu le terme générique du biscuit au Maroc. Nombreuses sont les entreprises, aussi bien nationales qu’internationales, qui se sont succédé pour reprendre la société. Retour sur une success story qui dure.

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« Bghit Bimo ! » Les bambins des années 1980 et 1990 n’ont eu cesse de répéter cette phrase pour que leurs parents comblent leurs envies. Aujourd’hui encore, dans le langage de tous les jours, chez petits et grands, un « bimo » est un biscuit. En réalité, Bimo est l’acronyme de Biscuiterie Industrielle du Moghreb, l’une des rares entreprises marocaines ayant réussi le pari de faire de leur dénomination sociale le générique d’un produit. L’aventure hors du commun de Bimo démarre à une époque où l’industrie marocaine des biscuits est rudimentaire. Nous sommes en 1981, le secteur est dominé par l’informel et reste la chasse gardée de la marque Henry’s, lorsque deux hommes décident de tenter l’aventure industrielle. Driss Meskini et René Ebbo, deux hommes d’affaires visionnaires et aguerris dans le secteur de la chocolaterie, ont assez de flair et d’audace pour s’attaquer au marché de la biscuiterie. A l’époque, le biscuit est préparé par la ménagère. Pour que leur entreprise puisse se faire une place, ils ont une idée bien précise : créer des produits destinés aux enfants. En d’autres termes, ils misent sur la quantité individuelle et le prix abordable. Soit une équation simple : un enfant, un biscuit, une pièce. Cette idée devient très vite la devise de l’entreprise. Une formule qui dure, malgré les années qui passent.

Une marque mythique

L’entreprise démarre son activité avec une seule unité de production, basée à Aïn Sebaâ. En 1982, Bimo lance Golden, avec succès. Ce petit biscuit sec à l’emballage doré rencontre un important succès, rappelant fortement les biscuits faits maison. Un produit toujours sur le marché, et dont la recette a connu quelques évolutions avec le temps. En plus du blé, sa matière première de base, il a été enrichi par un cocktail de fer et de vitamines. En 1985, la marque à l’épi de blé investit le segment des gaufrettes en lançant son produit phare, Tonik, qui sera rejoint en 1992 par une nouvelle marque, Tagger. L’élargissement de la gamme de produits se poursuit sous la direction des familles Meskini et Ebbo, qui décident de proposer un produit sous forme de génoise. C’est ainsi que la mythique Merendina voit le jour en 1990. Face à ce succès, le management décide en 1994 d’augmenter sa capacité de production en créant une deuxième unité de production. La société investit continuellement pour accompagner la croissance soutenue de son activité. Elle engage pas moins de 500 millions de dirhams entre 1988 et 1998 et garde le même rythme, jusqu’à ce que la société atteigne un portefeuille d’investissement de 100 millions de dirhams pour la seule année de 1994. Bimo compte aujourd’hui 12 marques de biscuits et plusieurs dizaines de références. En 2012, les revenus générés par la société s’élèvent à 941,7 millions de dirhams. Driss Meskini et René Ebbo ont réussi à asseoir Bimo sur le marché et à en faire un véritable leader, qui s’accapare près de 56% de parts de marché.

La valse des repreneurs

Dix-huit ans après sa création, et en dépit de son bon positionnement sur le marché, les fondateurs décident de céder
l’entreprise. Selon les informations qui ont circulé à l’époque, le leader a attisé la convoitise de plusieurs investisseurs étrangers, qui ont proposé leurs offres aux familles Meskini et Ebbo. Mais ces derniers ont préféré laisser leur société à un groupe marocain. Après quelques mois de négociations, Bimo est vendue le 30 septembre 1999 au consortium ONA-Danone, qui se partagent à parts égales le capital de l’entreprise, soit 100 millions de dirhams. Le montant de la transaction n’a jamais été révélé. Capitalisant sur le développement de nouveaux produits et le savoir-faire de Danone, la société a bien su évoluer dans un marché en pleine configuration, tout en gardant inchangées sa marque de fabrique et sa devise.

Sept ans plus tard, Bimo fait face à une nouvelle opération stratégique. En 2007, Danone vend l’entreprise LU à Kraft Foods. Cette vente n’est pas sans conséquence pour le marché marocain, puisque Kraft se retrouve ainsi actionnaire à hauteur de 50% de Bimo. Elle est ainsi présente sur le marché marocain grâce à deux entreprises. La transaction intervient à un moment où le marché national de la biscuiterie subit la concurrence suite à l’entrée en jeu de nouvelles marques d’importation après la signature des accords de libre-échange. Deux ans après l’arrivée de Kraft, une rumeur fait jaser le secteur de la biscuiterie. La presse a parlé, en 2009, de l’éventuel rachat par Kraft des 50% du capital de Bimo détenus par SNI. Une information démentie par les concernés. Ainsi, le duo Kraft-SNI a continué à évoluer et fonctionne honorablement, puisque Bimo a su maintenir sa position de leader malgré l’effritement de ses parts de marché, passées en dessous de la barre des 50%. L’effort de l’entreprise s’est opéré sur l’élargissement des gammes et des références de ses produits phares.

Des biscuits et des milliards

En septembre 2012, le holding SNI annonce la conclusion du contrat de cession de sa filiale Bimo au groupe Kraft Foods, qui devient alors le seul actionnaire du leader marocain de la biscuiterie. Le prix de cession s’élève à 1,31 milliard de dirhams pour une valorisation globale de 2,62 milliards. L’opération était déjà prévue en 2011 dans le cadre de la nouvelle stratégie de réorganisation de SNI, qui a décidé de céder ses filiales matures. Plusieurs entreprises de son pôle agro-industriel sont concernées. En même temps, le géant américain opère une importante opération de restructuration à l’international, qui le mène à diviser ses activités en réservant l’identité Kraft Foods au segment épicerie en Amérique du Nord, et en baptisant Mondelēz International l’entité qui chapeaute l’activité de production de biscuits, chocolats et chewing-gums au niveau international. Mondelēz International devient donc le seul maître à bord du navire Bimo. La stratégie de l’Américain est claire. Il s’agit de renforcer les parts de marché de Bimo à travers ses produits les plus prisés, tout en écoulant sur le marché marocain les marques internationales du géant américain. Au-delà du segment biscuiterie, Mondelēz aspire à devenir le leader au Maroc de toute l’activité Snacking (chocolat, bonbons & chewing-gum et café). La multinationale justifie de telles ambitions par le taux de consommation assez faible du biscuit par habitant, preuve de l’énorme opportunité de croissance dont jouit le marché marocain. En plus, Mondelēz  considère Bimo comme un élément clé de sa future stratégie dans la région Moyen-Orient et Afrique.

Cap stratégique

Aujourd’hui, Bimo s’apprête à connaître un nouveau changement stratégique. Il s’agit de la disparition des deux entités juridiques Bimo et Kraft Foods Maroc, filiale directe de Kraft Foods, en octobre prochain pour laisser place à une seule entité, Mondelēz Maroc. Ces deux entités sont intégrées aujourd’hui à 100% tout en éliminant les doublons dans les structures. Mais le management marocain de Mondelēz se veut rassurant. Si l’entité juridique va disparaître, la marque Bimo, quant à elle, continuera à se développer. Il s’agit avant tout d’un choix stratégique, puisque la marque Bimo constitue l’unique support des produits de la société. À l’heure actuelle, Mondelēz dit avoir pour priorité le marché marocain, mais n’exclut pas la possibilité d’opérer une expansion à l’international, en s’attaquant dans un premier temps au marché africain, qui présente un important potentiel de croissance.

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