Entre Felipe VI et Mohammed VI, la bise et l’accolade étaient tout aussi franches et chaleureuses qu’avec Juan Carlos. n mois après son accession au trône espagnol et deux voyages officiels au Vatican puis au Portugal, le nouveau roi d’Espagne a rendu visite à son homologue marocain, les 14 et 15 juillet. Un homme qu’il a eu l’occasion de côtoyer au cours de son enfance, lorsqu’ils n’étaient encore que princes héritiers. « Ils appartiennent à la même génération et se sont rencontrés plusieurs fois au cours de leur jeunesse. Felipe VI a d’ailleurs déclaré il y a plusieurs années que Mohammed VI avait été un véritable camarade. Tous les deux avaient déjà conscience qu’ils partageraient un destin commun, celui de devenir roi », raconte Abdelouahed Agmir, universitaire et spécialiste des relations maroco-espagnoles. Si Felipe VI marche dans les pas de son père Juan Carlos, qui considérait Hassan II comme son « grand frère » et Mohammed VI comme un « petit frère », il sera sans doute plus « distant que ce dernier mais non moins affable », analyse pour sa part Bernabé Lopez, professeur d’histoire contemporaine de l’islam à l’Université libre de Madrid. « Juan Carlos était proche des monarchies arabes, notamment saoudienne et jordanienne, tandis que Felipe VI est moins coutumier de la culture arabo-musulmane. Il est plutôt tourné vers l’Europe et l’Amérique Latine », affirme Ignacio Cembrero, ex-journaliste à El Pais, spécialiste du Maghreb. « Pour autant, il n’est pas insensible au monde arabe. Lors des révolutions de 2011, Felipe VI s’est montré très curieux et intéressé par la situation politique de l’Egypte, de la Tunisie ou encore de la Syrie. Il a d’ailleurs consacré une partie de son discours d’intronisation au monde arabe », relativise Bernabé Lopez, qui poursuit : « Et comme la majorité des responsables politiques espagnols, il estime que le Maroc est un pays modèle en matière d’évolution démocratique ».
Pragmatisme et realpolitik
Au-delà d’une visite à caractère traditionnel, le voyage express (48 heures) de Felipe VI au Maroc est surtout symbolique. « C’est un geste de bonne volonté et de sympathie pour maintenir de bonnes relations avec le Maroc. Même si Felipe VI est le premier représentant de l’Espagne à l’étranger, c’est bien le gouvernement de Mariano Rajoy qui a inscrit cette visite dans l’agenda royal », déclare Bernabé Lopez. Depuis le « traumatisme José Maria Aznar », la droite espagnole a quelque peu changé son fusil d’épaule vis-à-vis du royaume alaouite. Moins radical que son camarade Aznar, Mariano Rajoy a opté pour la realpolitik. « L’ensemble de la classe politique, mis à part l’extrême gauche, a compris que le Maroc est le seul pays stable de la région MENA et qu’il valait mieux préserver l’entente et la coopération. D’autant que c’est un pays voisin », analyse Abdelouahed Agmir.
Depuis 2011, les pouvoirs espagnol et marocain ont décidé de mettre les dossiers épineux au placard pour se consacrer aux projets qui réussissent, notamment la coopération en matière de lutte contre l’immigration, la drogue et le terrorisme. « De son côté, l’Espagne soutient la position marocaine sur le Sahara, tandis que le Maroc a mis de côté ses revendications concernant Sebta et Melilia », ajoute Abdelouahed Agmir, qui y voit le signe d’une relation plus mature. « Cela montre également que ces deux pays ne préfèrent pas aborder ou régler les problèmes de fond, quitte à ce qu’ils soient réactivés à n’importe quel moment», tempère Ignacio Cembrero. Lors de sa rencontre avec Abdelilah Benkirane, Felipe VI a d’ailleurs insisté sur les points qui unissent les deux pays, et l’a appelé à « accélérer l’approfondissement des relations ». Il a aussi soigneusement évité d’aborder la question du respect des droits de l’homme au Maroc et l’impact de l’utilisation des armes chimiques lors de la guerre du Rif. « Ce n’est pas son rôle, d’autant qu’il s’est rendu au royaume sans délégation. Et ces questions ne passionnent pas vraiment l’opinion publique espagnole », tranche Ignacio Cembrero.
Echange de bons procédés
Le point fort des relations maroco-espagnoles demeure sans conteste les échanges et la coopération économique. « Même lorsque le temps tourne à l’orage, comme ce fut le cas avec Aznar, les relations économiques ont toujours été très bonnes entre les deux pays », déclare Bernabé Lopez. Premier partenaire commercial de l’Espagne, le Maroc est d’un grand secours au moment où cette dernière traverse une grave crise économique. « Très concrètement, le Maroc rapporte à l’Espagne près de 10 milliards et demi d’euros par an », précise Abdelouahed Agmir. « Des raisons en plus pour éviter d’aborder des sujets trop importants, notamment le problème de délimitation des eaux territoriales près des Iles Canaries dans le cadre de la prospection pétrolière. Si l’on trouve du pétrole, personne ne sait qui pourra en profiter», insiste Ignacio Cembrero. Seule « surprise » de cette visite officielle, la ratification des accords de pêche par Mohammed VI, qui se faisait attendre depuis près de six mois. Un joli coup de pouce de la part du souverain alaouite pour la popularité de Felipe VI dans son pays, à l’heure où la voix des républicains se fait de plus en plus forte. « Peut être qu’aujourd’hui c’est Mohammed VI qui fait office de grand frère pour la monarchie espagnole », conclut Abdelouahed Agmir.
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